Au Brésil, beaucoup de "travailleurs esclaves" se trouvent dans le secteur de la canne à sucre | photo d'illustration Jean-Claude Gerez)
International

Brésil: la CPT dénonce au pape la fin de la lutte contre le travail esclave

La Commission pastorale de la terre (CPT), une entité liée à la Conférence nationale de évêques du Brésil (CNBB), a envoyé au pape François une lettre dénonçant les irrégularités de l’ordonnance n°1129 signée par le gouvernement du président Michel Temer. Le texte modifie en effet la définition juridique du travail esclave.

Selon cette ordonnance, signée le 16 octobre dernier, les conditions de travail qui s’assimilent à de l’esclavage moderne seront presque exclusivement limitées aux situations de privation de liberté. Le texte ne prend donc plus en compte les notions de conditions de travail dégradantes stipulées auparavant.

Dès sa publication, le texte du gouvernement avait suscité une avalanche de critiques au Brésil, y compris de la part de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, qui avait dénoncé un «recul inacceptable». L’ONU avait également  exprimé sa profonde inquiétude.

Dans la lettre au pape François, la CPT critique en quatre points le contenu de cette ordonnance gouvernementale qui réduit la compétence du législateur et s’oppose au cadre établi, tant par la Constitution fédérale que dans les conventions et traités internationaux signés par le Brésil.

Dévalorisation la loi

Premier constat pour les auteurs de la lettre adressée le 23 octobre 2017 au Saint-Père: la définition légale du travail esclave en vigueur au Brésil depuis 2003, tel que le stipule l’article 149 du Code pénal, a été dévalorisée. Selon cet article, «est considéré comme condition analogue à de l’esclavage les (quatre) situations de ‘travail forcé’, ‘service pour remboursement d’une dette’, ‘conditions dégradantes’ et ‘journée de travail épuisante’.»

Pour donner une idée du panorama brésilien, le courrier rappelle que sur 126 cas enregistrés entre 2015 et 2017, 75% se rangeaient dans la catégorie »conditions dégradantes». L’élimination de ce critère revient autrement dit à occulter les trois quarts des situations de travail esclave.

Travail épuisant, une sous-rubrique

Second grief, l’ordonnance établit que les «conditions dégradantes» et la «journée de travail épuisante» seront seulement des sous-rubriques de la «liberté de déplacement». «Or, d›après l’article 149 du Code pénal, chacun des quatre éléments est suffisant pour caractériser l’exploitation en condition analogue à de l’esclavage», rappellent les auteurs du courrier. La CPT se dit d’ailleurs convaincue que ce nouveau classement va entraîner l’augmentation du nombre de personnes délaissées par les services de vérification du ministère du Travail.

Contraintes administratives trop lourdes

Dans un troisième point, la CPT assure que les prérogatives des agents chargés d’enquêter sur les conditions analogues à du travail esclave ont été réduites. »Le flagrant délit de travail esclave ne pourra désormais être établi que si est constaté l’empêchement d’aller et venir du travailleur, dans un contexte de contrainte, de menaces et de violences, qui doit être confirmé par une plainte déposée auprès des forces de police». La CPT pointe par ailleurs les exigences et les lourdeurs administratives auxquelles les agents devront se soumettre en cas d’application de cette ordonnance, compliquant encore d’avantage leur mission.

«Liste sale», au bon vouloir du ministre

Le dernier point dénoncé dans le courrier au pape concerne le fait que seul le ministre du Travail pourra inclure ou non dans le Registre national public, connu comme «Liste sale», les noms des personnes et des entreprises qui se sont rendues coupables de tels crimes. «Une telle mesure va ôter toute crédibilité à un outil de transparence sociale, qui va ainsi devenir un instrument soumis à l’opportunisme politique du ministre».

Pour conclure leur missive au pontife, les membres de la CPT ont estimé qu’avec ces nouvelles règles «notre pays n’a pas les moyens de poursuivre sa politique effective contre le travail esclave, commencée en 1995 sous le gouvernement du président de l’époque, Fernando Henrique Cardoso, et qui s’est poursuivie et améliorée sous les gouvernements successifs du président élu Luís Inácio Lula da Silva et de la présidente également élue Dilma Rousseff.» Les auteurs de la lettre entendent souligner que Michel Temer a été amené au pouvoir par un «coup d’Etat» parlementaire.

Ordonnance suspendue par la Justice

Saisie par le parti de gauche écologiste Rede, Rosa Weber, une juge du Tribunal de Justice (STJ), a suspendu le 24 octobre l’application de cette ordonnance polémique. Il revient désormais à la Cour suprême de rendre son verdict.

 Le Brésil est le dernier pays d’Amérique à avoir aboli l’esclavage, en 1888. Aujourd’hui, de nombreuses plaintes sur l’esclavage moderne visent les grands propriétaires terriens, dont les représentants politiques, réunis dans la «bancada ruralista», sont majoritaires au Congrès. Ce groupe d’élus a déjà voté une fois contre le lancement d’une enquête parlementaire visant à engager un procès en destitution du président Temer, soupçonné de corruption. (cath.ch/jcg/rz)

Au Brésil, beaucoup de «travailleurs esclaves» se trouvent dans le secteur de la canne à sucre | photo d'illustration Jean-Claude Gerez)
1 novembre 2017 | 10:21
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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