Le cardinal George Pell fait face à un avenir incertain (Photo:camera press Donatella Giagnori/Keystone)
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Abuseur ou victime? L'affaire Pell divise l'Australie

Le cardinal George Pell, accusé d’abus sexuels sur mineurs, doit comparaître le 26 juillet 2017 devant la justice australienne. Le pays est pris dans une âpre lutte entre partisans du prélat qui accusent les médias de «chasse aux sorcières» et détracteurs qui assurent vouloir rendre justice aux présumées victimes.

«Tu es une ordure (…) tu es un lâche, Georgie», dit Tim Minchin dans sa chanson Come Home! (Cardinal Pell). Le morceau est devenu viral sur internet en 2016, après que le cardinal ait, dans un premier temps, refusé de venir en Australie, arguant de son état de santé. Même si le chanteur satirique est connu pour ses provocations, le succès qu’a connu la chanson est certainement révélateur d’un climat d’hostilité envers l’Eglise catholique dans le pays et le cardinal Pell en particulier.

Opération de lynchage?

Cette atmosphère s’est encore alourdie après l’annonce, fin juin 2017 de la convocation du ‘numéro 3’ du Vatican à comparaître devant la justice pour abus sexuels sur mineurs et non dénonciation de tels actes. De nombreux observateurs locaux se sont inquiétés d’une tendance générale des médias à dénigrer Mgr Pell. La chroniqueuse Amanda Vanstone parle, dans le quotidien Sydney Morning Herald, du 30 mai 2017, d’une «opération de lynchage qu’on croirait venue des périodes les plus sombres de l’humanité». L’ancien Premier ministre australien John Howard a également évoqué une «mentalité ‘abattez Pell’» (‘get Pell’ mentality). La presse australienne documente en effet depuis des années, avec plus ou moins de crédibilité, les agissement pédophiles présumés du haut prélat.

Grandeur et décadence

En mai 2017, la frénésie médiatique a été alimentée par la sortie du livre Cardinal: grandeur et décadence de George Pell, de Louise Milligan, journaliste du média national ABC. L’ouvrage est une enquête révélant les prétendus agissements pédophiles de l’ancien archevêque de Sydney. Le livre a été retiré de la vente peu après sa publication, par crainte qu’il puisse influencer le procès du cardinal. Mais son contenu est aisément consultable sur internet. Il a déjà été relayé par de nombreux médias. L’image du préfet du secrétariat du Vatican pour l’économie qui en ressort est particulièrement négative. Selon la blogueuse australienne Julia Yost, qui a analysé le texte, Mgr Pell y est décrit comme un prédateur sexuel, affichant des traits psychopathiques. Louise Milligan le qualifie notamment plusieurs fois de «brute» et note son «manque totale d’empathie» envers les victimes.

Des critiques envers le haut prélat se sont également exprimées depuis l’étranger. Notamment de la part de Marie Collins. Ancienne victime d’abus au sein de l’Eglise catholique, cette Irlandaise avait été nommée par le pape François au sein de la Commission pontificale pour la protection des mineurs en 2014. Elle en a démissionné en mars 2017, arguant du manque de collaboration de certains membres de la curie. Fin juin, elle a affirmé sur son site web que le cardinal «n’aurait jamais dû être autorisé à se cacher au Vatican». Le Washington Post a également publié le 29 juin un éditorial plutôt négatif pour le prélat australien, rappelant notamment que les affaires d’abus sexuels le «poursuivent depuis des décennies».

Des catholiques en soutien

Au-delà de ces multiples voix critiques, le ‘numéro 3’ du Saint-Siège n’est pas sans soutien dans son pays natal. Des catholiques australiens ont notamment créé un fonds de collecte destiné à payer ses frais de justice, après que l’archevêché de Sydney ait annoncé qu’il ne financerait pas sa défense. «Le fait est que beaucoup de gens veulent soutenir le cardinal et lui donner l’opportunité de se blanchir», a souligné le laïc John Roskam, à l’origine de l’initiative.

