Genève le 18 octobre 2017. Centre de catéchèse de Genève. Caroline Baertschi, auteure du livre "Les enfants, portiers du Royaume". | © B. Hallet
Suisse

Caroline Baertschi: «L'enfant théologien nous ouvre les portes du Royaume»

Nous avons beaucoup à apprendre de l’enfant théologien et il faut l’écouter, affirme Caroline Baertschi, collaboratrice au service catholique de la catéchèse de l’Eglise catholique romaine de Genève. Une thèse qui bouleverse la pratique de la catéchèse et qu’elle développe dans Les enfants, portiers du Royaume, qu’elle a publié le 15 octobre 2017.

Qu’entendez-vous par «enfant théologien»?
L’enfant théologien se décrit par ses paroles, son attitude, ses réflexions qui nous parlent de Dieu.

Avez-vous un exemple?
Pas plus tard qu’hier soir, une catéchète me racontait la première rencontre de l’année. Beaucoup d’enfants y venaient pour la première fois. Elle avait écrit sur une nappe «Dieu c’est…», Jésus c’est…». Les enfants devaient compléter en s’aidant éventuellement d’une série de mots qui leurs étaient proposés. Un enfant avait écrit: «Dieu c’est l’amour, une fois qu’on a son amour, il ne nous faut plus rien d’autre». Un autre enfant a pris le mot «Esprit-Saint», l’a posé entre les mots «Dieu» et «Jésus» et les a reliés par deux flèches. Des théologiens travaillent des années sur la Trinité et cet enfant de huit ans nous indique la Trinité par un simple geste.

Est-ce le regard que l’on porte sur l’enfant qui doit changer?
Oui, Jerôme Berryman, le concepteur de la méthode Godly Play*, que nous pratiquons à Genève, parlait de la vision haute et de la vision basse qu’on peut avoir sur l’enfant. La vision basse: parce qu’il est petit et pauvre et qu’il ne vaut rien, alors Jésus s’est intéressé à lui comme il s’est intéressé aux pauvres. La vision haute explique à contrario que le Christ s’est intéressé à l’enfant pour sa valeur intrinsèque et pour ce qu’il avait à dire aux disciples. Il a donné une place à l’enfant théologien qui nous ouvre les portes du Royaume.

Si l’enfant est théologien, quel est le rôle du catéchète?
Avant tout il accompagne l’enfant. On donne un cadre, chrétien en l’occurrence, on amène le langage chrétien, le texte biblique, le temps, l’espace, les silences. L’enfant va rentrer dedans et va pouvoir s’exprimer et exprimer ses représentations. Le catéchète l’accompagne dans ses représentations, tout au long de la narration d’un texte biblique. On le laisse découvrir la parabole et les personnages pour que l’enfant se questionne et puisse donner ses propres réponses.

Le Christ a donné une place à l’enfant théologien

Vous parlez d’un accompagnement mais à un moment donné, l’adulte doit bien donner un enseignement pour dépasser la spontanéité de l’enfant?
L’évolution se fait naturellement. On raconte les textes bibliques régulièrement. Les enfants vont les entendre plusieurs fois dans leur vie de catéchèse. D’une fois à l’autre, ils vont l’entendre différemment puisqu’ils grandissent. Leur développement religieux accompagne leur développement physique et intellectuel. Leurs représentations vont évoluer avec eux. C’est là la force des textes bibliques.

Vous leur donnez les réponses?
Non, ils les trouvent eux-mêmes. il faut les aider à franchir les étapes dans un dialogue qui leur permette d’avancer sans imposer nos réponses d’adultes. On peut en revanche chercher avec eux, que ce soit dans la Bible ou avec des références de la Tradition. Les enfants peuvent aussi chercher entre eux. Chaque enfant aura ses réponses qui vont lui convenir au moment où ils les donne.

Le Christ a renversé les valeurs en mettant le petit au centre

Vous évoquez l’enfant théologien qui va catéchiser les adultes, c’est le monde à l’envers.
C’est ce qu’a fait le Christ. Tout le monde le reconnaît. Il a renversé les valeurs en mettant le petit au centre pour donner un enseignement aux Douze. La théologie de l’enfance reprend toutes les qualités de l’enfant pour dire comment doit se comporter le disciple. Puisque l’enfant a ces qualités, il est bien le premier disciple.

