Des Rohingyas fuient les persécutions en Birmanie (Photo: European Commission DG ECHO/Flickr/CC BY-ND 2.0)
International

Birmanie: responsables religieux indulgents face à l'exil des Rohingyas

«Crimes contre l’humanité, nettoyage ethnique». La communauté internationale n’a pas hésité à recourir à un vocabulaire vigoureux pour dénoncer la férocité des opérations de l’armée birmane dans la province de l’Arakan qui ont provoqué la fuite de 500’000 Rohingyas musulmans au Bangladesh voisin. Mais du côté des responsables religieux dans le pays, le ton est beaucoup plus prudent voire indulgent, chez les bouddhistes, mais aussi chez les chrétiens et même les musulmans.

En Birmanie, les critiques sont absentes du débat politique, constate l’agence d’information des Missions étrangères de Paris Eglises d’Asie (EdA). «Ce n’est pas seulement la responsabilité du gouvernement et de la conseillère spéciale de l’Etat Aung San Suu Kyi», tempère par exemple U Wunna Shwe, secrétaire général du Conseil religieux des affaires islamiques de Birmanie, une des organisations qui représentent les 2,2 millions de musulmans du pays.»

Aux affaires depuis un an et demi, le gouvernement civil de la conseillère spéciale de l’Etat Aung San Suu Kyi dispose d’une marge de manœuvre limitée, relèvent les religieux. Les ministères de l’Intérieur, des Affaires frontalières et de la Défense restent contrôlés par l’armée. De fait, c’est elle qui a compétence pour gérer la crise dans l’Arakan, adossée à la frontière bangladaise.

Faire travailler ensemble autorités civiles et militaires

En un mois, près de 500’000 Rohingyas musulmans ont fui la Birmanie pour se réfugier au Bangladesh. L’armée a mené des actions de représailles suite aux attaques simultanées, le 25 août dernier, de plusieurs dizaines de postes de police par l’ARSA, l’Armée du salut rohingya de l’Arakan, un groupe d’insurgés considéré comme une organisation terroriste.

La conseillère spéciale de l’Etat a tardé à réagir à ces violences. Elle n’a exprimé sa compassion que le 19 septembre dernier à l’occasion d’un discours télévisé d’une trentaine de minutes, prononcé en anglais et qui n’a pas convaincu. Elle a donné l’impression de minimiser la souffrance des Rohingyas et de justifier l’action de l’armée. Ces commentaires ont valu à Aung San Suu Kyi une volée de bois vert sur la scène internationale.

A Rangoun et en Birmanie, les réactions sont bien plus policées. Si les représentants musulmans réfreinent leurs critiques, les dignitaires bouddhistes soutiennent clairement le gouvernement et l’armée dans leur gestion de la crise.

U Pamdapimsa, membre du comité safran de la Sangha, un groupe de bonzes ayant participé au soulèvement pro-démocratie de 2007, va même plus loin: «Je ne crois pas que les militaires mènent des opérations agressives. Ils n’utilisent pas d’armes lourdes contre les terroristes rohingyas.»

En Birmanie, l’armée, qui a tenu le pays d’une main de fer pendant un demi-siècle (1962-2011), a restauré son image dans la majorité bouddhiste. Les militaires sont vus comme les défenseurs de la nation qui ripostent aux agresseurs.

Une des seules voix critiques provient du cardinal Charles Bo, archevêque de Rangoun, qui estime qu’Aung San Suu Kyi aurait forcément dû parler. Pour autant, il ne l’accable pas: «la stigmatiser et l’attaquer dans la presse ne sont pas des solutions de long terme. L’évincer du gouvernement signifierait la fin de nos aspirations à la démocratie», a-t-il expliqué au magazine Time. Et l’archevêque de Rangoun de conseiller de ne pas utiliser les expressions de génocide et de nettoyage ethnique afin de relâcher la tension.

La paix est le seul chemin

Dans un communiqué publié le 26 septembre, le cardinal Bo rappelle que la paix est le seul chemin. Signe de prudence, la Conférence des évêques catholiques de Birmanie a également préconisé de ne pas utiliser le mot rohingya. Elle a demandé au pape François de s’abstenir de le mentionner lors de son voyage à Rangoun fin novembre. Le gouvernement et la plupart des Birmans ne reconnaissent en effet pas aux Rohingyas une appartenance ethnique. Pour eux, ces musulmans sont des immigrés illégaux venus du Bangladesh voisin. Ils les nomment d’ailleurs uniquement Bengalis ou Bangladais.

Mgr Alexander Pyone Cho, évêque de Pyay, dont le diocèse s’étend sur l’Etat de l’Arakan, approuve les opérations militaires menées contre les insurgés. «Nous devons combattre les terroristes qui ont troublé la nation et le pays», a-t-il expliqué à EdA. Il veut néanmoins croire au rapatriement de la population rohingya qui a fui la Birmanie. «Aung San Suu Kyi a dit que le gouvernement accepterait de rapatrier ceux qui étaient présents légalement sur notre territoire», précise-t-il. Mais le gouvernement conditionne leur rapatriement à l’examen de preuves de nationalité ou d’origine. Or, la grande majorité des Rohingyas sont apatrides et le gouvernement birman leur a retiré leurs papiers d’identité provisoires en juin 2015. Autant d’obstacles qui hypothèquent leur éventuel retour en Birmanie. (cath.ch/eda/mp)

Des Rohingyas fuient les persécutions en Birmanie
3 octobre 2017 | 14:18
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 3  min.
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