Jean-Yves Leloup: «L'Apocalypse a d'abord une fonction de guérison»
Pour Jean-Yves Leloup, l’Apocalypse, ou livre de la révélation, est avant tout un récit d’espérance au-delà de la catastrophe annoncée. Le philosophe, théologien et thérapeute était l’invité, le 2 mai 2018 de l’Eglise catholique à Genève (ECR) pour le rendez-vous cinéma ‘Il est une foi’ consacré cette année au thème de l’Apocalypse.
L’Apocalypse occupe une place à part dans le Nouveau Testament?
L’Apocalypse a d’abord une fonction de guérison pour Jean lui-même à un moment où tout s’effondre pour lui. Il est envoyé en exil par l’empereur Domitien. Le Christ est ressuscité, mais cela ne change rien pour lui. Dans cet exil, cet effondrement, il reçoit des visions. Le sens lui est donné non pas à travers un discours philosophique, mais à travers l’imaginaire. Les images qui lui apparaissent sont des archétypes. C’est vraiment du cinéma. A travers les catastrophes se révèle une réalité plus forte que la mort. L’Apocalypse fait penser aussi à l’histoire de Job dans l’Ancien Testament qui lui aussi a perdu son Dieu et ses références. Il ne lui reste plus rien, mais de ce rien renaît la vie. Il comprend que ce n’est pas la violence, la bêtise, la mort qui auront le dernier mot.
Est-on aujourd’hui dans un temps apocalyptique?
Oui, beaucoup de repères s’effondrent au plan écologique avec l’épuisement des ressources. Ceux qui nous parlent d’apocalypse sont les scientifiques. Ils ont cette lucidité sur l’enchaînement des causes et des effets et nous disent: ‘Nous allons dans le mur’. Le discours des chrétiens est alors de dire une transformation est possible. On peut introduire de la conscience et de l’amour dans ce processus. L’Apocalypse nous rappelle que nous ne sommes pas nés pour réussir, pour dominer.
Un monde s’effondre.
Rapporter à l’époque actuelle, on peut y voir l’image de notre société de consommation d’exploitation qui fonctionne de la même manière. Jean découvre une autre façon de fonctionner, celle de la Jérusalem céleste. Mais il faut pour cela que le vieux monde s’effondre. «Voici que Dieu fait toute chose nouvelle». Dans ce sens l’Apocalypse nous révèle que l’avenir de l’homme c’est la métamorphose, la chenille qui devient papillon au niveau personnel, mais aussi collectif et cosmique.
Le cinéma, la littérature, la bande dessinée représentent l’Apocalypse sous l’angle des catastrophes et de la terreur.
L’Apocalypse ne doit pas être utilisé pour ajouter de l’angoisse. C’est trahir le texte qui représente l’espérance de quelqu’un qui vit certes dans le désespoir, mais ne s’y laisse pas enfermer. On peut le lire comme un livre de menaces, mais ce n’est pas cela. Pour Jean, nous sommes pas objets de nos peurs mais sujets: ‘je n’ai pas peur d’avoir peur’.
Les fameux quatre cavaliers sont parmi les principales figures de l’Apocalypse. Que nous disent-ils?
Les quatre cavaliers sont comme les perversions des quatre vivants qui sont les quatre fonctions vitales des sens, de la raison, de l’intuition et du sentiment. Ces quatre fonctions humaines peuvent être complètement perverties. On peut se servir de l’intelligence pour manipuler, pour exercer notre volonté de puissance. L’affectivité peut devenir jalouse, possessive. Nous sommes dans la logique du dragon de l’Apocalypse, c’est-à-dire de faire de l’autre un objet. Je m’approprie la terre et je la consomme, ce qui entraîne la famine ou l’épuisement des ressources. Cette logique de mort est à l’œuvre aujourd’hui dans nos sociétés. L’intelligence est faite pour adorer, pour contempler, lorsqu’elle n’est plus orientée, elle conduit à la destruction.
En face, se dresse la figure de l’agneau immolé.
L’agneau de l’apocalypse symbolise la force invincible de l’humble amour. Le martyr est le témoin d’une force plus grande que celle du dragon. En face la force de l’amour est à la fois vulnérable et invincible. L’agneau est blessé par la violence de la bête, de la bêtise, mais il se tient debout. Ce n’est pas un mouton couché. Mais il ne répond pas à la violence par la violence selon la parole du Christ: «ma vie, on ne me la prend pas, c’est moi qui la donne.» Il n’est pas objet des événements ou des circonstances, il reste sujet.
Sous le voile des événements des catastrophes, il y a donc un sens, une issue.
Fondamentalement, on peut dire que l’Apocalypse est un texte de louange qui nous rappelle que si nous sommes nés pour penser et pour agir, nous le sommes aussi pour célébrer pour remercier. Au-delà de la science et de la philosophie, il y a la philocalie ou l’amour de la beauté. Nous ne sommes pas condamnés. C’est un texte pascal, l’amour a vaincu la mort.
Le mot même d’Apocalypse signifie révélation.
Nous sommes aussi dans le temps de l’Apocalypse dans le sens où nous avons envie de voir ce qu’il y a sous le voile. Nous cherchons ce qui est. Quelle est cette réalité que l’on appelle Dieu et comment on peut y croire et y adhérer. Nous attendons que la réalité se dévoile au-delà de nos illusions, de nos projections, de nos attentes. Nos perceptions restent toujours partielles et partiales, mais nous devons entrer dans la vision de Dieu dans la Genèse: ‘Il vit que cela était bon’. (cath.ch/mp)
Jean-Yves Leloup
Jean-Yves Leloup est un écrivain, théologien, philosophe. Ancien dominicain, aujourd’hui prêtre orthodoxe, il est le fondateur de l’Institut pour la rencontre et l’étude des civilisations et du Collège international des thérapeutes, il a publié de nombreux ouvrages de théologie et de spiritualité. Il a donné des traductions et des interprétations innovantes de l’Evangile, des Epitres et de l’Apocalypse de Jean, ainsi que des évangiles apocryphes.