Le Père Bruno Cazin est prêtre et hématologue (Maurice Page)
Suisse

Bruno Cazin: «La maladie est une opération-vérité»

La maladie est une opération-vérité. Bruno Cazin parle d’expérience. Prêtre et médecin, il a soigné des milliers de malades atteints de leucémie sous toutes ses formes. Durant 33 ans de pratique médicale, il a lutté contre la maladie, mais surtout rencontré des personnes. Pour lui, la maladie a une dimension spirituelle. Elle ouvre la porte à la gratuité et au don. Deux réalités trop absentes de la mentalité contemporaine.

Comment Bruno Cazin a découvert le Christ dans les malades

Au cœur même de la maladie, souvent mortelle à plus ou moins brève échéance, Bruno Cazin a été témoin de véritables renaissances spirituelles. A l’occasion des Rendez-vous de la basilique, le 7 novembre 2017 à Neuchâtel, le prêtre, aujourd’hui vicaire général du diocèse de Lille en France, a raconté comment le malheur de la maladie peut être un puissant révélateur de notre condition humaine. Il a rassemblé ses expériences dans un livre intitulé «Dieu m’a donné rendez-vous à l’hôpital«, paru en 2015.

Dans un monde médical hanté par la performance, le rendement, le taux de réussite, les statistiques, et soumis à la pression économique, Bruno Cazin parle de dignité, de don, de gratuité. Certes les progrès de là médecine, en particulier dans son domaine de l’hématologie, ont permis des avancées considérables, prolongeant de beaucoup l’espérance de vie des malades atteints de leucémie, mais l’essentiel reste de voir la personne dans son ensemble, de ne pas l’enfermer dans la maladie.

«Nous trichons avec la réalité»

Lors de l’annonce d’un diagnostic, le mot leucémie fait l’effet d’une bombe. La mort, que l’on avait plutôt ignorée jusque-là, se profile à nouveau, explique Bruno Cazin. Contrairement à d’autres cancers le plus souvent localisés, la leucémie, en tant que maladie du sang, est présente dans tout le corps où le sang circule. Elle semble encore plus fatale. L’annonce de la maladie bouleverse le patient, mais aussi son entourage confronté à ses propres angoisses de mort.

«Rencontrer la vérité de son être est positif»

Le travail intérieur face à cette situation nouvelle est soit fulgurant, soit très long et laborieux, témoigne le prêtre. Il s’agit d’intégrer et d’accepter sa vulnérabilité de consentir à sa fragilité fondamentale. Dans ce sens, la maladie est une opération-vérité. Une vérité universelle. «J’ai rencontré des enfants de 4 ans qui savaient qu’ils allaient mourir et qui voulaient en épargner la nouvelle à leurs parents.» Les biens portants vivent comme s’ils n’étaient pas mortels. «Nous trichons avec la réalité!» Face au diagnostic d’une leucémie, tricher est interdit. Cette révélation n’est pas si douloureuse. Rencontrer la vérité de son être est positif, ose Bruno Cazin.

«Nous ne sommes pas seuls»

La maladie permet une deuxième découverte tout aussi fondamentale: «Nous ne sommes pas seuls. L’illusion de l’autonomie individuelle est la plus grande méprise de l’homme moderne. Il en crève!» Dans le soin, par les proches, le personnel soignant, les bénévoles, le malade découvre combien il existe par les autres. L’expérience de cette dépendance, par l’affection, l’attention, la délicatesse, est très forte. Bruno Cazin se souvient de ce patient très modeste, pour qui il n’y avait plus grand-chose à faire, et qui l’inondait de «mercis», au point de le mettre mal à l’aise. «Vous savez mon Père, le plus dur n’est pas la maladie, c’est la société.» On l’avait traité tout sa vie comme un illettré. «Mais ici à l’hôpital, j’ai été traité comme tout le monde». On avait enfin reconnu sa dignité.

«Ma vie, je ne la possède pas, je la reçois»

Manifester sa dignité à chaque personne, indépendamment de la performance, au-delà des injustices et de l’exclusion est une nécessité plus actuelle que jamais. A une personne âgée hantée par l’idée de devenir dépendante, Bruno Cazin a simplement rappelé qu’à sa naissance et pendant plusieurs années, elle avait été dépendante de ses parents. «Ma vie, je ne la possède pas, je la reçois. Elle est un don lié à l’amour». Pour les croyants, cette expérience se rattache à Dieu qui est tout amour et toute vie. «Les gens sont cons, ils ne comprennent rien, même mes proches, déplorait un malade musulman tunisien. La chose essentielle, c’est le don.» Beaucoup de malades vivent cette renaissance spirituelle, témoigne le prêtre.

«Tu ne sais pas que tu es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu!»

Le lien avec la tradition biblique est une évidence. «Tu dis: ‘ Je suis riche, je me suis enrichi, je ne manque de rien’. Et tu ne sais pas que tu es malheureux, pitoyable, pauvre, aveugle et nu!» dit l’ange de l’Apocalypse (3,17).

«La terre, je connais, mais le ciel, je ne connais pas»

La maladie interroge aussi le rapport au temps. Aujourd’hui, face au progrès de l’espérance de vie, mourir à moins de 80 ans est une catastrophe, note Bruno Cazin. Mais lorsque l’on est malade, la gratuité l’emporte sur la comptabilité. En témoigne ce Maghrébin de 33 ans, papa de deux enfants qui se savait condamné. «J’ai confiance en Dieu et j’ai acheté deux maisons pour mes enfants pour qu’ils ne manquent de rien.» Il ne calculait pas pour lui, mais pensait aux autres.

A l’inverse de cette catholique pratiquante, âgée de 71 ans, qui calculait et ‘négociait’ le temps qui lui restait en expliquant au prêtre: «La terre je connais, mais le ciel je ne connais pas». Les musulmans nous donnent souvent des leçons sur la confiance et l’abandon à Dieu, reconnaît le prêtre.

«Il faut sortir de l’impasse du ressentiment»

Cet abandon n’exclut pas la souffrance. «Je n’ai pas de réponse. La première chose est de la soulager, mais c’est une illusion de laisser entendre que l’on peut l’éradiquer. Le croire peut faire très mal. La deuxième réponse est cette tendresse aimante qui est l’attribut même de Dieu.» Aider la personne à sortir de l’impasse du ressentiment du ‘pourquoi moi?’ peut aussi être une démarche décisive.

«Je n’aime pas les enterrements sans fleurs»

«Je n’aime pas les avis mortuaires où il est écrit: pas de fleurs, mais faites un don à… «, s’irrite Bruno Cazin. «Les fleurs ne servent à rien, mais il est important d’avoir des choses qui ne servent à rien. Lorsqu’une vie se termine, pouvoir redire ‘je t’aime’ avec des fleurs est bon. Dans leur gratuité, elles témoignent de l’amour et l’attachement à une personne. Nous assistons à une sorte de barbarie moderne qui appauvrit l’homme de cette dimension. Je trouve mal-heureux de dire ‘pas de fleurs’», conclut le prêtre. (cath.ch/mp)

Le Père Bruno Cazin est prêtre et hématologue (Maurice Page)
8 novembre 2017 | 12:17
par Maurice Page
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