Cardinal Ouedraogo: «Je ne suis qu'un serviteur»
Créé cardinal en 2014, le Burkinabé Philippe Ouedraogo milite pour une société plus tolérante, plus fraternelle, plus juste, au nom de l’Evangile et de l’Eglise. En visite en Valais pour présider la célébration de la Saint-Maurice le 22 septembre 2017, l’archevêque de Ouagadougou a abordé pour cath.ch la question du dialogue, de la tolérance et de la justice. «Il ne faut pas se prendre pour le Bon Dieu», estime-t-il.
Selon les chiffres disponibles, qui sont des estimations, le Burkina Faso compte 60% de musulmans, 20% de catholiques, 15% d’adeptes de la religion traditionnelle et 5% de protestants de diverses dénominations.
Dans un pays à majorité musulmane comme le Burkina Faso, le dialogue interreligieux revêt une importance particulière. Vous vous y êtes beaucoup investi.
Cardinal Ouedraogo: Le dialogue interreligieux est partie prenante de notre pastorale. A Ouagadougou, les leaders religieux travaillent ensemble comme des partenaires des autorités civiles. Nous avons aussi voulu nous rapprocher des chefs coutumiers traditionnels qui ont une grande influence dans la population. Lors de la crise et de l’insurrection populaire qui a fait partir le président Blaise Compaoré en 2014 suivie d’une année de transitions avant les élections, nous avons été très solidaires avec le peuple. Nous avons offert notre médiation et notre contribution alors que le pouvoir étatique était très faible. Au plus fort de la crise entre l’armée nationale régulière et la garde prétorienne du président, nous avons été le lieu de dialogue pour les deux camps. Nous nous sommes retrouvés chez le Moro (roi coutumier) au-delà des rivalités entre confessions religieuses. Les militaires prêts à s’affronter par la force sont venus chez le Moro, je les ai rejoints pour aider à les raisonner. Nous avons pu jouer ce rôle de médiation.
La culture burkinabé a la réputation d’être basée sur la tolérance.
Au sein de nos familles il n’est pas rare que les membres appartiennent à diverses confessions. Ainsi une majorité de mes parents sont musulmans, ce qui ne n’a pas empêché de devenir prêtre. Les liens de sang sont plus forts que les liens religieux. La tolérance est un trait caractéristique de notre culture. Malheureusement, nous assistons à une certaine poussée de radicalisation et d’intégrisme religieux. Les musulmans ne forment pas un bloc unifié. Comme nous sommes voisins du Mali qui subit une forte pression, nous en recevons aussi les contrecoups.
Cette tolérance n’a malheureusement pas empêché le Burkina Faso d’être victime d’attentats terroristes.
Sans que je comprenne vraiment pourquoi, le Burkina Faso est devenu une des cibles des extrémistes djihadistes. On se demande qui est derrière. Nous avons subi déjà deux attentats terroristes majeurs à Ouagadougou et à la frontière avec le Mali, les attaques sont fréquentes. Cela ne remet cependant pas en cause le dialogue interreligieux, car les leaders sont assez ouverts et assez unis. Cette poussée islamiste vient de l’extérieur, même si elle parvient à coopter aussi des Burkinabés, peut-être en raison de la pauvreté, avec un endoctrinement et un lavage de cerveau. Mais quand ils tuent, des musulmans sont tués aussi. Ce qui démontre la complexité du phénomène. Je n’ai pas de réponse sur les vraies raisons de ces attentats terroristes.
Vous parlez d’une pression de l’extérieur.
La communauté internationale a chassé le dictateur libyen Khadafi, mais elle n’a absolument pas accompagné la transition de ce pays désormais incapable de trouver un pouvoir stable et unifié. Les armes sont sorties de Libye et ont inondé toute l’Afrique de l’Ouest. Le Mali focalise toutes ces forces venues d’ailleurs avec notamment les revendications des peuples berbères arabophones qui veulent créer un Etat d’Azawagh autonome sur des territoires appartenant à l’Algérie, au Mali et au Burkina.
«Il ne faut pas se prendre pour le Bon Dieu»
Plus globalement quel rôle les religions et les leaders religieux peuvent-ils jouer pour la paix et la concorde?
Aux responsables des Etats, je veux rappeler que le monde n’est pas leur propriété, les peuples ne sont pas leur propriété. Ils ne sont rien d’autre que des serviteurs. Je souhaite qu’au niveau ecclésial comme dans la cité, tous le reconnaissent. Chacun apporte quelque chose pour le bien commun. Il ne faut pas se prendre pour le Bon Dieu.
