Falk Van Gaver: «L'Evangile s'oppose aux conséquences du capitalisme»
Le journaliste et essayiste français Falk Van Gaver publie «Christianisme contre capitalisme?». Quelques «pistes hardiment tracées» à travers lesquelles il souligne l’incompatibilité entre l’Evangile et l’illusion d’une croissance infinie.
En quoi l’Evangile s’oppose-t-il au capitalisme?
Falk Van Gaver: On ne peut pas mettre sur le même plan l’Evangile et le capitalisme: d’un côté, la «bonne nouvelle» du Christ Jésus; de l’autre un système économique massif mais aux contours flous. Les exigences de l’Evangile s’opposent au capitalisme dans ses conséquences économiques, politiques et sociales: d’un côté, le règne de l’amour, du Dieu Amour; de l’autre, le règne de l’argent, du dieu argent. Or, on ne peut pas servir deux maîtres à la fois, on ne peut servir Dieu et Mammon – et ceux qui veulent concilier service de Dieu et service de l’argent finissent par servir le dieu argent.
Dans l’Evangile, Jésus affirme qu’il est plus dur à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu (Mc 10, 25). Vous dénoncez les tentatives d’édulcorer ce passage. La pauvreté spirituelle se traduit et s’acquiert par la pauvreté matérielle, selon vous.
Quand on est chrétien, on n’a pas le choix: il faut passer par la croix, et avant, par le chas de l’aiguille – se préparer à la croix par le chas. Jésus a été très clair là-dessus, avec le jeune homme riche, avec ses malédictions des riches qui suivent ses bénédictions des pauvres dans les Béatitudes. A chacun de voir ce qu’il peut ou veut faire concrètement en ce sens. Mais la direction générale est très claire!
Vous dénoncez une forme de «schizophrénie»: beaucoup de catholiques, notamment en France, entendent volontiers l’Eglise quand elle défend la famille et la vie. Moins lorsqu’il s’agit de questions économiques sociales ou écologiques. Quelle en est la cause?
C’est d’abord le fait d’une sociologie en partie bourgeoise du catholicisme et du christianisme en général en France. Du moins la domination de la bourgeoisie chrétienne dans les Eglises de France et d’Europe occidentale, notamment dans le clergé. Une domination qui se traduit par des votes et des engagements politiques massivement droitistes ainsi qu’un resserrement identitaire sur la spécificité des engagements catholiques. Il y a peut-être également une question de «division du travail». On pense que tout le monde se «préoccupe» du social ou de l’écologie. La spécificité des chrétiens serait dès lors de défendre ce que personne ne défend, comme le droit de vivre des enfants à naître.
La logique du capitalisme dépasse le domaine purement économique. Vous consacrez une large partie de votre réflexion à l’écologie, en insistant sur la solidarité ontologique de l’humain et du vivant. Qu’est-ce qui fonde cette solidarité?
Pour les chrétiens, toute créature possède la dignité intrinsèque de création divine. Parmi les créatures vivantes, les animaux sont pourvus de cette dignité de manière toute particulière. C’est d’ailleurs parmi elles qu’Adam cherche une aide qui lui corresponde – la création d’Eve, dans le mythe biblique. Dans la Genèse, la première bénédiction de Dieu est donnée aux animaux. Ensuite aux hommes. Contrairement à l’opinion répétée ici et là, ce n’est pas l’homme qui est jugé «très bon» mais l’ensemble de la création – un ensemble lié et relié, où toutes les créatures sont solidaires, avant que le péché de l’homme ne détruise l’équilibre édénique. Toute la cosmologie et la biologie modernes et contemporaines ne font que confirmer cette solidarité ontologique.
Dès lors, que penser de l’antispécisme?
J’ai de nombreux amis, dont des chrétiens, antispécistes et je le suis moi-même – si l’on entend par «antispécisme» non pas la négation des différences interspécifiques, mais le refus de la domination anthropocentrique. L’antispécisme est l’équivalent dans le règne animal de l’antiracisme dans le genre humain. Il y a dans la tradition chrétienne tous les éléments pour un antispécisme chrétien. Prenons seulement l’exemple de saint François d’Assise, qui enlève vers et insectes du chemin pour qu’ils ne se fassent pas écraser, et à l’heure où l’on tire les quelques loups qui reviennent en France, repensons à l’épisode du loup de Gubbio, une merveille de diplomatie interspécifique.
La lutte contre le capitalisme s’inscrit, selon vous, dans un changement de paradigme social. Comment l’Eglise rejoint-elle ce mouvement?
Ecologie et autonomie, voilà les deux maîtres mots. Avec l’»écologie intégrale» et la subsidiarité, l’Eglise a traduit ces exigences dans sa doctrine sociale. A chaque chrétien de les incarner dans la société! (cath.ch/pp)
A lire: Falk van Gaver, Christianisme contre capitalisme?, Cerf, Paris, 2017, 176 pages.
Falk van Gaver est journaliste, essayiste, diplômé de l’institut d’Etudes politiques de Paris. Il est l’un des fondateur de la revue trimestrielle d’écologie intégrale Limite. Il a notamment publié «Anarchrist. Une histoire de l’anarchisme chrétien» (2015) et L’Écologie selon Jésus-Christ (2011).