L'Etat ougandais recrute-t-il des prêtres pour espionner l'Eglise?
Une rocambolesque affaire de recrutement d’espions parmi les membres du clergé catholique par les services secrets ougandais secoue les relations entre l’Eglise et le pouvoir, depuis début avril 2018. Les autres confessions chrétiennes et les musulmans du pays sont aussi concernés.
«J’ai été informé par un appel anonyme que l’Etat avait recruté plusieurs membres du clergé: des prêtres, des religieuses et des catéchistes» pour infiltrer l’Eglise catholique, a déclaré Mgr Cyprian Kizito Lwanga, archevêque de Kampala, lors d’une cérémonie du Vendredi Saint, le 30 mars 2018. Et l’archevêque de poursuivre: «Les espions ont dit au président Yoweri Museveni que je complotais pour renverser son régime». Son interlocuteur, dont le numéro d’appel n’est pas apparu sur le téléphone du prélat ougandais, l’a averti qu’il pourrait être «la prochaine victime».
Un prêtre mort dans des circonstances troublantes
Mgr Lwanga affirme que, quelques jours plus tard, quelqu’un a jeté une enveloppe dans l’enceinte de l’archevêché. Elle contenait la liste de tous ceux qui ont été prétendument recrutés par les services secrets, dont des prêtres catholiques et anglicans, ainsi que des cheikhs. Il a invité toutes les personnes concernées à révéler la vérité.
L’archevêque semble réellement pencher pour la thèse d’une infiltration par le gouvernement. «Le président Museveni a toujours accusé les chefs religieux de s’immiscer dans la politique, or c’est l’inverse. C’est le gouvernement qui interfère dans l’Eglise», a affirmé Mgr Lwanga selon le journal ougandais The Monitor du 5 avril 2018. Des accusations qu’il aurait réitérées dans la cathédrale de la capitale ougandaise lors de la célébration de Pâques, le 1er avril. Il est même allé plus loin en évoquant le cas d’un prêtre décédé récemment dans des circonstances troublantes, impliquant la police militaire.
Des hosties empoisonnées?
Au cours d’une conversation privée avec l’archevêque de Kampala, le président Museveni a démenti les allégations d’espionnage au sein de l’Eglise. Des dénégations qui n’ont pas empêché un groupe de parlementaires chrétiens de lancer leur propre enquête. Les élus accusent le pouvoir de vouloir intimider et déstabiliser les instances religieuses. Des craintes courraient parmi la population que des informations entendues en confession soient rapportées aux services secrets. Certains fidèles auraient même peur de prendre la communion, en rapport à des rumeurs selon lesquelles les «prêtres-espions» pourraient empoisonner des hosties.
Des religieux qui dérangent?
Le grand mufti d’Ouganda, Sheikh Shaban Ramadhan Mubaje, a déclaré de son côté que les attaques récentes et les bruits d’espionnage dans les institutions catholiques et musulmanes n’empêcheront les chefs religieux de mener à bien leur travail. Mgr Lwanga et le dignitaire musulman, réunis au sein du Conseil interreligieux d’Ouganda (Inter-religious Council of Uganda, IRCU), ont récemment critiqué certaines initiatives du pouvoir, notamment la décision de relever l’âge limite pour un candidat à la présidence. Une mesure qui permettrait à Yoweri Museveni, à la tête du pays depuis 1986, de se représenter en 2021. (cath.ch/ibc/ag/rz)