Si nous respectons les principes des droits humains, nous ne pouvons pas opprimer quelqu’un à cause de sa foi. Dans des pays musulmans des chrétiens sont obligés de fuir, c’est un intégrisme intolérable, une dictature. Je milite pour une société plus tolérante, plus fraternelle plus juste.
On en revient donc au principe de la tolérance.
J’ai participé récemment en Allemagne à une rencontre de quelque 500 responsables religieux convoqués par le gouvernement allemand. Il n’est pas fréquent que les gouvernement européens prennent en compte vraiment le fait religieux. Nous connaissons surtout l’expérience française avec toute son histoire, depuis la Révolution jusqu’à la séparation Eglise Etat, qui n’est pas en soit une mauvaise chose. Mais l’exclusion du spirituel et du fait religieux de la vie sociale est un mal qu’il faut dénoncer. C’est ce que j’appelle la dictature de la pensée unique. La laïcité doit être positive pour permettre à chacun de respirer. Je n’ai pas à ‘négocier’ pour être croyant.
Face à cette dictature qui veut imposer un modèle à tout le monde avec l’avortement ou le mariage pour tous je dis non. Je respecte les sociétés qui ont évolué comme cela, mais pourquoi doit-on l’imposer à tous? Nous, les croyants, avons nos points de repères. La Bible nous dit que Dieu nous a créé homme et femme. C’est le mariage prototype et nous n’avons pas d’autre modèle. On nous demande de suivre l’évolution. Quelle évolution? Rend-elle l’homme plus homme ou la femme plus femme? Nous voudrions plus de respect. Je ne dis pas que tout est parfait dans les religions, mais il y a un manque de tolérance par rapport au fait religieux.
«Comment peut-on aimer Dieu et ignorer son frère dans la souffrance, malade ou affamé?»
Après la tolérance viennent la fraternité et la justice
Nous pouvons dire qu’en Afrique l’Eglise est solidaire du peuple en vertu de l’Evangile. Comment peut-on aimer Dieu et ignorer son frère dans la souffrance, malade ou affamé? Nous essayons d’être le Bon Samaritain de l’évangile qui vient au secours de l’homme blessé au bord de la route. L’Afrique elle-même est aussi cet homme blessé qui a besoin de l’aide d’autrui pour son progrès et son épanouissement.
Concrètement que signifie cette justice?
La justice doit d’abord s’appliquer dans l’Eglise elle-même. Nous devons nous efforcer d’être justes envers tous. Par exemple si l’Eglise a des employés laïcs, elle doit respecter les normes en matière de travail, de salaire, de cotisations sociales etc. Ce n’est pas toujours le cas. On considère qu’on emploie les gens par charité et on leur donne un petite compensation. Il faut se mettre à jour dans ce domaine.
Et face à la société?
Ad extra nous devons aussi contribuer à la justice dans la société notamment face à la corruption. A commencer par nos chrétiens qui ont des postes à responsabilité. Nous devons éviter d’être les complices de situations injustes. L’Eglise doit être prophétique dans son refus de la corruption de l’humiliation, de l’accaparement, de la loi du plus fort. Nous devons militer constamment pour les plus faibles, les laissés-pour-compte, les petits, les analphabètes, les malades. Nous devons néanmoins rester modestes. Nous faisons un apport, mais d’autres aussi. Les musulmans ont une action sociale assez visible de même que les protestants. La société civile compte aussi des associations humanitaires actives par exemple pour les enfants de rues, des orphelins ou dans l’éducation. Nous n’avons pas le monopole du bien commun. Cela n’est pas notre propriété.
Le pape François évoque souvent la situation des périphéries. Quelles sont-elles au Burkina?
Nous avons par exemple la commune très négative des accusations de sorcellerie. Quand quelqu’un meurt dans un village, on cherche à identifier un responsable. Avec des méthodes très discutables, on détermine que telle vieille femme sans défense est une ‘mangeuse d’âme’. Elle est alors chassée du village. A Ouagadougou, nous avons ouvert un foyer d’accueil pour ces femmes au nombre de 300 environ. Nous les recueillons et les soignons, mais nous essayons surtout de faire changer les mentalités pour leur permettre de retourner dans leur milieu. L’Etat s’engage timidement pour leur défense, mais comme le dit le proverbe chinois ‘la loi du prince s’arrête à l’entrée du village’. Il faudrait une action beaucoup plus forte pour éradiquer cette coutume. Sur le plan de l’Eglise, nous disons d’abord qu’on ne peut pas ‘manger’ l’âme de quelqu’un. La lutte contre le mariage forcé en est un autre exemple dans le sens du respect de la dignité humaine et des droits de l’homme. L’Eglise est une famille, au-delà des diversités. L’Evangile et L’Eglise sont une chance pour l’humanité, comme un vecteur très fort de l’intégration sociale. (cath.ch/mp)
Cardinal Philippe Ouedraogo
Philippe Ouédraogo est né le 31 décembre 1945 à Konéan dans le département de Kaya dans ce qui était alors la Haute-Volta. ,
Après le petit séminaire à Pabré, il entre au Grand séminaire et est ordonné prêtre en 1973. Après 5 ans en paroisse, il part poursuivre sa formation à Rome, à l’Université pontificale urbanienne où il obtient un doctorat en droit canonique en 1983.
