Les responsables des associations de victimes sont venus du monde entier | © Raphaël Zbinden
Suisse

Abus sexuels dans l'Eglise: union mondiale des associations de victimes

Les associations de victimes d’abus sexuels dans le contexte ecclésial de 15 pays se sont fédérées afin d’exiger de l’Eglise catholique des actions concrètes de lutte. L’acte de naissance d’Ending Clerical Abuse (ECA) a eu lieu le 7 juin 2018, lors d’une conférence de presse à Genève.

«Mettez fin aux abus sexuels dans l’Eglise. Maintenant!» Le slogan est scandé en même temps par les responsables des associations de victimes des 15 pays sur quatre continents, réunis au Club de la presse suisse, à Genève. Le but est, selon François Devaux, président de l’association française «La parole libérée», de fédérer sur un plan international tous les acteurs de la lutte contre les abus sexuels sur mineurs perpétrés dans un contexte ecclésial. La conférence de presse, qui signe la fondation de l’ECA, s’accompagne d’une injonction au Vatican de mettre en place des «actions concrètes» de lutte contre «l’épidémie» des abus sexuels dans l’Eglise catholique.

Pressions sur le pape pour sa visite à Genève

Les activistes veulent tout d’abord profiter de la visite du pape à Genève, le 21 juin 2018, pour exiger qu’il créée un mécanisme central, un «tribunal», permettant de condamner les évêques coupables de dissimulation d’abus. Ils requièrent également du pontife qu’il lance des enquêtes contre tous les évêques dans le monde soupçonnés d’avoir mal géré des cas d’agressions.

Peter Saunders a quitté la Commission pontificale de protection des mineurs en 2016 | © Raphaël Zbinden

De l’Equateur au Chili, en passant par les Etats-Unis et la Suisse, les représentants des associations sont passés chacun leur tour à la tribune munis de leur drapeau national. Ils ont présenté un grief particulier à leur pays dans le domaine de la gestion des abus sexuels dans l’Eglise. Il s’est agi le plus souvent de pointer un évêque ayant couvert ce type d’agissements, photo de l’accusé à l’appui. Le représentant chilien a ainsi évoqué le cas très médiatisé de Mgr Juan Barros, évêque d’Osorno, qui aurait omis de dénoncer les actes pédophiles d’un prêtre. Pour la Suisse, Jean-Marie Fürbringer, du Groupe SAPEC (Association de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse) a demandé la complète indépendance de la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation (CECAR) des autorités de l’Eglise.

La Commission de protection des mineurs au pilori

Des personnalités internationales de la lutte contre les abus sexuels dans l’Eglise étaient présentes pour soutenir la création de l’ECA. L’une des plus connues était Peter Saunders. Le Britannique, lui-même victime d’abus par un prêtre, est un ancien membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs (CPPM). Il a quitté le groupe en 2016, estimant que le Saint-Siège n’avait pas une réelle volonté de progresser. A Genève, il a réitéré ses critiques contre la CPPM. «On ne nomme pas Dracula directeur de la banque du sang», a-t-il lancé, évoquant le prétendu manque d’indépendance de la Commission, qu’il a présenté comme «une perte de temps».

Appel à la démission de tous les évêques chiliens

Le dossier chilien a été au centre de la conférence de presse. Sur demande du pape François, tous les évêques du pays ont présenté fin mai 2018 leur démission. Ils sont accusés d’inaction contre un système généralisé de dissimulation d’abus sexuels au sein du clergé. On ne sait pas encore si le pape acceptera le départ en bloc de l’épiscopat chilien ou s’il décidera de juger au cas par cas. L’ECA exige l’acceptation de toutes les démissions.

François Devaux dirige l’association «La parole libérée» | © Raphaël Zbinden

Le geste inédit et spectaculaire du pape a néanmoins été vu comme un signe encourageant par plusieurs personnalités présentes au Club de la presse, notamment José Murillo. Victime du prêtre pédophile Fernando Karadima, il est le chef de file du mouvement de l’opposition à Mgr Barros. Il a également rencontré le pape à Rome, en mai 2018, sur invitation de ce dernier. Après les deux heures de discussion avec le pontife, il considère que ce dernier est «incroyablement engagé» dans la lutte contre la pédophilie. Il pense néanmoins que la réelle motivation du pape doit se manifester dans des mesures concrètes.

Le cas chilien, pas unique?

Une préoccupation exprimée par la plupart des autres intervenants. Anne Barret Doyle, co-directrice de l’organisation «BishopAccountability.org» (responsabilité des évêques) a qualifié la démission en bloc des évêques chiliens de geste «historique». Reconnaissant également le «Jamais plus» du pape François, ainsi que sa reconnaissance d’une «culture de l’abus sexuel» dans l’Eglise chilienne comme un «signe d’espoir».

Elle a cependant déploré la prétendue faiblesse générale de la réponse du Vatican aux abus. Elle a notamment estimé que le Motu proprio publié par le pontife en juin 2016, intitulé «Comme une mère aimante» était insuffisant, car «trop vague» est pas assez contraignant. Elle a abondé dans le sens des autres membres de l’ECA, qui considèrent que seul un tribunal interne au Saint-Siège mais composé de personnes externes à l’Eglise serait à même de mettre les évêques déviants face à leurs responsabilités.

Et si l’Américaine a reconnu les progrès de la lutte menée par l’Eglise contre les abus sexuels dans certains endroits du globe, elle a estimé que, dans de nombreux pays, notamment d’Afrique et d’Asie, des «systèmes généralisés d’abus sur mineurs» étaient encore bien en place. «L’ECA entend être la voix de toutes ces victimes qui ne peuvent pas s’exprimer», a-t-elle lancé.

«Le but n’est pas de détruire l’Eglise»

François Devaux, qui a mis en cause l’archevêque de Lyon Mgr Philippe Barbarin dans la «non-dénonciation» du prêtre abuseur Bernard Preynat, s’est montré très sévère envers l’Eglise catholique. François Devaux a lui-même été victime de l’ecclésiastique pédophile. Après avoir affirmé que «la particularité de l’Eglise était de protéger les prêtres pédophiles», le Français a exhorté le pape François à appliquer une «vraie tolérance zéro».

José Murillo (à g.) mène le mouvement d’opposition contre Mgr Juan Barros | © Raphaël Zbinden

Jose Murillo a pourtant relevé que, durant sa visite au Vatican, il avait rencontré «un grand nombre de personnes vraiment motivées à combattre le fléau des abus». Il a ainsi précisé que le but de l’ECA n’était pas de «détruire l’Eglise, mais de détruire les systèmes d’abus en son sein». Il a assuré que la nouvelle coalition d’associations voulait être une «alliée» de toutes ces personnes de bonne volonté dans l’Eglise.

Les responsables de l’ECA ont finalement réitéré leur volonté de maintenir une pression maximale sur l’Eglise et de faire un lobbying très actif auprès des Etats. Ils ont annoncé un certain nombre d’actions qu’ils comptent mener dans les prochaines années, telles que des investigations à large échelle de cas d’abus au niveau mondial, ainsi que des programmes de renforcement (empowerment) des victimes. (cath.ch/rz)

Les responsables des associations de victimes sont venus du monde entier | © Raphaël Zbinden
7 juin 2018 | 21:08
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
Abus sexuels (1289), Chili (171)
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