Après "François l'Argentin", Arnaud Bédat publie "François seul contre tous". Une enquête sur les dangers qui menacent le Souverain pontife.
Suisse

Arnaud Bédat: «Pour le pape, 2017 est l'année de tous les dangers»

François fascine. Il exaspère aussi. Un peu moins de trois ans après la publication d’un ouvrage aux accents biographiques, Arnaud Bédat publie François seul contre tous (Flammarion, 2017), une enquête sur les dangers qui menacent le pape argentin. Curie romaine, catholiques ultra-conservateurs, Etat islamique: pour le journaliste suisse, la fronde émane de différents milieux. Elle pourrait prendre des proportions dramatiques: «2017 est l’année de tous les dangers».

Le pape est en danger. C’est la conclusion de votre enquête et le sous-titre de votre ouvrage. Par qui et par quoi est-il menacé?
Arnaud Bédat: Par les gardiens du dogme, comme le sont par exemple les quatre cardinaux qui ont exprimé publiquement leurs doutes, leurs «dubia», au sujet d’Amoris Laetitia [l’exhortation apostolique promulguée par le pape François à la suite du Synode sur la famille, ndlr]. Il est menacé par les tenants d’une orthodoxie catholique qui s’opposent à l’évolution de certaines questions comme l’indissolubilité du mariage, l’homosexualité ou l’ouverture de l’Eglise à tous. Ce pape dérange parce que le «bon catholique» ne l’intéresse guère: il est acquis. Il se rend aux «périphéries géographiques et existentielles» chercher tout le monde. C’est passionnant. Pourquoi quelqu’un comme moi, qui ne suis pas une grenouille de bénitier, s’intéresse à lui? Parce que son discours plaît, tout autant que sa manière de dépoussiérer l’Eglise.

Evidemment, d’aucuns considèrent cette attitude comme sacrilège. Pour eux, le pape c’est Satan. Ils souhaitent le voir partir assez vite ou essayent de lui tendre des chausse-trapes. C’est un véritable risque. Je ne dis pas que ces ennemis-là vont tenter de l’empoisonner, nous ne sommes plus au temps des Borgia. Mais François doit se battre en permanence. Une lutte incessante contre la maladie [à 21 ans, Jorge Mario Bergoglio a subi une ablation de la partie supérieure du poumon droit, suite à une pneumonie aiguë, ndlr], certains membres de la compagnie de Jésus, la crise argentine, la dictature ou encore les Kirchner. C’est tout le propos de ce livre.

«Si l’élection pontificale était à refaire, je doute qu’il ait à nouveau sa chance».

Vous évoquez également des menaces plus redoutables encore: l’Etat islamique, des exaltés intégristes ou des groupuscules sectaires qui pourraient s’en prendre à la vie du pape. Ses jours sont-ils en danger?
Je ne peux pas exclure que des personnes essayent d’attenter à la vie du pape. Il y a d’ailleurs déjà eu une très forte alerte durant son voyage aux Philippines en février 2015. La police avait déjoué un attentat planifié par le groupe terroriste Yemaa Islamiya. En 1981, Ali Ağca avait tiré sur Jean Paul II. Un exalté avait aussi tenté de poignarder le pape polonais lors d’un voyage à Fatima. Je ne dis pas que ce genre d’événements vont se reproduire, mais le danger est réel.

Arnaud Bédat, François, seul contre tous. Enquête sur un pape en danger, Flammarion, Paris, 2017

Dans votre enquête, vous n’y allez pas toujours de main morte. Vous écrivez par exemple: «Le Vatican est une véritable animalerie: un nid de vipères, de rapaces et de corbeaux dans lequel le pape tente de remettre de l’ordre» (p. 222). Ne forcez-vous pas un peu le trait?
Le pape l’a dit lui-même, on me l’a rapporté: «J’ai 80% d’ennemis dans la curie». Ce n’est pas pour rien que François s’entoure d’un petit noyau d’intimes à Sainte-Marthe ou d’un conseil de neuf cardinaux dans le gouvernement de l’Eglise. Ce sont des remparts. Il m’est arrivé de discuter avec plusieurs membres de la curie. Sous les phrases convenues, on sort assez vite quelques vacheries au sujet du pape. Regardez comme l’actualité nous donne cruellement raison. Vendredi soir, des affiches anti-pape ont fleuri à Rome. L’opposition s’affiche désormais dans les rues de la Ville Eternelle.

Bergoglio n’a pas que des ennemis, sans quoi il n’aurait jamais été élu pape. Qui sont ses amis?
Ils sont bien sûr plus nombreux à l’extérieur qu’à l’intérieur du Vatican. Cela dit, au conclave, je pense que les cardinaux ont compris que c’était le temps du «tournant latino». Le Brésilien Scherer était un peu trop conservateur. Des faiseurs de rois se sont dit que Bergoglio était la voie de recours. Proche des pauvres, assez âgé: un pape de transition qui allait redorer le blason de l’institution, en somme. Mais l’histoire se répète: en 1958, on élisait Jean XXIII dans les mêmes conditions. «C’est le sous-préfet qui va inaugurer les chrysanthèmes», se disait-on. Ce fut finalement le pape du concile Vatican II. Le collège des cardinaux électeurs n’a sans doute pas pris la mesure du pape actuel. Il l’a élu sans savoir qu’il était doté d’un tel charisme, d’un tel pouvoir d’attraction. Il attire les foules et, habilement, change la géopolitique du sacré collège. Si l’élection pontificale était à refaire, je doute qu’il ait à nouveau sa chance.

