Le culte rassemble les étudiants de HET-PRO dans la matinée | © B. Hallet
Suisse

St-Légier: une journée à la HET-PRO

La HET-PRO, une nouvelle filière de formation théologique protestante de tendance évangélique, a ouvert ses portes à St-Légier, en dessus de Vevey. Cath.ch s’est mêlé aux étudiants le jour de la rentrée, le 26 septembre 2017. L’occasion également de faire le point sur la controverse que ce nouveau cursus a suscité dans le monde protestant.

Il est 10h30 à la HET-PRO, sur le site du Forum Emmaüs, à St-Légier. Sur des airs de musique moderne, une trentaine d’étudiants chantent les louanges du Seigneur, les mains levées vers le ciel. Une scène que l’on verrait dans probablement peu d’autres hautes écoles. Mais la nouvelle filière théologique cultive sa différence.

Quelques heures plus tôt, par une fraîche matinée d’automne, la septantaine d’étudiants inscrits sont entrés en bon ordre dans le complexe des hauts de Vevey. L’endroit, qui offre une vue sublime sur le Léman, ne possède pas encore toute sa superbe. Les échafaudages contre les façades et les machines de chantier alentour devraient disparaître avec la fin des travaux de rénovation, fin octobre.

Prière spontanée

Ordinateurs portables, smartphones, chaussures de sport…rien ne distingue en apparence la quinzaine d’étudiants assistant au cours d’introduction à la théologie d’autres étudiants. Il sont majoritairement jeunes, même si leur groupe montre une grande diversité d’âges et d’origines.

Jean Decorvet, directeur de HET-PRO | © B. Hallet

Le cours commence de façon classique, avec présentation Powerpoint et exposé bibliographique. Mais, après une dizaine de minutes, alors que le professeur Jean Decorvet, directeur de l’établissement, commence à parler de saint Augustin, il se lance dans une lecture des Confessions où l’évêque d’Hippone relate sa propre conversion et où il exprime sa reconnaissance par une prière d’action de grâce. Prenant appui sur cette prière, Jean Decorvet poursuit la méditation en demandant à Dieu notamment d’aider les étudiants à «trouver les applications de ce cours dans leur vie quotidienne». Tous les élèves se recueillent, puis, la leçon reprend son cours normal.

Des étudiants «hors de la baleine»

Cette parenthèse spirituelle ne surprend personne. Il s’agit du «genre de la maison», que nombre d’étudiants sont venus expressément chercher à HET-PRO. Les enseignants ont la liberté d’intégrer la prière dans leurs cours. Concrètement, la plupart le font.

Interrogé à la pause, Jonathan, un Yverdonnois de 22 ans, apprécie particulièrement cette dimension méditative. Il explique venir d’un milieu évangélique charismatique, où la prière et la spiritualité sont pleinement intégrées dans la vie quotidienne.

Les cours du matin se terminent à 10h pour donner place au culte, dans la grande salle, qui durera presque une heure. Un écran diffuse les paroles des chants de louanges, repris en cœur par les étudiants et les professeurs, profondément recueillis.

Le pasteur français David Bouillon disserte ensuite sur l’histoire biblique de Jonas. Il la compare à la vie étudiante, dans laquelle on peut se sentir parfois «étouffés, comme dans le ventre d’une baleine». Or, ce qui compte,»c’est de rester , avec l’aide de Dieu, dans l’idée qu’on peut toujours aller vers la vie et vers l’espoir», tel Jonas, qui finit par sortir de l’animal. Les étudiants sont ensuite invités à prononcer à haute voix une prière. Plusieurs d’entre eux s’expriment spontanément pour remercier le Seigneur des dons de grâce et de fraternité.

Plus que des connaissances

Le repas de midi est précédé d’une «respiration spirituelle». Les étudiants qui le veulent participent à un temps de recueillement de 15 minutes, où des psaumes et des passages de la Bible sont récités. A cette occasion, ils peuvent aussi prononcer des prières spontanées.

St-Légier le 26 septembre 2017. HET-PRo. Respiration spirituelle avant le dîner. | © B. Hallet

Le repas se déroule dans une ambiance détendue et conviviale. Professeurs et élèves se rassemblent aux mêmes tables et les rires fusent de toutes parts. Cet aspect communautaire est également central dans la pédagogie de la HET-PRO, souligne David Richir, doyen de l’établissement. L’atmosphère fraternelle est facilitée par la dimension de campus du lieu. Un certain nombre d’étudiants résident déjà sur place et d’autres les rejoindront lorsque le bâtiment sera entièrement rénové. Des balades, sorties et activités en commun renforcent le sentiment de communauté. «Nous privilégions une approche participative, relationnelle, qui prend en compte les dimensions psychologiques et spirituelles des personnes, précise le doyen. L’étudiant n’est pas perçu comme un individu qui doit uniquement acquérir des connaissances. Nous faisons en sorte qu’il puisse se former aux valeurs de respect de l’autre, d’humilité, de courage.»

