Les jeunes musulmans développent leur esprit critique
Une étude de l’Université de Lucerne révèle que les jeunes musulmans de Suisse se tournent plus facilement vers leur proches que vers les prédicateurs sur internet. Une tendance confirmée par Hafid Ouardiri, qui se réjouit de voir chez les jeunes musulmans un développement considérable de leur esprit critique.
Les chercheurs lucernois ont mis en évidence la diversité des individus ou institutions qui servent d’autorité religieuse pour les jeunes musulmans. Les imams prêchant sur internet ne sont qu’une source parmi d’autres d’information et pas la plus importante. Les jeunes ont davantage tendance à se tourner vers un ami, un oncle, un blogueur ou un membre d’une association islamique pour en savoir plus sur sa religion. Une évolution que constate également Hafid Ouardiri. Le directeur de la Fondation pour l’entre-connaissance, basée à Genève, travaille régulièrement avec des jeunes musulmans, en particulier dans des démarches de sensibilisation à la citoyenneté. Il se réjouit que l’étude confirme cette disposition toujours plus nette de ces jeunes à diversifier leurs sources d’information. «C’est en se confrontant à différents points de vue, en croisant des données, qu’ils parviennent à développer un esprit critique», note l’intellectuel genevois. Hafid Ouardiri est persuadé que le recours au cercle familier permet de protéger les jeunes des influences négatives. De son expérience, il estime d’ailleurs que les imams extrêmes sur internet sont largement en déclin.
Large spectre de référence
Les chercheurs précisent qu’il existe également un large spectre de personnalités auxquelles les jeunes musulmans se réfèrent. Celles-ci vont du salafiste Nicolas Blancho, du Conseil central islamique suisse (CCIS), à la militante pour un islam moderniste Saïda Keller-Messahli, en passant par l’intellectuel controversé Tariq Ramadan. De nombreux jeunes trouvent également des repères auprès des rappeurs musulmans. Les auteurs de l’étude soulignent que l’évocation de ces figures ne va pas toujours de pair avec une adhésion à leurs idées.
Pour Hafid Ouardiri, il est important que les jeunes puissent se positionner en connaissance des diverses interprétations de l’islam existantes. Il relève que les jeunes qui sont tombés dans le piège du fanatisme étaient «sans contenu», n’ayant souvent rencontré qu’un visage de l’islam.
Les chercheurs ont également constaté que face à la critique de leur religion dans le débat public, les jeunes musulmans se sentent poussés à s’interroger sur leur identité religieuse et à justifier leur position. L’intellectuel genevois y voit également une évolution positive. «Les médias ont eu l’effet favorable d’inciter les jeunes à se poser des questions et à chercher par eux-mêmes les réponses».
Une dynamique propre
L’ancien porte-parole de la mosquée de Genève confirme également la conclusion de l’étude selon laquelle la jeunesse musulmane tend à se distancier des institutions pour adopter une compréhension plus individuelle de la religion. «Ils ne rejettent pas les institutions, mais préfèrent penser par eux-mêmes. Ils refusent toute mainmise sur leurs croyances», salue Hafid Ouardiri. Il souligne que cette jeunesse s’efforce de plus en plus de s’auto-organiser, en créant notamment leurs propres groupes et associations. «Les jeunes musulmans de Suisse développent leur propre dynamique, ils se prennent en charge et sont actuellement dans un travail destiné à ‘dégager’ de l’espace public les personnes les plus aptes à les représenter». L’intellectuel d’origine marocaine se montre optimiste pour ces jeunes, dont l’esprit est marqué par un «éveil» considérable.
La laïcité n’est plus taboue
Dans le cours qu’il donne depuis 2014 au Temple des Pâquis, à Genève, dénommés «CivIslam», il s’efforce de développer une pédagogie de la «responsabilité de la conscience». Le but est de «contrer la culpabilité véhiculée dans certains narratifs religieux». Il constate que pour ces jeunes, des notions comme la laïcité ou la citoyenneté ne sont plus taboues. «Ces jeunes, qui ont intégré l’idée que l’on puisse avoir des points de vue différents sont dans un nouvel élan ‘d’agir sans nuire’», résume-t-il.
Hafid Ouardiri se réjouit de cette étude de l’Université de Lucerne, qui «permet de clarifier les débats, et rétablit une image juste et équilibrée de la jeunesse musulmane».
Pas une étude sur la radicalisation
Entre novembre 2014 et janvier 2017, les chercheurs lucernois se sont penchés sur le rapport des jeunes musulmans à l’islam. Il se sont entretenus avec 61 individus de 15 à 30 ans. Pour la plupart de familles croyantes, ils n’ont pas reçu d’éducation religieuse particulière. Une dizaine se disent non pratiquants, tandis que cinq s’inscrivent dans un courant salafiste rigoriste. L’étude s’intéresse en particulier aux sources considérées comme des autorités religieuses par les jeunes croyants. Elle ne porte pas sur le processus de radicalisation, mais peut, selon ses auteurs, apporter un éclairage sur cette question. (cath.ch/ag/rz)