Sant'Egidio veut offrir une alternative aux «voyages de la mort» en Méditerranée
A l’instar des «couloirs humanitaires» pour un accueil des réfugiés les plus vulnérables venant de Syrie et d’Irak, lancés en Italie en décembre 2015 et en mars dernier en France, la Communauté Sant’Egidio, à Lausanne, promeut l’idée d’un avion des Eglises suisses pour les réfugiés syriens. Il s’agit d’offrir une alternative aux «voyages de la mort» en Méditerranée.
Plus d’une centaine de personnes – notamment des responsables politiques, religieux et d’ONG humanitaires – avaient répondu à l’appel de la Communauté Sant’Egidio, vendredi soir 7 avril 2017 à la paroisse St-Etienne, à Lausanne. Ils ont, pour beaucoup, découvert le concept des «couloirs humanitaires» mis sur pied par Sant’Egidio, sur une base œcuménique et en accord avec les gouvernements, pour garantir une voie d’accès sûre en Europe (par avion) aux réfugiés fuyant la guerre qui ensanglante le Moyen-Orient.
La part des réfugiés arrivés en Europe est très minoritaire
Présentant les participants aux débats, le journaliste Fabien Hünenberger a d’abord souligné les moments dramatiques que vit le peuple syrien, l’attaque au gaz de Khan Cheikhoune, dans la province d’Idlib et le bombardement américain de la nuit étant les plus récents développements. Il a rappelé, outre les millions de déplacés à l’intérieur, que cinq millions de Syriens ont déjà fui le pays et se sont pour l’essentiel réfugiés dans les pays voisins: Turquie, Liban, Jordanie. La part qui est arrivée en Europe est très minoritaire.
Responsable de Sant’Egidio à Lausanne, Anne-Catherine Reymond a expliqué que la rencontre avait pour but de lancer le débat. La Méditerranée, a-t-elle dit en citant le pape François, s’est transformée, pour les migrants, en un «cimetière à ciel ouvert, jamais satisfait». Et de citer les chiffres des disparus recensés, qui sont certainement plus nombreux: 3777 morts en mer en 2015, une année plus tard, 5079. Et un chiffre d’affaires de 15 milliards de francs pour les passeurs, ces trafiquants d’êtres humains qui profitent de la détresse des réfugiés qui cherchent à entrer en Europe.
Non à l’instrumentalisation politique du drame des réfugiés
Anne-Catherine Reymond a expliqué le concept des Corridoi umanitari instaurés en Italie, un projet porté par la Communauté de Sant’Egidio, avec la Fédération italienne des Eglises évangéliques et la Table vaudoise. Un protocole a été signé le 15 décembre 2015 avec les ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères italiens.
Au vu du succès enregistré – plus de 700 réfugiés déjà accueillis en Italie – , la responsable de Sant’Egidio a invité les participants à ne pas céder au défaitisme et à la peur, et surtout à dire non à l’instrumentalisation politique du drame des réfugiés. Ces «couloirs humanitaires» permettent une entrée légale et sécurisée dans le pays à des personnes en condition de vulnérabilité et surtout évitent qu’elles ne tombent dans les filets des trafiquants d’êtres humains.
Un témoignage chrétien de solidarité
Venant de Damas, en Syrie – où elle travaillait avec le centre jésuite Al Ard et le Père Frans van der Lugt, assassiné le 7 avril 2014 par des islamistes devant la résidence jésuite à Homs – Lama Aleid-Germanier a témoigné de la dure réalité sur le terrain. Vivant en Suisse, cette ingénieure œnologue a ainsi relevé que la moitié de sa famille élargie était désormais réfugiée. «Certains ont pris le bateau, avec les dangers que cela signifie, d’autres ont pu obtenir un visa…» Avec des partenaires des Eglises, elle a fondé l’association «Chemin de solidarité avec les chrétiens d’Orient et les populations victimes de violence au Moyen-Orient».