Une grande famille

La rencontre interculturelle revêt aussi une importance particulière au sein de la HET-PRO. Cette première volée est d’ailleurs composée d’étudiants d’origines très diverses, avec un assez fort apport de Madagascar.

Un aspect apprécié par Tantely, âgée de 31 ans, qui vient justement de l’île de l’Océan indien. Comme un certain nombre d’étudiants, elle connaît les lieux depuis un moment, puisqu’elle a déjà fait un an du cursus proposé par l’Institut biblique Emmaüs. Les étudiants dans le même cas ont pu bénéficier d’une passerelle vers HET-PRO.

Tantely veut être active dans l’aumônerie | © B. Hallet

La Malgache, mère de deux enfants, avait commencé la théologie à l’Université de Fribourg. Mais même si elle était satisfaite des cours, elle n’avait pas réussi à y trouver complètement sa place. «J’aime l’aspect de proximité qui existe ici, assure-t-elle. Nous sommes comme une famille. Cela correspond à ma culture d’origine». Au terme de sa formation, Tantely entend intégrer un service d’aumônerie.

Bon nombre d’autres étudiants se dirigent vers le pastorat. C’est notamment le cas de Sylvie, qui, à 51 ans, «réalise un rêve de toujours» en intégrant l’école de St-Légier. La future pasteure se sent à l’aise pour cette rentrée, au sein de cette «communauté» où le tutoiement est de rigueur entre tous et où la dimension spirituelle est constamment présente.

Sylvie se dirige vers le pastorat | © B. Hallet

L’Eglise missionnaire

L’après-midi, une dizaine d’étudiants assistent à un cours de missiologie donné par le professeur Nirine Jonah. Le théologien originaire de Madagascar explique que cette discipline est importante pour le cursus, du moment que les Eglises évangéliques sont très actives dans le travail missionnaire. Beaucoup d’étudiants pourraient ainsi être amenés vers cette voie professionnelle. Le cours contient aussi une approche de l’interculturalité. Un aspect central, également parce que de nombreuses communautés évangéliques de Suisse sont issues de l’immigration.

Lors de son cours, Nirine Jonah n’hésite pas à se référer notamment explicitement au texte du Concile Vatican II Ad gentes pour affirmer que les principales confessions chrétiennes s’accordent sur le fait que l’Eglise est missionnaire par nature. Mais cet aspect est particulièrement mis en avant chez les évangéliques, pour lesquels la «profession de foi» constitue une exigence fondamentale.

Jonathan veut faire profiter son entourage des connaissances acquises à la HET-PRO | © B. Hallet

Un point que souligne Jonathan lorsqu’il se lève de sa chaise, après la sonnerie annonçant la fin de ce premier jour de classe. Le jeune Yverdonnois ne suit en effet pas ces cours dans une optique professionnelle. Sa motivation est de mettre les compétences et connaissances théologiques reçues à HET-PRO «au service» des gens qui l’entourent.

Les étudiants rejoignent donc leur famille en sachant que, le lendemain, une autre les attendra sur les hauts de Vevey. (cath.ch/rz)


Retour sur la polémique HET-PRO

La HET-PRO a été, dès l’annonce de sa création, prise dans une controverse dans les milieux protestants. Le journal des Eglises protestantes de Suisse romande Réformés, affirmait début septembre que la nouvelle voie d’étude «révèle une dispute théologique entre tendances ‘libérales’ et ‘confessantes’» du protestantisme. David Richir, doyen de HET-PRO, fait le point sur cette polémique.

De quels milieux viennent les étudiants de HET-PRO?
Nous avons pour l’instant une majorité d’étudiants issus des milieux évangéliques. Une minorité provient des milieux réformés dits «confessants». Nous verrions ainsi avec une grande joie le nombre de nos étudiants issus des Eglises réformées augmenter.

Qu’est-ce qui intéresse particulièrement ces deux groupes dans votre cursus?
Je pense que notre offre correspond aux sensibilités et aux façons de vivre la foi existant dans ces deux tendances. J’appelle réformés «confessants» les personnes très impliquées au sein de leur Eglise, qui confessent une foi qui s’enracine dans la révélation biblique et qui s’inscrit dans la lignée des grandes confessions, mettant notamment l’accent sur foi personnelle et l’importance de la Bible. Ce sont des points aussi très importants pour les évangéliques. Il y a ainsi une convergence d’intérêts.

Certains nous qualifient de «conservateurs». Ce n’est pas un terme que j’apprécie beaucoup. Nous ne voulons en fait que rester au plus près des textes fondateurs du christianisme.