Un soutien plutôt marqué pour le préfet du secrétariat pour l’économie est également venu de l’épiscopat australien. L’archevêque de Sydney, Mgr Anthony Fisher, a parlé de lui comme d’un homme «intègre dans ses rapports avec les autres, un homme de foi et de grands idéaux, un homme on ne peut plus honnête». L’archevêque de Melbourne, Mgr Denis Hart, a rappelé qu’il était «de notoriété publique que le cardinal Pell a affronté le fléau des abus sexuels au sein de l’Eglise». Mgr Julian Porteous, archevêque de Hobart, a déclaré au journal tasmanien Mercury avoir été «choqué et déçu» par son inculpation. Estimant que les accusations pesant sur le cardinal Pell n’avaient «aucun fondement», il a assuré qu’il était un «homme totalement intègre».

«Acharnement médiatique» dénoncé

Des voix appuyant la cause de Mgr Pell se sont également fait entendre hors de la sphère catholique, en particulier de la part de personnalités de haut rang. L’ancien Premier ministre Tony Abbott a notamment salué en lui un «très grand homme». D’autres figures, généralement de tendance conservatrice, ont dénoncé «l’acharnement» médiatique et policier contre le prélat. C’est le cas de la journaliste et éditorialiste Miranda Devine. Suite à la citation à comparaître du cardinal, elle a en effet tweeté: «Le chef de la police de Victoria Graham Ashton cherche désespérément à détourner l’attention de l’épidémie de criminalité qu’il est incapable de stopper».

Il faut rappeler que cette affaire arrive dans un contexte particulièrement tendu. En février 2017, un bilan provisoire de quatre ans de recherches de la Commission royale d’enquête sur les actes de pédophilie dans l’Eglise du pays, révélait que 7% des prêtres catholiques d’Australie avaient fait l’objet d’accusations d’abus sexuels sur mineurs entre 1950 et 2010 sans que les soupçons ne débouchent sur des investigations.

Doutes sur l’impartialité du procès

Sans prendre ouvertement le parti du cardinal Pell, de nombreux éditorialistes australiens se sont inquiétés du contexte social et médiatique dans lequel le procès doit se dérouler. Dans le quotidien The Australian, l’éditorialiste Angela Shanahan affirme ainsi que «Pell ne pourra jamais avoir un procès équitable. Après un an de poursuite par la police, les fréquentes interviews radio du chef de la police de Victoria Graham Ashton et la quantité inégalée de commentaires sur la procédure (…) tout a été réalisé pour que les faits en eux-mêmes deviennent un facteur secondaire par rapport à l’onde de choc (créée par le déferlement médiatique, ndlr.)». Dans la même ligne, la journaliste Amanda Vanstone affirme que «l’arène publique est en train d’être utilisée pour ruiner une réputation et probablement empêcher un procès impartial».

Il est certain que les lignes de fractures qui séparent partisans et détracteurs du cardinal Pell suivent les failles idéologiques de la société australienne. Il est ainsi peu probable que l’issue du procès, quelle qu’elle soit puisse les rapprocher.


Quelles accusations contre le cardinal Pell?

Le cardinal George Pell a été inculpé fin juin 2017 de sévices sexuels multiples sur mineurs. Les autorités judiciaires australiennes n’ont cependant pas spécifié les chefs d’accusation. Ils sont cependant très certainement liés aux allégations qui ciblent l’ancien archevêque de Sydney depuis de nombreuses années. Elles ont été abondamment relayées par les médias, via les témoignages de présumées victimes. Elles ont été également minutieusement retracées et examinées par la journaliste australienne Louise Milligan, dans son livre Cardinal: Grandeur et décadence de George Pell (Cardinal:The Rise and Fall of George Pell), sorti en mai 2017.

Le ‘numéro 3’ du Vatican a ainsi été accusé de complicité dans la dissimulation d’abus sexuels dans le diocèse de Ballarat, au sud-est de l’Australie, dans les années 1970 et 1980, ainsi que dans le diocèse de Melbourne, à la fin des années 1980 et 1990. Des allégations dirigées directement contre lui ont également fait surface, concernant des agressions sexuelles, des attouchements et des actes d’exhibitionnisme à l’encontre de mineurs, qui se seraient déroulés entre 1961 et 1997.

