L'écocide, un crime contre nature
Le concept d’»écocide» était au cœur d’une conférence, le 15 novembre 2017, au Collège pour adultes Alice-Rivaz à Genève. La sanction contre les atteintes à l’écosystème s’impose peu à peu. Pourtant, la vision de l’homme comme gardien et non plus comme maître de la Terre ne va pas encore de soi.
Le concept d’écocide est construit à partir des termes ‘écosystème’ et ‘génocide’, mais le néologisme dérange, soulignent les conférenciers. Inscrire l’écocide en tant que crime contre l’humanité va radicalement à l’encontre des intérêts de multinationales qui font du profit avec le trafic d’animaux ou de végétaux protégés, la pétrochimie ou le nucléaire, estime la juriste Valérie Cabanes, porte-parole du mouvement «End Ecocide on Earth». Pourtant, les initiatives pour la reconnaissance de ce «crime» se multiplient partout dans le monde, avec plus de 700 cas en cours d’instruction.
La nature comme sujet de droit
Les deux intervenants réunis au collège Alice-Rivaz proposent des approches différentes, mais complémentaires, de cette problématique. Valérie Cabanes envisage des solutions en questionnant la relation que les citoyens entretiennent avec la Terre, leur maison. Laurent Neyret, professeur de droit à l’Université de Paris-Versailles, spécialisé en criminalité environnementale, analyse et met à contribution les outils existants du droit pour préserver l’environnement.
«Laudato Si’ peut être considérée comme une révolution des mentalités»
Les deux conférenciers s’accordent à dire que le droit international est «mal outillé pour limiter les atteintes faites à la vie sur Terre». Laurent Neyret ajoute que dans les crimes contre l’environnement «le profit est élevé et le risque zéro». Aux Etats-Unis, 1 kg de cocaïne équivaut à 28’000 dollars et peut valoir 10 ans de prison à son détenteur, alors qu’1 kg de poudre de corne de rhinocéros se négocie 70’000 dollars et que sa possession n’est sanctionnée que d’un an de détention.
D’une part, des traités contraignants et des sanctions qui touchent à la confiscation de l’argent du crime doivent être mis en place au niveau international. D’autre part, selon Valérie Cabanes, le citoyen doit «titiller les juges afin de créer une jurisprudence». L’individu a aussi un rôle à jouer dans la sauvegarde de sa maison.
Revenir à la Genèse de l’écologie
Dans un entretien avec cath.ch en marge de la conférence, Valérie Cabanes estime que «notre éducation judéo-chrétienne, qui dans certaines interprétations de la Genèse confère à l’homme une supériorité vis-à-vis de la nature, aurait conduit les Occidentaux à se considérer comme extérieurs à elle, laissant place à une prétention fatale de domination de tout le vivant. «Nous trouvons cette vision pyramidale dans toutes nos sociétés. Cette compréhension dominatrice et prédatrice a préfiguré une opposition entre les peuples qui adhèrent à cette vision du monde et les autres». Elle ajoute que cette conception a justifié le pillage des richesses d’autres territoires. Un retour aux fondamentaux s’impose donc selon elle
«’Adam’ ne vient-il d’ailleurs pas du mot hébreu qui signifie ‘terre’?»
Un mouvement dans lequel le pape François s’est engagé avec son encyclique Laudato Si’ sur l’écologie humaine, publiée en juin 2015. «Le pape adopte une attitude courageuse et fascinante lorsqu’il dit que nous avons loupé quelque chose. L’humain s’est attaché à comprendre ce qui l’arrangeait en oubliant l’émerveillement et la gratitude face à la Création», avance Valérie Cabanes. Laudato Si’ peut ainsi être considérée comme une révolution des mentalités. La juriste se réjouit que l’encyclique rejette la compréhension despotique de l’homme pour se caler sur une explication de l’humain comme gardien de la Terre. La Création a une valeur intrinsèque dont l’homme doit prendre soin.
Le rôle essentiel des leaders spirituels
Loin de rester lettre morte, elle juge que l’ouvrage a provoqué une prise de conscience. En France, le Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre Solidaire a d’ailleurs lancé une grande «campagne de désinvestissement». Ce comité a poussé les communautés chrétiennes à ne plus être actionnaires auprès des multinationales qui vont à l’encontre des intérêts de la nature et des peuples.
Pour la juriste, «le rôle des leaders spirituels est de démontrer qu’il est possible de trouver dans les textes sacrés une source d’inspiration pour réapprendre à vivre en harmonie avec le vivant». En d’autres termes, l’écologie intégrale passe par un retour aux racines des textes sacrés des monothéismes. ‘Adam’ ne vient-il d’ailleurs pas du mot hébreu qui signifie ‘terre’? (cath.ch/myb/rz)
Référence: Valérie Cabanes, Homo natura. En harmonie avec le vivant, Buchet/Chastel, Dans le vif, 2017