Ordre de Malte: les cinq clefs de l’affaire
Le pape François a accepté le 25 janvier 2017 la démission du Grand maître de l’Ordre souverain de Malte, Fra’ Matthew Festing. Un délégué pontifical sera désigné prochainement pour le remplacer. Retour sur deux mois de tensions.
Les faits
Reçu le 24 janvier par le pape François, le Grand maître de l’Ordre souverain de Malte, Fra’ Matthew Festing, a été conduit à «présenter sa démission», selon les termes du communiqué officiel du Saint-Siège. Démission acceptée le 25 janvier par le pontife, pour le «bien de l’Ordre et de l’Eglise».
Cette démission met ainsi fin à deux mois de tensions entre l’Ordre et le Saint-Siège, depuis que le Grand maître avait exigé, le 6 décembre dernier, la démission de son ›numéro trois’, le Grand chancelier Albrecht von Boeselager, d’origine allemande.
Le 22 décembre, le Saint-Siège avait nommé une commission pour enquêter sur les raisons de cette éviction. De son côté, l’Ordre de Malte avait argué de sa «souveraineté» pour dénoncer l’intervention du Vatican, et diligenté une enquête sur les membres de cette commission, mettant en cause un «conflit d’intérêts» pour certains d’entre eux.
Dans un communiqué du 25 janvier, enfin, l’Ordre de Malte annonce la convocation d’un Conseil extraordinaire, le 28 janvier, conformément à sa charte, afin d’accepter la renonciation du Grand maître.
Quel rôle a joué le cardinal Burke?
Le 10 novembre 2016, le pape François a reçu au Vatican le cardinal Raymond Leo Burke, légat du pape à l’Ordre souverain de Malte. Lors de cette entrevue, le pape aurait été «profondément troublé», selon le journal américain National Catholic Register, par les propos du prélat, rapportant que des contraceptifs ont été distribués par l’Ordre de Malte, notamment en Afrique. Par la suite, la presse avait évoqué les cas similaires de la Birmanie, en 2005, et de l’Allemagne, dans des camps de réfugiés au cours des années 1990. Toutes ces distributions auraient été effectuées par le biais d’une ONG liée à l’ordre: Malteser International. Celle-ci est sous la responsabilité du Grand hospitalier de l’Ordre, à l’époque Albrecht von Boeselager.
Toujours selon le National Catholic Register, le pape aurait demandé durant cette entrevue au cardinal de «nettoyer» l’Ordre de la présence de francs-maçons. Dans une lettre transmise au cardinal Burke, le 1er décembre 2016, mais jamais rendue publique, le pape soulignait les responsabilités qui lui incombent en tant que Cardinalis patronus de l’Ordre de Malte, à savoir de supprimer toute affiliation de l’Ordre avec des groupes ou des pratiques qui vont à l’opposé de la loi morale. Quelques jours plus tard, le 6 décembre, Albrecht von Boeselager était démis de ses fonctions par le Grand maître, en présence du cardinal Burke.
Le cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin avait par la suite affirmé que le Saint-Siège n’avait jamais expressément demandé le départ du Grand chancelier. Par ailleurs, cette démission brutale est intervenue dix jours avant la nomination, par le pape François, du frère d’Albrecht von Boeselager au conseil d’administration de l’IOR, aussi connu sous le nom de ›banque du Vatican’.
Quels liens entre l’Ordre et le Saint-Siège?
Bien que ne disposant pas de territoire, l’Ordre souverain de Malte est reconnu comme un sujet de droit international par une centaine d’Etats, dont le Saint-Siège. Ces Etats lui reconnaissent une souveraineté fonctionnelle (et non territoriale) et donc la liberté de gouvernement. Ce dernier est régi par une Charte constitutionnelle, adoptée en 1961, et par un Code.
Par ailleurs, le Grand maître est choisi parmi les Chevaliers profès de l’Ordre, qui sont des religieux. Or, l’article 62 du Code de l’Ordre de Malte stipule que «par le vœu d’obéissance les Chevaliers et les Chapelains profès prennent l’engagement d’obéir au Saint-Père».
Ainsi, si le Grand maître est indépendant du Saint-Siège dans son gouvernement de l’Ordre, le titulaire de cette charge est néanmoins tenu de se soumettre à la volonté du pape. Le pontife n’a donc pas le pouvoir de démettre directement le Grand maître de ses fonctions, mais dispose de la possibilité d’exiger sa démission. En vertu de ce vœu d’obéissance, celui qui occupe la fonction de Grand maître ne peut refuser de la lui présenter.
Quel sera la mission du délégué pontifical?
Dans son communiqué de presse du 25 janvier, le Bureau de presse du Saint-Siège indique que le pape François va nommer un Délégué pontifical pour assurer le gouvernement de l’Ordre de Malte. Ses fonctions exactes et le périmètre de son autorité pourraient être précisés par un futur décret.
Un délégué pontifical est un représentant direct et personnel du pape, au nom duquel il agit. Benoît XVI avait notamment nommé un Délégué pontifical auprès des Légionnaires du Christ en 2010, et un autre auprès de la Congrégation des fils de l’Immaculée conception en 2013. A chaque fois, le pape lui avait confié les pleins pouvoirs de gouvernement et soumis provisoirement à son autorité tous les dirigeants de la congrégation.
Le délégué pontifical répondant exclusivement au pontife, celui nommé auprès de l’Ordre de Malte devrait donc passer outre le cardinal Burke, en charge des relations entre le Saint-Siège et l’Ordre.
Le cardinal Jorge Bergoglio et l’Ordre de Malte, une histoire ancienne
Ce n’est pas la première fois qu’un bras-de-fer oppose le pape François et l’Ordre de Malte, raconte le site américain Crux. En 2008, des responsables de l’Ordre en Argentine avaient imaginé de démettre le cardinal Jorge Mario Bergoglio de sa charge d’archevêque de Buenos-Aires, pour le faire remplacer par un chapelain de l’Ordre: l’évêque de Zárate-Campana, Mgr Oscar Sarlinga. Ceci afin de débloquer les relations tendues, à l’époque, entre le cardinal argentin et le gouvernement Kirchner. Le projet avait échoué, en partie du fait du pape Benoît XVI.
Fondé en 1048 à Jérusalem pour aider les pèlerins, l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem s’est successivement replié, après les croisades, à Chypre, Rhodes et Malte. Chassé en 1798 par Bonaparte, installé à Rome en 1834, il bénéficie d’un statut d’extra-territorialité pour son siège.
Recentré sur l’assistance sanitaire, il compte 13’500 membres (qui ne sont plus obligatoirement nobles), 25’000 professionnels de santé et 100’000 bénévoles présents dans 120 pays. La Journée mondiale des lépreux, à laquelle participe l’Ordre de Malte avec d’autres associations, a lieu cette année le 29 janvier. (cath.ch/imedia/ah/xln/ap)