Rumeurs à Ballarat

L’accusation selon laquelle il aurait aidé à couvrir des abus sexuels dans le diocèse de Ballarat concerne une période durant laquelle il n’était que simple prêtre. Mgr Pell a été interrogé à ce sujet par les procureurs de la Commission royale d’enquête sur les abus sexuels, venus spécialement à Rome en 2016 pour l’auditionner. L’entretien avait été retransmis par la télévision australienne. Le cardinal avait alors révélé un certain nombre de faits que des observateurs avaient interprété comme un manque de sollicitude envers les victimes, voire une volonté de dissimuler la vérité. Il avait en effet admis qu’en 1974, un garçon lui avait «vaguement» parlé du comportement pédophile d’un religieux local.

L’abbé George Pell n’avait pas fait de recherches sur le cas et n’était pas intervenu pour le dénoncer. Interrogé par le procureur à propos de son inaction, il avait simplement répondu: «Le garçon ne me demandait pas de faire quoi que ce soit!» Par rapport à cette déclaration, la blogueuse catholique australienne Julia Yost, qui a examiné de manière approfondie les accusations contre le cardinal- notamment celles contenues dans le livre de Louise Milligan-, admet que la réponse est «insatisfaisante d’un point de vue catholique». Elle note que le Père Pell n’était toutefois pas légalement tenu de référer de ces rumeurs à la justice. La loi de l’Etat de Victoria ne contraint en effet que le personnel médical, professoral et la police à signaler les soupçons d’abus sexuels. Outre ce cas particulier, Julia Yost rappelle que George Pell n’était alors qu’un prêtre débutant, qui n’avait aucune autorité dans le domaine disciplinaire ni aucun mandat pour enquêter sur les infractions sexuelles. Le ‘numéro 3 du Vatican’ a admis plus tard que, concernant le cas du religieux, convaincu par la suite d’abus sexuels, il aurait «sans doute dû en faire plus».

En 2016, l’argentier du Vatican a qualifié de «coïncidence désastreuse» le fait que cinq prêtres pédophiles abusaient d’enfants dans la ville de Ballarat, alors qu’il y officiait. Certains défenseurs des victimes ayant certifié qu’il «ne pouvait pas ignorer» ce qu’il se passait.

Le site d’information catholique américain Crux mentionne à ce sujet les réflexions de Robert Hennesy-Hawks, qui était Juge de Paix dans le diocèse de Ballarat, à l’époque où George Pell y était prêtre. Il était spécialisé dans le domaine de la protection de l’enfance. Selon lui, l’argument selon lequel le Père Pell «aurait dû savoir ce qu’il se passait» est douteux, puisque lui-même n’avait jamais eu la moindre information sur un abus sexuel dans la région.

Une embarrassante photo

Le cardinal a fait face à cette même accusation d’avoir couvert des abus dans sa charge d’évêque auxiliaire de Melbourne, de 1987 à 1996. Il aurait intimidé des victimes, pour le compte de l’archevêque, Mgr Frank Little, afin qu’elles ne portent pas plainte. Il s’est avéré en 2013 que l’archevêque Little, décédé en 2009, avait effectivement passé sous silence de graves abus. Interrogé sur ce sujet par la Commission royale d’enquête, le cardinal Pell a assuré que Mgr Little l’avait toujours trompé sur cette affaire en lui cachant la réalité des faits.

A cette époque, Mgr Pell avait été particulièrement desservi par une photo ayant circulé dans la presse, le montrant aux côtés de Gerald Ridsdale. Ce dernier était aumônier d’une école catholique dans le diocèse de Ballarat, lorsqu’il a été accusé d’agressions sexuelles sur mineurs. Il était une bonne connaissance de l’évêque auxiliaire Pell, les deux ayant un moment été colocataires. Le prélat avait ainsi décidé d’accompagner, en signe de soutien, l’aumônier lors de son premier jour de procès, en 1993. Gerald Ridsdale s’est révélé être par la suite le pire prêtre pédophile de l’histoire de l’Australie. Il a été condamné à huit ans de prison pour des agressions sexuelles et des viols sur plus de 50 enfants, dont son propre neveu, David Ridsdale. Ce dernier a plus tard accusé George Pell d’avoir voulu acheter son silence. Ce que le cardinal a fermement démenti, assurant n’avoir jamais été au courant des agissements de l’aumônier. Devant la Commission royale d’enquête, il a admis avoir commis une erreur en «soutenant» Gerald Ridsdale, et qu’il avait estimé que c’était son «devoir de chrétien de le faire».