De retour au Burkina Faso, il est curé de la paroisse cathédrale de Kaya et vicaire général. De 1992 à 1995, il est directeur fondateur du Petit séminaire de Saint Cyprien de Kaya avant de retrouver un ministère paroissial.
Jean-Paul II le nomme évêque d’Ouahigouya en 1996. Le 13 mai 2009, il est transféré à Ouagadougou dont il devient l’archevêque métropolitain.
Sa nomination comme cardinal par le pape François en 2014 est pour lui une surprise totale. «J’étais en route pour l’assemblée de la Conférence épiscopale à Bobo-Dioulasso lorsqu’un journaliste italien m’appelle pour me féliciter. Mais de quoi? De votre nomination comme cardinal. La presse l’a su avant moi»
Il est actuellement membre des congrégations pour l’évangélisation des peuples, pour le dialogue interreligieux et pour le culte divin.
L’Eglise catholique au Burkina Faso
Les premiers missionnaires, les Pères blancs sont arrivés en Haute-Volta en 1900. Un des grands rois de la région, le Moro Nava a bien accueilli les missionnaires et leur a fait construire une maison. L’Eglise s’est développée rapidement avec une première école en 1903 et un petit séminaire en 1925 d’où est sorti le premier président du pays, explique le cardinal Ouedragogo.
Le prélat souligne que l’Eglise s’est développée beaucoup grâce aux laïcs. Les Pères blancs ont eu une extraordinaire intuition. Ils ont choisi tout des catéchistes qu’ils ont formé dans la langue locale pour être missionnaires dans leur village. Ce système perdure et c’est une force. L’archidiocèse de Ouagadougou compte ainsi 370 catéchistes. Ils ne sont pas salariés, mais soutenus pour être des paysans modèles dans leur village.
Autre caractéristique de l’Eglise du Burkina, l’existence depuis le milieu des années 1970 déjà de Communautés ecclésiales de base (CEB) qui mettent en œuvre l’option fondamentale de l’Eglise Famille de Dieu affirmée lors du Synode des évêques pour l’Afrique en 1994.
L’éducation comme priorité
Pour le cardinal, un autre axe essentiel de l’engagement de l’Eglise est l’éducation. Dans un contexte où le taux d’alphabétisation reste modeste, pes petits séminaires restent un apport très appréciable non seulement pour l’Eglise mais aussi pour le pays. Moins de 5% des ces jeunes arriveront au sacerdoce, mais tous les autres pourront être des cadres valables au sein de la société.
Une Eglise qui n’est pas inculturée court le risque d’être une Eglise de façade, c’est un grand défi, admet Mgr Ouedraogo. Un des domaines privilégiés est la catéchèse où on part des proverbes ou des contes traditionnels pour aboutir à la Parole de Dieu. De même pour la liturgie, tout en conservant le rite romain, l’accent est mis sur la traduction des textes en langues locales, et sur les chants et la musique avec les instruments traditionnels.
Pour l’archevêque de Ouagadougou, l’auto-prise en charge reste un autre défi majeur, sans négliger l’apport des Eglises-mères. Les fidèles en sont de plus en plus conscients. Par exemple dans les cinq paroisses fondées il y a quatre ans, il n’y avait pas de presbytère. Les communautés locales se sont organisées pour loger les prêtres et les nourrir.
Les fruits de l’Année de la Miséricorde
L’année de la miséricorde décrétée par le pape François a été l’occasion d’initiatives pastorales inédites, relève le cardinal. De nombreux chrétiens ne sont pas en règle par rapport à leur communauté et à l’Eglise sur le plan matrimonial notamment. Pour les gens non mariés, la pastorale habituelle était de ne pas baptiser leurs enfants à la naissance, mais plus tard lorsqu’ils commencent la catéchèse. «Pour l’année de la Miséricorde, j’ai décidé d’autoriser le baptême de tous les enfants de moins de cinq ans. Nous en avons ainsi baptisé des milliers à travers tout le diocèse. Mais cela a aussi concerné les adultes ainsi j’ai baptisé moi-même à Yarma, notre sanctuaire marial de vieux catéchumènes qui n’étaient jamais arrivés au bout de la catéchèse pour des raisons diverses.» (cath.ch/mp)