Valais, le 15 septembre 2017. Yana Valença publie son deuxième livre: "La rose ouvre ses ailes", un recueil de poésies. © B. Hallet
Suisse

Yana Valença: «J'arrive à pardonner, pas à oublier».

«J’ai pardonné à tous ceux qui m’ont fait du mal, mais je ne peux pas oublier», lance Yana Valença. Suissesse d’origine brésilienne, elle aide les victimes de maltraitance domestique et vient de publier La rose ouvre ses ailes, un recueil de poésies, souvent sombres, où elle met en rimes les violences qu’elle a subies au Brésil puis en Suisse. Elle commence une série de conférences-témoignage le 21 septembre 2017 à Monthey (VS).

Tortures à la lame de rasoir infligées par une mère qui ne l’a pas désirée, abandon, enfermement, abus sexuels, violences subies dans le cadre de la prostitution. Yana Valença exprime tout cela en vers ainsi que l’enfer de son mariage avec un homme qui la maintiendra 24 ans durant sous son emprise, entre manipulation et violence psychologique. Elle évoque la perte d’un enfant et son  amertume vis-à-vis d’une partie du corps médical qui, assène-t-elle, refuse de l’écouter.

Des poèmes entre ombre et lumière

Les huitante poèmes réunis dans La rose ouvre ses ailes (Editions Soleil Blanc), alternent ombre et lumière sur une vie passée d’un enfer à l’autre, de son enfance au Brésil  jusqu’à sa vie en Suisse. «J’adore la poésie. J’en lisais en cachette de mon mari, sinon il se moquait de moi», raconte-t-elle.

Yana se lève et attrape dans la bibliothèque du séjour les livres de poésie qu’elle a lus et les pose sur la table. En vrac, Coffret de santal de Charles Cros, un poète français, Fêtes Galantes, de Paul Verlaine, une revue de poésies, un recueil de poèmes de Charles Baudelaire et d’Arthur Rimbaud.

Certains poèmes introduisent les chapitres du premier livre écrit avec l’aide de Claire Solène: Les épines d’une rose (Editions à la carte) sorti en 2015. Elle y fait un récit factuel sidérant du calvaire qu’a été sa vie jusqu’ici. «En sortant des expertises psychiatriques, plutôt que de crier, j’écrivais». La poésie est pour elle une thérapie, du moins sur le plan psychologique car elle ne peut rien contre la souffrance physique qui la paralyse par moments.

L’urgence du témoignage

Les douleurs intenses dues à une fibromyalgie sévère l’empêchent souvent de dormir, et parfois d’écrire. Elle paye les séquelles des violences subies pendant son enfance et sa jeunesse au Brésil puis les humiliations infligées pendant son mariage.

Il y a urgence lance-t-elle: son corps, à bout après tant de souffrances est en train de la lâcher. «Je suis comme le tronc d’arbre que l’on voit au dos du livre. Il est presque mort mais il a encore du fruit à donner». Elle parle vite, beaucoup: les souvenirs des blessures se bousculent, comme des flashs. Elle sort d’une pile de dossier un article expliquant ce qu’est la fibromyalgie. Après 44 ans de silence, Yana est pressée de parler et d’expliquer pour que d’autres à leur tour osent s’exprimer.

«Je leur ai déjà pardonné»

Yana raconte par bribes son interminable calvaire, son combat et le témoignage qu’elle veut porter partout où elle le peut. Parfois vive, parfois émue, pas une fois elle ne demande vengeance ni ne tient de propos haineux pour ceux qui lui ont fait tant de mal. Elle évoque très naturellement le pardon. «La prière m’a beaucoup aidée. Ces personnes qui m’ont torturée ne le savent pas mais je leur ai déjà pardonné. J’arrive à pardonner, mais pas à oublier».

Elle l’explique, en montrant ses bras et ses jambes qui portent les cicatrices laissées, entre autres, par la lame de rasoir avec laquelle sa maman l’a coupée. «Je ne peux pas haïr, je ne souhaite pas à d’autres cette violence que l’on m’a faite. Vous savez, c’est un miracle que je sois encore debout après tout ce que j’ai subi. Cela vaut la peine de témoigner». Ainsi évoque-t-elle sa vocation, si lourde et si urgente à porter.

«Pour les autres»

Avec l’association «L’espoir de Yana», qu’elle a créé avec Claire Solène il y a deux ans, Yana met désormais toute son énergie pour aider les victimes de maltraitance domestique et mettre en lumière un phénomène qui reste quelque peu tabou en Valais». «Une partie de moi est morte et j’ai fait le deuil. Maintenant tout ce que je fais, je le fais pour les autres».