David Richir, doyen de la HET | © B. Hallet

Des critiques ont accompagné l’annonce de la création de HET-PRO, notamment sur le fait que vous ne faites pas réellement de compromis avec la laïcité. Que feriez-vous si un étudiant d’une autre religion, agnostique ou athée s’inscrivait aux cours?
Cela n’est pas arrivé pour l’instant, mais nous nous sommes posés la question. Nous privilégions de toute façon l’ouverture. L’étudiant en question ne serait par exemple pas obligé de participer aux activités non purement «académiques», telles que les prières ou les cultes. Par contre, nous lui demanderions de s’informer sur les fondements de notre foi et le fonctionnement de notre institution. En ce sens, la demande de respect est réciproque: l’étudiant doit aussi respecter la croyance et la valeur des autres.

Les Eglises réformées romandes ont refusé d’emblée de collaborer avec la HET-PRO. Quelles en sont selon vous les raisons?
Je pense qu’il y a derrière cela des enjeux politiques, financiers et théologiques. Mais je ne peux pas en dire davantage sur les raisons de cette décision. Le fait est que nous avons voulu poser une identité et une vision des choses claires, même si nous ne prétendons pas détenir toute la vérité.

Ce que nous voulons faire ici, c’est donner aux personnes qui veulent servir l’Eglise la meilleure formation possible. Et nous voulons le faire en communiquant une passion. Ce qui ne peut passer selon nous que par une approche spirituelle, participative et communautaire.

Nous ne nous voyons en fait pas dans une perspective de concurrence avec les filières académiques traditionnelles, mais de complémentarité. En cela, nous ne pensons pas que la création de la HET-PRO participe à l’affaiblissement des filières de formation traditionnelles, comme cela nous a été reproché. La formation théologique ne correspond pas à une sorte de gâteau statique que 3 ou 4 acteurs se partageraient seuls. Des dynamiques vertueuses peuvent être enclenchées et susciter ainsi de nouvelles vocations ou tout au moins de l’intérêt pour la formation théologique et tout centre de formation pourrait alors en bénéficier.

Quoiqu’il en soit, la porte de la collaboration est pour nous toujours ouverte avec les Eglises réformées romandes et avec toutes les autres dénominations.


La HET-PRO

Afin d’offrir un cadre à la HET-PRO, l’Institut Biblique et Missionnaire Emmaüs (IBME) a entièrement repensé son campus, et a rebaptisé son association «Forum Emmaüs» en mars 2017. La nouvelle filière théologique constitue donc l’un des pôles d’activité du Forum.

L’IBME a été fondé en 1925 par le docteur Pierre de Benoît, ancien missionnaire aux Indes, issu d’une famille réformée patricienne vaudoise. Dès ses débuts, il a visé à encourager les vocations missionnaires, ainsi qu’à transmettre la connaissance et l’amour de la Bible.

St-Légier le 26 septembre 2017. HET-PRO. | © B. Hallet

Le Forum Emmaüs se veut un centre de compétences et de ressources au service de l’Eglise et de la société. Les rénovations, qui devraient se terminer en octobre, permettront au complexe d’accueillir, outre des étudiants, des séminaires, des conférences ou encore des manifestations festives telles que des mariages.

Une «formation innovante» pour responsables d’Eglises

La HET-PRO est l’aboutissement d’un projet émanant d’un groupe de travail de pasteurs et théologiens réformés et évangéliques.

En décembre 2010, le groupe est mis sur pied par Jean-Claude Badoux, ancien président de l’EPFL et ancien président du Conseil Synodal de l’Eglise évangélique réformée dans le canton de Vaud (EERV), réunissant pasteurs et théologiens des milieux réformés confessants et évangéliques. Son objectif: réfléchir à une «formation innovante» pour futurs responsables d’Eglises romands, alliant excellence académique et spiritualité vivante, rapporte le site internet d’HET-PRO.

En janvier 2012, Jean Decorvet, membre de ce groupe de travail, prend la direction de l’IBME, alors en plein développement. La convergence entre l’IBME et le projet HET-PRO s’impose progressivement. Le 14 avril 2016, le Rassemblement pour un Renouveau Réformé (R3), tout juste créé, apporte son soutien au projet. Le 1er novembre 2016, l’Assemblée Générale de l’Institut Emmaüs vote à l’unanimité la métamorphose du pôle académique de l’Institut en HET-PRO.

L’établissement recherche actuellement une reconnaissance de Master et Bachelor au niveau fédéral, ainsi que le statut officielle de haute école. Elle doit cependant achever un certain nombre de périodes académiques afin de pouvoir répondre aux critères nécessaires.

Le culte rassemble les étudiants de HET-PRO dans la matinée | © B. Hallet
28 septembre 2017 | 10:20
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 9  min.
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