Elle milite pour obtenir des canaux d’entrée légaux en Suisse afin de permettre à des étudiants de cette région de pouvoir poursuivre leur formation à l’écart de la violence. En dialogue avec les trois Eglises chrétiennes de Genève, cette action se veut un témoignage chrétien de solidarité s’interdisant toute différence de traitement sur la base de l’origine, de la religion ou du genre.
Une attitude de «forteresse assiégée»
La conseillère nationale vaudoise Ada Marra, membre du parti socialiste, a rappelé qu’en Europe, mais également en Suisse, l’attitude à l’égard des réfugiés est plutôt celle d’une «forteresse assiégée»: le Parlement ne fait que durcir la loi sur les étrangers, la loi sur l’asile est revisitée tous les deux ans… «On crée la peur, on crée des mythes avec tous ces étrangers qui envahiraient la Suisse, on parle des étrangers comme d’un bloc, alors qu’on a des étrangers de première, deuxième, troisième génération, tout à fait intégrés!»
Le 15 juin 2016, le socialiste genevois Carlo Sommaruga déposait une motion au Conseil national, invitant le Conseil fédéral à tout mettre en œuvre pour ouvrir des couloirs humanitaires pour les demandeurs d’asile en situation de vulnérabilité particulière, comme les femmes enceintes, les femmes seules avec enfants, les personnes handicapées, etc., selon le modèle développé par l’Etat italien.
En Sicile, l’engagement «phénoménal» de la population
Ayant visité les lieux de débarquement des migrants en Tunisie et en Sicile, il a assisté à l’arrivée d’un bateau de la marine italienne avec 300 rescapés à bord, mais il a aussi vu les cadavres de ceux qui n’avaient pas survécu. Il a salué l’engagement de la marine italienne, qui va au-delà des consignes de l’Union européenne. Et de relever l’aide de la population locale, qui fait preuve d’un engagement «phénoménal», alors que les médias montrent trop souvent l’attitude négative de la population envers les réfugiés.
Comme sa collègue Ada Marra, il a déploré «la lenteur incroyable» de la mise en œuvre du projet officiel de mars 2015 d’accorder, sur une période de trois ans, une entrée facilitée à 3000 Syriens sur le territoire suisse. «La Suisse est paralysée par les risques de terrorisme, la menace djihadiste qui viendrait avec les réfugiés», alors que les attentats commis en Europe sont pour la plupart l’œuvre de résidents. Plusieurs intervenants ont demandé que la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga fasse preuve de davantage d’humanisme en matière d’accueil des réfugiés, bien que ce soit devenu plus difficile avec le glissement à droite du Conseil national.
Le peuple valaisan est généreux
De son côté, Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion, responsable du service Migration au sein de la Conférence des évêques, a relayé l’appel du pape François en faveur des migrants auprès du gouvernement valaisan. Il a souligné que, contrairement à une opinion trop répandue, le peuple valaisan est généreux: «sur le petit diocèse de Sion, plus de 600 personnes ont dit leur disponibilité à aider les réfugiés… Le nombre de gens qu’on accueille est minime, alors que certains milieux nous bassinent avec des chiffres énormes!»
L’évêque de Sion a également souligné que recevoir des gens dans l’urgence est une chose, mais qu’il faut également penser à ce qu’on offre comme perspective dans notre société à ces migrants à plus long terme.
La volonté d’agir existe
Le chanoine Claude Ducarroz, l’une des chevilles-ouvrières dans le canton de Fribourg de l’action «Osons l’accueil!», avec le docteur Bernard Huwiler et l’ancien conseiller d’Etat Pascal Corminboeuf, a incité à l’action en conclusion de la rencontre: les bonnes paroles ne suffisent pas lorsqu’il s’agit de l’accueil des requérants d’asile et des réfugiés.
«Il ne faut pas seulement dire aux autres ce qu’il faut faire… nous devons, nous aussi, agir concrètement». Et de demander quelle sera la suite concrète de cette soirée. Sant’Egidio voulait d’abord savoir s’il y avait un soutien de base pour entreprendre une action, et la présence d’une centaine de personnes l’a convaincu que la volonté existe bel et bien. (cath.ch/be)