L'Eglise colombienne et le devoir de mémoire
Le pape François, en visite pastorale ces jours-ci en Colombie, a joué un rôle éminemment positif en encourageant fortement les parties impliquées dans les négociations de paix entre le gouvernement du président Juan Manuel Santos et les guérillas des FARC et de l’ELN.
Tout le monde le reconnaît ? Certainement pas l’ancien président revanchard Alvaro Uribe, dont Santos fut le ministre de la Défense. Lui et ses affidés fustigent l’accord de paix, alors que le pays n’en peut plus de décennies de violences et de massacres.
L’Eglise catholique en Colombie, dans ce pays profondément inégalitaire, divisé et violenté, profite de cette visite pontificale pour se profiler comme amante de la paix. Certainement qu’elle l’est aujourd’hui dans sa grande majorité.
Amante de la paix
Mais dans l’euphorie médiatique de cette visite, une autre réalité passe inaperçue: le rappel de l’implication de certains secteurs de l’Eglise colombienne, du plus haut au plus bas de la hiérarchie, dans des épisodes moins glorieux. En premier lieu celui que les Colombiens appellent «La Violencia» (La Violence), un conflit sanglant qui débuta le 9 avril 1948 avec l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitán. Cette guerre civile orchestrée par les conservateurs au pouvoir, soutenus par la droite catholique et de nombreux clercs qui appelèrent, du haut de la chaire, à en finir avec les libéraux, se transforma en guerre d’extermination, où des villages entiers, avec hommes, femmes et enfants, furent massacrés sans pitié. Ces pogroms durèrent de 1948 à 1953, faisant près de 300’000 morts.
J’ai sous les yeux «The Colombia Report», daté de mai 2016, un rapport d’une bonne centaine de pages sur «les cas d’implication de l’Eglise dans la violence en Colombie» dans toute l’histoire du XXe siècle, publié par la «Pacific School of Religion», de Berkeley, en Californie. Si ce rapport salue le rôle de nombreux membres de l’Eglise colombienne pour la protection des droits des exclus, il relève que certains secteurs de cette même Eglise ont promu et justifié la violence.
Proximité avec les pouvoirs
«The Colombia Report» donne des exemples détaillés du «mariage» de l’Eglise avec les pouvoirs en place, dès la colonisation espagnole jusqu’à la période contemporaine, mentionnant par exemple la présence d’aumôniers militaires dans des centres de torture de l’armée, de prêtres liés aux groupes paramilitaires ou aux narcotrafiquants, justifiant la répression contre les mouvements sociaux promouvant le changement des structures injustes, en qualifiant leurs militants de dangereux «communistes».
Pas étonnant, donc, que le dimanche 3 septembre dernier, des membres de l’Eglise catholique – prélats, prêtres et laïcs engagés membres du groupe «Mille signatures pour le pardon» – aient demandé que l’Eglise catholique colombienne demande pardon aux victimes «pour les complicités, actes et silence» de ses leaders. Sur la Plaza del Voto Nacional à Bogota, en présence des familles de victimes, le Père jésuite Javier Giraldo Moreno, qui s’est rangé depuis des décennies aux côtés des populations opprimées, a affirmé que dans les périodes violentes de l’histoire de la Colombie, «l’Eglise a eu une responsabilité, à laquelle elle doit faire face». Espérons que l’euphorie de la visite papale ne fasse pas passer sous silence ce devoir de mémoire.
Jacques Berset
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