«François prend goût au pouvoir».

Dans votre enquête, vous révélez également une facette plus étonnante du pape François. Il peut se montrer parfois «expéditif», «cassant», voire «blessant».
C’est une facette qu’on ne connaît guère, mais c’est exact. Voyez la manière dont il a évincé le commandant de la Garde suisse, Daniel Anrig, il y a deux ans. Il a congédié ce chef certainement trop autoritaire à son goût sans en donner le motif. Il a limogé sans ménagement l’ancien secrétaire d’État, le cardinal Bertone. C’est aussi ce qu’on attend de lui: qu’il sache trancher dans le vif et remettre de l’ordre.

Sur un plan dogmatique et moral, il n’a jamais infléchi la ligne de Benoît XVI. Il dénonce les lobbies qui distillent la théorie du genre dans les manuels scolaires français. Le Synode sur la famille n’a pas été révolutionnaire, comme certains le souhaitaient. Finalement, d’un point de vue doctrinal, François se situe dans la même ligne que son prédécesseur, non?
Je ne pense pas. Il peut y avoir du changement, très millimétré, notamment sur la question du célibat sacerdotal. Quant au Synode, François a pris du recul pour mieux sauter. Pour comprendre son point de vue sur ces questions, il faut remonter à son ministère argentin. Dans les bidonvilles, il distribuait la communion aux divorcés-remariés et baptisait leurs enfants. Il sait que la vraie vie fonctionne ainsi. Il veut ouvrir l’Eglise pour qu’elle survive et place l’humain au centre.

Quel est votre pronostic sur la fin de son pontificat? Assassinat, renonciation ou maintien au pouvoir jusqu’à la mort?
François prend goût au pouvoir. Ses amis le disent. Est-ce qu’il restera pour autant jusqu’au bout? Je ne sais pas. Pour ma part, je spécule toujours sur le fait que lors d’un voyage en Argentine, en 2018 ou 2019, il reste sur place et ne rentrera pas à Rome. «Je suis parti de Buenos Aires, j’y reviens et j’y reste», dira-t-il peut-être. En attendant, une chose est sûre: 2017 est l’année de tous les dangers. Le voyage à Fatima en mai prochain représente une réelle menace. Tout le monde croit que c’est un voyage pastoral tranquille, mais les services secrets sont sur les dents. Il y a un vrai danger qu’un kamikaze se fasse exploser au milieu de la foule.

Quelle trace laissera-t-il dans l’histoire?
Il restera dans l’histoire comme un Martin Luther King ou un Gandhi. On ne retrouvera pas un pape comme lui avant longtemps. L’Eglise gardera de son pontificat une forme de désacralisation: comment un prochain pape oserait-il retourner dans le somptueux palais pontifical ou rouler en Mercedes blindée à l’heure où la mondialisation génère tant d’inégalités et de laissés-pour-compte? Il inaugure une rupture qui persistera aussi parce que de plus en plus de «bergogliens» constituent le collège des cardinaux électeurs. Il restera enfin dans l’histoire comme le pape qui a réussi à dépasser la catholicité. C’est un leader mondial écouté par tous, y compris les autres religions. Une réelle nouveauté dans l’Eglise. (cath.ch/pp)


Quatre mois d’enquête

Quatre mois ont été nécessaires à la rédaction de ce livre. «Un mois à lire et à annoter tous les écrits sur le pape et du pape. Je ne voulais rien louper, explique Arnaud Bédat. Le plan de l’enquête s’est dessiné progressivement avant que je ne commence à rédiger». Trois mois d’écriture, «le nez dans le guidon». Trois mois d’un investissement passionné chez lui, dans son Jura natal. «Un café le matin, puis ‘retour à la mine’ toute la journée. Une petite pause en soirée pour manger quelque chose sur le pouce. Parfois vingt minutes de sieste». Au final, même si les délais étaient relativement serrés, Arnaud Bédat est satisfait. «Je suis assez content de m’être immergé dans cet univers qui m’était étranger et de m’en être bien sorti. Ce n’était pas gagné d’avance», sourit-il.


Le pourquoi de l’enquête

«François l’Argentin était en quelque sorte un grand reportage, explique Arnaud Bédat. Une balade à Buenos Aires à la recherche des lieux et des personnages qui ont émaillé sa vie jusqu’à son accession au trône de Pierre. Depuis, des tensions se sont fait jour au Vatican et ailleurs. Je me suis dit que ce serait bien de m’atteler à mon «Da Vinci Pope” (rires). J’en ai parlé à Flammarion et l’éditeur a trouvé l’idée intéressante. Ce pape m’occupe depuis trois ans. Le personnage est passionnant. J’avais envie de poursuivre l’aventure.»


Références: Arnaud Bédat, François, seul contre tous. Enquête sur un pape en danger, Flammarion, Paris, 2017 (en vente dès le 8 février 2017)

Après «François l'Argentin», Arnaud Bédat publie «François seul contre tous». Une enquête sur les dangers qui menacent le Souverain pontife.
5 février 2017 | 17:16
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 6  min.
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