Philippines: une religieuse raconte la guerre meurtrière contre la drogue
Le journal de bord de Sœur Nenet Daño, de la Congrégation du Bon Pasteur, aux Philippines, est devenu l’élément clé du recours collectif intenté par des familles de victimes de la guerre sanglante contre la drogue. Basée dans le district de San-Andres, la religieuse s’est d’ailleurs spécialisée dans le droit social.
Depuis l’élection, en mai 2016, du président philippin Duterte, la guerre contre la drogue a fait environ 13’000 mort dans l’archipel. Sur les trente cinq personnes tuées dans le district de San-Andres, Sœur Maria Juanita «Nenet» Daño en a enregistré vingt-huit dans son journal de bord. La religieuse du Bon Pasteur consigne par écrit les affaires de meurtres liés à la drogue, rapporte Eglises d’Asie (EDA), l’agence des Missions étrangères de Paris.
«Les prières ne suffisent pas»
L’histoire de Sœur Nenet commence en juillet 2016. La religieuse entend parler d’un jeune, Jefferson Bunuan, qui voulait devenir policier. Cet étudiant de vingt ans est grièvement blessé lors d’une opération de police. La religieuse rend lui visite sur son lit de mort. Ce moment fut décisif pour elle. »Les prières ne suffisent pas», dira-t-elle plus tard.
Avec des amis, Sœur Nenet commence à se rendre au chevet des victimes supposées de cette guerre sanglante, afin d’écouter le témoignage des familles: »J’allais au chevet de l’un, puis un autre était tué, puis un autre, puis encore un autre… Cela ne s’arrête pas». Durant ces visites, elle organisait des temps de prière et plaisantait avec les familles des victimes pour les aider à se confier. Des notes, des observations et des souvenirs des familles, et des témoins de ceux qui ont été tués ou arrêtés, ont été recueillis dans le journal de Sœur Nenet.
Convoquée par la Cour Suprême
Ces écrits forment la base du dossier composant le recours collectif des résidents de San-Andres. Car aujourd’hui, Sœur Nenet, licenciée en droit social, fait l’objet d’une convocation par la Cour Suprême pour soutenir un recours collectif intenté par des familles de victimes de la communauté de San-Andres.
Dans une déclaration sous serment, la religieuse a détaillé les meurtres qu’elle a enregistrés, y compris les archives officielles qu’elle a pu assembler grâce aux familles et à l’aide de la police. Elle remarque d’ailleurs des incohérences dans les rapports de la police, comme des dates ou des numéros de série d’armes. De leur côté, les familles des victimes ont déclaré comment ces meurtres ont affecté leur vie, comment elles continuent de vivre dans la peur, alors qu’elles essaient de dépasser leur deuil.
«Des meurtres légitimes»
Sœur Nenet espère que ce recours en justice apaisera les gens, qu’ils réaliseront ainsi que leurs droits peuvent être revendiqués. Les résidents de San-Andes, en revanche, craignent la réaction des autorités, en particulier celle de la police, suspectée de complicité dans la mort de milliers de drogués et de dealers. Rosie Matio, membre laïque de la congrégation du Bon Pasteur, explique avoir été visitée de nuit par un policier qui voulait la convaincre de signer une déclaration affirmant que les meurtres étaient légitimes. Ceux qui combattent cette guerre meurtrière contre la drogue doivent faire face à de nombreuses épreuves.
Pour Sœur Nenet, les drogués ont besoin de se sentir importants, eux aussi. Ce recours en justice est pour la religieuse le fruit des prières collectives. »Nous avons prié pour qu’il y ait quelque chose que nous puissions faire», se rappelle-t-elle.
«Arrêtez de tuer et commencez à soigner»
Chaque semaine, Sœur Nenet prie avec les familles des victimes. Ils allument une bougie devant le Saint Sacrement et prient en silence. La religieuse pense que les catholiques doivent défendre la vie, »même la vie de ceux qui font le mal», car il faut leur donner une chance de changer. Devant l’autel de leur chapelle communautaire, une bannière affiche ces mots: »Stop the killings and start the healings» (»Arrêtez de tuer et commencez à soigner»). (cath.ch/eda/gr)