Opposez-vous la théologie de l’enfant à celle des adultes?
Je ne l’oppose pas, comme je n’oppose pas non plus la spiritualité de l’enfant à celle de l’adulte. Je dis, qu’on doit l’écouter, en tenir compte et nous laisser bousculer par elle.

Par rapport aux trente dernières années, c’est un grand changement dans l’enseignement religieux.
Oui, ce changement est en cours et il est loin d’être achevé. Nous nous trouvons dans une période charnière. Ici au service de catéchèse de Genève, nous le promouvons et nous évoluons vers cette pédagogie depuis une dizaine d’années. Mais les paroisses ne sont pas encore dans cette optique de l’enfant théologien.

Nous devons nous laisser bousculer par la spiritualité de l’enfant

Le fait que des enfants catéchisent les adultes est une conception assez novatrice de l’éducation religieuse.
C’est séduisant. Aujourd’hui, le regard sur l’enfant est autre. Les catéchètes expérimentés, comprennent tout de suite de ce dont on parle. Nous avons tous vécu ces moments où des enfants nous «scotchent» par des réflexions ou des observations étonnantes. Simplement, nous ne nous y arrêtions pas. Nous ne cherchions pas à aller plus loin. Lorsque de mes recherches, j’ai eu de nombreux retours de personnes ayant reçus des réactions d’enfants. Elles reconnaissent ces attitudes et ces réflexions. Elles n’ont donc aucune peine à entrer dans cette pédagogie, à l’inverse de personnes n’ayant jamais fait de catéchèse.

Genève le 18 octobre 2017. Centre de catéchèse de Genève. Caroline Baertschi, auteure du livre «Les enfants, portiers du Royaume». | © B. Hallet

L’éducateur a le devoir de se taire.
Exactement. Il doit se taire pour éviter un jugement, une correction. Nous devons faire preuve d’humilité face aux enfants. C’est ce que dit Jésus en remettant l’enfant au centre. Aujourd’hui la parole de l’enfant est écoutée dans la société, la famille. Cette parole est encore jugée et corrigée dans le cadre de la catéchèse. Or en creusant un peu, on se rend compte que l’enfant a beaucoup à dire et que ce qu’il dit est juste et profond. (cath.ch/bh)

Caroline Baertschi: Les enfants, portiers du Royaume, 155 p. Editions Cabedita, 2017


*La méthode Godly Play (»Jouer avec Dieu») a été mise au point par par le théologien pasteur et pédagogue américain Jerome W. Berryman. Les enfants sont initiés à la compréhension chrétienne de Dieu dans un espace dédié et spécialement aménagé pour eux. Ils y trouvent des jeux, des figurines, des objets en lien avec la Bible et les textes de la Tradition qui leur permettent de s’exprimer sur la Parole de Dieu. La notion d’enfant théologien s’y décline selon trois axes, dans une théologie:
– Par les enfants: écouter et considérer avec sérieux leurs interprétations.
– Avec les enfants: prendre leurs réponses et leurs interprétations comme point de départ pour un échange théologique.
– Pour les enfants: apporter des éléments de la Bible et de la Tradition qui permettent d’avancer dans leur réflexion.


De l’IFM aux enfants portiers

Vous pratiquez la catéchèse depuis plus de 30 ans. La sortie de ce livre est une étape importante pour vous?
Je ne m’attendais pas du tout à en arriver là. A l’issue des conférences que j’ai données, j’ai souvent été interpellée par des personnes qui me demandaient des documents écrits de ce que j’exposais. Certaines m’ont suggéré d’écrire un livre. J’ai donc orienté mes recherches sur l’enfant théologien. J’ai évolué moi aussi. Les enfants m’y ont aidé. Leurs réflexions ont fait écho en moi et mes recherches ont été une manière d’y répondre.

J’en ai fait mon sujet dans le cadre de mes études à l’Institut romand de formation aux ministères (IFM) de Fribourg. D’abord sur la théologie de l’enfant en institution puis pour mon travail de diplôme où j’ai parlé de l’enfant théologien dont les paroles ont une valeur théologique. J’ai entamé des recherches, d’abord très académiques, sur le travail des théologiens à ce sujet.

Genève le 18 octobre 2017. Centre de catéchèse de Genève. Caroline Baertschi, auteure du livre «Les enfants, portiers du Royaume». | © B. Hallet
20 octobre 2017 | 08:35
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 5  min.
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