Photographies des victimes de la dictature militaire argentine (1976-1983) (Photo: Wikimedia Commons)
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Argentine: L’Église opposée à la loi du «Deux pour un».

La décision de la Cour suprême argentine d’alléger la peine d’un ancien tortionnaire durant la dictature soulève de nombreuses critiques dans le pays. Y compris celle de l’Église, à travers la voix de l’Archevêque Mgr Víctor Manuel Fernández, Recteur de l’Université Catholique Argentine (UCA) et conseiller théologique du Pape François, qui s’est exprimé, le 10 mai, dans le quotidien «La Nacion».

Mercredi 3 mai, la plus haute juridiction du pays a accepté de raccourcir la peine d’un ex-agent paramilitaire, Luis Muiña, condamné à 13 ans de prison pour enlèvement et torture d’opposants sous le régime militaire (1976-1983). Il avait profité d’une loi connue comme «Deux pour un», en vigueur de 1994 à 2001, permettant de compter comme double chaque jour passé en détention provisoire au moment d’appliquer la peine prononcée en jugement.

Cette loi a pour objectif officiel de réduire la surpopulation carcérale et peut s’appliquer aux délits de droit commun comme aux crimes contre l’humanité. Dans le cas de Luis Muiña, le premier à en bénéficier, il avait passé plus de neuf ans en prison avant d’être jugé. Des centaines de milliers de personnes ont défilé dans la rue le mercredi 10 mai, après que deux autres anciens bourreaux aient demandé à bénéficier de la même mesure.

«Décision inopportune et inconvenante»

Dans une interview accordée le 10 mais au quotidien conservateur «La Nacion», l’Archevêque Mgr Víctor Manuel Fernández, Recteur de l’Université Catholique Argentine (UCA) et conseiller théologique du Pape François, a qualifié la décision de la Cour Suprême «d’inopportune et inconvenante.»

Interrogé sur le fait que cette décision pouvait aller dans le sens d’une réconciliation nationale à propos d’années sombres de l’Argentine, Mgr Víctor Manuel Fernández s’est carrément demandé si l’Église devait continuer à parler de réconciliation.

Du bon usage du mot «réconciliation»

«Le mot réconciliation est déjà très chargé de préjugés et est souvent associé à l’idée d’impunité. Il convient peut-être de trouver une autre expression pour évoquer son contenu exact. Le prélat affirme surtout que «la réconciliation ne peut pas être imposée ou forcée par des éléments extérieurs: elle doit germer lentement du cœur de la société.» A la question: «une réconciliation est-elle possible?», Mgr Fernández a estimé que «pour qu’il y ait une véritable réconciliation, il est nécessaire que ceux qui ont commis des erreurs le reconnaissent et manifestent du regret. Cela n’arrive pas dans beaucoup de cas.»

La loi «Deux pour un» globalement rejetée par l’Église

Dans le cadre de l’entretien à La Nacion, Mgr Fernández a clairement indiqué son désaccord avec le principe même de la loi «Deux pour un». «Ce concept ne me paraît pas seulement inapproprié. Il mais aussi inconvenant. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose pour la société et ça me paraît difficile de comprendre les raisons d’une telle décision.»

Quant à savoir si ce sentiment était partagé par ses collègues de la Conférence Épiscopale, le Recteur de l’Université Catholique Argentine (UCA) a que c’était le cas pour beaucoup d’entre eux. «Mais je n’ai pas parlé avec tous les intéressés, a t il admis. Il se peut néanmoins que certains aient un avis différent. Certains évêques s’inquiètent en effet de l’état de santé de certains prisonniers âgés qui ne bénéficient pas de soins médicaux suffisants. Mais je suis certain que cela n’implique pas qu’ils justifient ce que ces détenus ont fait ou de demander des privilèges pour les assassins.

«Pour le Pape François, l’impunité doit être questionnée»

Inévitablement, le quotidien a demandé à Mgr Fernández, conseiller théologique du Pape François, s’il avait évoqué le sujet avec le Souverain Pontife et si ce dernier avait émis un avis. «Non, a répondu l’archevêque. Le Pape considère que les conférences épiscopales sont autonomes pour résoudre les problèmes locaux. Il appelle toujours à la prudence et insiste sur tout ce qui a à voir avec la justice, l’équité sociale, la défense des plus fragiles dans la société.»

«Mais ces orientations sont générales sont celles qu’ils préconise à tous les évêques du monde. D’un autre côté, a poursuivi Mgr Fernández, François a toujours insisté sur le fait que l’impunité devait être questionnée et que, en ce qui concerne en particulier les crimes contre l’humanité, la loi devait être appliquée de manière absolue.»

Quant à savoir si la Conférence Épiscopale a eu des échanges avec la Cour Suprême, Mgr Fernández, a été clair. Je ne pense pas que cela arrive. Une chose est d’exprimer sa propre opinion et une autre est la prétention de devenir un facteur de pression politique. (cath.ch/jcg/pp)

Photographies des victimes de la dictature militaire argentine (1976-1983)
12 mai 2017 | 15:53
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 3  min.
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