Pour elle, les témoignages reçus de femmes qui se sont affranchies  de la violence conjugale en découvrant son histoire sont un véritable cadeau. «Je devrais être morte ou folle aujourd’hui. D’autres doivent profiter du miracle que je suis».

La messe: «un traumatisme»

Ses relations avec l’Eglise ont été contrastées. Baptisée jeune au Brésil, elle s’est auparavant fait «sa propre religion». En effet, petite elle invoquait «quelqu’un» en qui elle croyait afin d’être moins seule quand sa mère la laissait enfermée à la maison pendant des jours. «Je percevais quelque chose mais sans savoir exactement ce que c’était». Dans l’enfer où elle a vécu, il n’y a pas eu de catéchisme.

Pour Yana, l’Eglise reste liée à l’obligation que lui donnait son mari de l’accompagner à la messe tous les dimanches, sourire aux lèvres, pour faire bonne figure devant le curé et les paroissiens. «Un traumatisme». Elle en veut aux prêtres qui lui ont conseillé de ne pas divorcer et de prier. A ceux qui lui ont reproché le péché d’avoir épousé un homme divorcé et ceux qui lui reprochent celui de vouloir divorcer. Mais elle parle aussi et surtout de ce curé du Jura, croisé à Lourdes cet été, qui l’a encouragée dans son combat et l’a exhortée à garder la foi.

Optimiste malgré tout, elle parle d’un deuxième recueil de poésies en préparation. En outre, elle cherche un écrivain professionnel, «et aussi psychologue» qui accepterait d’écrire son histoire, entièrement cette fois-ci, avec ce qu’elle n’a pas dit dans le premier livre. «On ne m’aurait pas crue». «L’espoir de Yana» a pris son essor, elle se développe. L’association a pu prendre en charge huit victimes de violence domestique venant de Lausanne, de Genève et du Valais et en a conseillé d’autres. Yana espère que son association va bientôt intégrer le réseau de l’Office cantonal de l’égalité et de la famillle.

Encore sous cellophane, les livres seront vendus au profit de l’association lors des prochaines conférences. Yana poursuit son chemin sur lequel elle espère trouver plus de lumière que d’ombres. (cath.ch/bh)


Yana aborde dans ses poèmes la violence, la nuit, la douleur mais elle est «toujours debout»:

«Je suis toujours debout

 

Avec mon vécu, je suis toujours debout,

Je suis mon chemin

En combattant les ténèbres,

En demandant des lumières

Pour m’aider à chaque pas.

 

Sur mon chemin obscur,

Je vis avec les vivants d’aujourd’hui

Et les morts de demain.»


L’espoir de Yana

L’association «L’espoir de Yana» a été créée en 2015 par Yana Valença avec l’aide de Claire Solène pour venir en aide aux personnes victimes de maltraitance domestique. Des bénévoles s’activent aux côtés d’un avocat, de deux juristes, d’une psychomotricienne et de médecins pour prendre en charge les victimes et leurs enfants sur le plan médical, psychologique et juridique.

Yana Valença témoigne 

Plusieurs conférences sont organisées avec la Fondation de la Maison de la famille

-Le 21 septembre à Monthey, à la Maison des Jeunes, à 20h15

-Le jeudi 9 novembre à Saint-Maurice à la salle paroissiale de Saint-Sigismond, à 20h15.

-Le jeudi 25 janvier 2018 à Martigny-Ville, à la Salle de Notre-Dame des Champs, à 20h15.

-Le 19 avril 2018 à Sion, à la salle paroissiale de Saint-Guérin, rue Saint-Guérin 3, à 20h15.

-Le 7 juin 2018 à la salle paroissiale Sainte-Croix, à 20h15


Suisse: 18 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint en 2016

Selon l’Office fédéral de la statistique, 18 femmes ont péri sous les coups de leur conjoint en 2016 en Suisse. On a recensé plus de 17’000 infractions attribuées à la violence domestique. Cela représente une augmentation de 2% par rapport à 2015.  17% des auteurs d’agression étaient récidivistes.

La violence domestique touche les femmes dans une grande majorité des cas. Dans une moindre proportion, les hommes sont aussi concernés. Le phénomène n’épargne pas les enfants, dont 1040 ont été agressés par leur père en 2016 et ce, dans 73% des cas. Les statistiques ne tiennent pas compte des nombreuses victimes qui n’osent pas porter pas plainte.

 

Valais, le 15 septembre 2017. Yana Valença publie son deuxième livre: «La rose ouvre ses ailes», un recueil de poésies. © B. Hallet
20 septembre 2017 | 11:21
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 6  min.
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