Multiples accusations

Mais dès 2002, George Pell a été confronté à des accusations plus sérieuses impliquant des agressions sexuelles qu’il aurait lui-même commises. La première concerne des attouchements et des viols présumés sur un servant de messe dénommé Phil Scott, lors d’un camp sur l’île de Phillip, au sud de l’Australie, en 1961. Une enquête a cependant mené au classement du dossier par manque d’éléments probants et des doutes sur la crédibilité du plaignant. Il a en effet été révélé que Phil Scott avait fait l’objet de 39 condamnations pénales, concernant notamment la consommation et vente de drogues ainsi que des agressions physiques.

En 2012, un certain Les Tyack a contacté la Commission royale d’enquête en affirmant qu’il avait vu le cardinal Pell s’exhiber nu devant un groupe de jeunes, dans les vestiaires d’un club de surf, à la fin des années 1980.

En 2015, deux hommes, amis depuis l’enfance, ont affirmé que le prélat australien les avait agressés sexuellement lors d’une baignade dans une piscine de Ballarat, en 1978 et 1979, alors qu’ils étaient âgés de 8 et 9 ans.

Témoignages douteux

Louise Milligan relève dans son livre encore un autre cas, qui se serait produit en 1997, alors que George Pell était archevêque de Melbourne. Le témoignage provient d’une victime présumée anonyme désignée sous le nom du «Kid» (le garçon). Alors qu’il était chanteur dans la chorale de la cathédrale St-Patrick de Melbourne, lui et un de ses collègues auraient été abusés par l’archevêque. Il raconte qu’un dimanche, après la messe, il se serait rendu avec son camarade dans une salle annexe où ils se seraient enivrés avec du vin de messe. Les ayant découverts, George Pell aurait verrouillé la porte et obligé les garçons à lui prodiguer une fellation.

Ces témoignages ont cependant été mis en doute par un prêtre dont l’interrogatoire de la part de la police a été divulgué par la presse australienne. L’ecclésiastique faisait partie de l’équipe de l’archevêque au moment des faits présumés. Il y affirme notamment que le vin de messe était gardé dans un coffre fermé à clef. Il assure également qu’il aurait été «physiquement impossible» pour l’archevêque de s’être retrouvé seul avec deux chanteurs de chorale. Le prêtre l’accompagnait partout après chaque messe, même lorsque le prélat avait quitté la cathédrale.

D’après Julia Yost, le collègue du «Kid» a longtemps souffert de dépression et abusait de stupéfiants. Il est mort d’une overdose d’héroïne en 2014. Auparavant, sa mère lui avait plusieurs fois demandé s’il avait subi un abus sexuel. Ce que le jeune homme avait toujours nié. Suite à son décès, elle a interrogé le «Kid», qui lui a au contraire assuré que son fils avait bel et bien été abusé. Ce qui lui a fait affirmer que le cardinal était responsable de la mort de son fils.

«Une occasion de blanchir mon nom»

A moins que la police ne possède d’autres éléments encore inconnus du public, ce sont sans doute à ces diverses accusations que Mgr George Pell devra répondre lors de son procès, qui débutera à Melbourne le 26 juillet prochain. De nombreux observateurs notent que la procédure sera probablement longue et complexe, du fait qu’il est en général difficile d’obtenir des éléments concrets dans les cas d’abus sexuels. Mais aussi parce que les faits présumés remontent à plusieurs décennies.

Mgr Pell a toujours démenti catégoriquement toutes ces accusations et n’a jamais refusé de coopérer avec la police. Dans un communiqué suivant sa citation à comparaître, il a ainsi assuré qu’il voyait son procès comme une «occasion de blanchir mon nom». (cath.ch/rz)

Le cardinal George Pell fait face à un avenir incertain
6 juillet 2017 | 10:30
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 11  min.
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