22e Journées François de Sales: une vérité aux multiples visages
Les multiples visages de la vérité ont été au cœur des débats des 300 journalistes catholiques réunis à Lourdes du 24 au 26 janvier 2018 pour les 22e Journées François de Sales. Entre une vérité qui libère et une vérité qui conduit à la haine et à la violence, la ligne de crête est parfois étroite. La vérité se fait en chemin. Bref tour d’horizons de quelques-unes des contributions.
La pire accusation pour un journaliste est de s’entendre dire que ce qu’il a écrit ou dit n’est pas vrai, résume Jérôme Chapuis, rédacteur en chef à RTL. Le président américain Donald Trump n’est de loin pas le premier ni le dernier chef d’Etat à accuser la presse de mentir. Depuis toujours, le messager est accusé de détourner le message à son profit. A l’interpellation «ce que vous dites n’est pas vrai», Jérôme Chapuis aime à répondre: «C’est mon métier de journaliste de sélectionner, de hiérarchiser d’interpréter, d’analyser.» La vérité n’est pas une possession, elle se partage. Et le journaliste doit rester à sa place pour faire en sorte que la parole circule. «La manière dont ma parole est reçue me m’appartient pas. Le lecteur ou l’auditeur pourra toujours se sentir trahi.»
Le journaliste mis sur la touche
Depuis une dizaine d’années, on assiste cependant à une crise de la parole publique. Jérôme Chapuis y voit plusieurs causes. La première est l’explosion d’une parole permanente par les chaînes d’information en continu, puis par les réseaux sociaux. La deuxième est la suppression des intermédiaires, puisque n’importe qui peut s’exprimer sur n’importe quel sujet, n’importe quand. La troisième plus insidieuse est l’automatisation des processus de hiérarchisation par les moteurs de recherche sur internet tels que Google. Les talk-shows, qui mêlent information et divertissement, sont aussi une des causes de la dévalorisation du journalisme. Enfin les sources ‘alternatives’ affirment révéler «ce que les médias ne vous ont pas dit ou montré».
«Ecouter n’est jamais facile, vouloir comprendre est difficile»
Face à cette évolution, le journaliste se sent un peu démuni et impuissant. Puisque le dernier à prendre la parole a raison. Mais pour Jérôme Chapuis, il s’agit peut-être aussi d’une époque providentielle pour les journalistes pour réapprendre leur métier. Au-delà du service-minimum, de la fiabilité et de la vérification des faits, il plaide pour une nouvelle attitude, faite de cohérence, de proximité, de qualité du regard, de l’écoute et de l’expression. «Ce sont les conditions pour faire circuler une parole vraie, pour permettre de s’entendre dans tous les sens du terme.»
Médias catholiques américains pas assez ouverts
Helen Osman, présidente de Signis, association catholique mondiale pour la communication, va dans la même direction en invitant à renouveler l’engagement dans le journalisme de proximité. Pour l’Américaine, le journaliste catholique ne peut pas être un simple critique qui ne s’investit pas dans la société et ne s’intéresse pas à ceux qui ne viennent pas à la messe. Ecouter n’est jamais facile, vouloir comprendre est difficile. Cela exige une sorte de sacrifice personnel. Elle déplore que les médias catholiques des Etats-Unis se cantonnent trop souvent à la défense d’une foi, au risque de s’éloigner de la réalité de la vie.
Politiciens et journalistes: même combat?
«Lénine disait que la vérité est toujours révolutionnaire», note Amélie de Montchalin. La jeune députée de la République en marche de l’Essone tire un parallèle entre le journalisme et son travail politique. «Il est toujours plus facile de baser son opinion sur un tract en gros caractère que sur la lecture d’un rapport circonstancié de plusieurs centaines de pages.» Et de faire l’apologie de la complexité. Il s’agit de poser le débat calmement, méthodiquement, pour le rendre compréhensible.
«A Lourdes, nous devons accepter qu’il n’y a pas de miracles»
La politicienne, qui revendique sa formation jésuite, refuse le complot, l’omission et la caricature. Elle rejette aussi une conception manichéenne du oui et du non. «A Lourdes, nous devons accepter qu’il n’y a pas de miracles». Pour elle, le langage est d’abord celui de l’action et de l’engagement. Pour passer de l’opinion à la conviction, la bonne foi, l’entièreté de celui qui parle sont prépondérantes. Il s’agit de passer de la voix à la Parole.
Comme des puits d’eau pure
En 37 ans de journalisme, Marco Tarquinio, aujourd’hui directeur du quotidien de la Conférence épiscopale italienne Avvenire, a vu changer le monde des médias. Face au mythe de la vitesse, du scoop, du buzz, de la vérité superficielle au service des oligopoles, il invite ses collègues à être comme des puits d’eau potable, transparente, propre et saine. Pour lui, le vaccin et l’antidote sont une relation fraternelle dans une communication concitoyenne pour défendre un homme et une femme concrets. Cela dépasse le fait d’être croyant ou non.
«Sans la vérité, le monde est plus froid»
Reprenant un néologisme du pape François, le Père Jose Gabriel Vera dénonce le «photoshopping» qui change la perception de la réalité. Pour le porte-parole de la Conférence épiscopale espagnole, on ne peut rien construire sur des «fake news», littéralement des ‘nouvelles de contrefaçon’. L’âge de la post-vérité des philosophes ou des sociologues pourrait bien être celui de la post-beauté. «Sans la vérité, le monde est plus froid.» Pour une vraie communication, il invite les prêtres, les journalistes et les communicants à être des serviteurs de la vérité. (cath.ch/mp)