Unité des chrétiens et Réforme, même combat?
Depuis plus de 50 ans, la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens se vit du 18 au 25 janvier. Pour 2017, elle coïncide avec la commémoration des 500 ans de la Réforme protestante qui a divisé la chrétienté. Christophe Chalamet, professeur associé de théologie systématique à l’Université de Genève revient pour cath.ch sur le sens de cette célébration.
N’y a-t-il pas un paradoxe à lier la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens à la commémoration des 500 ans de la Réforme qui a été un point de rupture parfois violente ?
Non, le but originel n’était pas de créer un schisme, mais de réformer l’Eglise de l’intérieur. Les réformateurs avaient un sens fort de la catholicité de l’Eglise. Le paradoxe n’est donc qu’apparent. En tous les cas, cela doit nous empêcher de célébrer les 500 ans de la Réforme dans un esprit de triomphalisme ou de supériorité. Avoir mis ensemble Semaine de l’unité et 5e centenaire de la Réforme permet d’éviter de tomber dans ce genre de travers malheureux.
Le thème de la Semaine de prière pour l’unité s’intitule : «Nous réconcilier, l’amour du Christ nous y presse», selon les mots de l’apôtre Paul aux Corinthiens. La réconciliation implique le pardon mutuel. Pensez-vous que cette issue est proche?
Nous n’en sommes pas loin. Nous nous sommes beaucoup rapprochés durant la deuxième moitié du XXe siècle surtout avec le Concile Vatican II. Le moment s’approche où nous pourrons nous reconnaître mutuellement. Le voyage du pape à Lund, en Suède, le 31 octobre dernier, fait partie des gestes symboliques importants. Même si les médias ne s’y intéressent pas beaucoup, plus préoccupés qu’ils sont par la question des prêtres mariés que par le sens de ce qui venait de se passer à Lund.
L’oecuménisme se heurte à un seuil ou à une marche difficile à franchir ?
Des gestes sont posés, mais on se demande quel est leur impact. Cela fait partie de la crise de l’œcuménisme. Les questions sur la nature de l’Eglise, les ministères ou certains sujets éthiques bloquent parfois. Mais sur les questions de doctrine pure comme la justification, nous pouvons nous entendre. Ces aspects séparateurs au XVIe siècle ne le sont plus aujourd’hui.
La Réforme protestante a apporté au christianisme certains traits spécifiques. Lesquels retenez-vous?
La centralité des écritures me paraît un élément décisif. Avec le Concile, le catholicisme s’est rapproché de cette idée. Mais les protestants eux-mêmes ont du chemin à faire pour vivre de leur héritage. A quel point l’écriture nourrit-elle encore la vie des fidèles et des communautés?
Le deuxième élément est la foi comme confiance et non pas comme un simple assentiment à des doctrines. C’est une chose importante que les réformateurs ont mis en évidence.
«A quel point l’écriture nourrit-elle encore la vie des fidèles?»
L’Eglise «semper reformanda» (toujours à réformer) est un autre élément de cet héritage. L’Eglise catholique l’a admis et le sujet n’est plus un tabou.
L’amour désintéressé de Dieu et du prochain est aussi un des éléments importants de l’enseignement de Luther. Si cet amour doit servir à me justifier, à satisfaire Dieu, à le rendre bienveillant envers moi, alors le service du prochain et de Dieu n’est plus désintéressé. C’est une vision marchande, commerciale, païenne. A travers la défense de la foi, Luther défend aussi le véritable service.
Pendant longtemps l’œcuménisme se résumait pour les catholiques au retour au bercail des protestants. Aujourd’hui certains ont parfois l’impression que l’Eglise catholique doit adhérer aux concepts protestants.
Ce reproche est adressé au Concile Vatican II par l’aile réactionnaire. Mais le chemin vers l’unité est celui qui mène vers le Christ, qui est au centre. Plus on tend vers ce centre, plus on se rapproche les uns des autres. Ce n’est pas: les uns se bougent pendant que les autres attendent leur ‘retour au bercail. L’unité n’est pas statique: Nous allons vers l’unité et non pas vers Rome. Toutes les communautés et toutes les Eglises ont la responsabilité de poursuivre ce mouvement vers celui qui est au centre et que nous confessons ensemble.
Certains parlent d’un hiver de l’oecuménisme.
Il faut être réaliste, le chemin n’est pas facile. La période manque d’élan, mais il faut voir aussi les avancées faites il n’y a pas si longtemps. La déclaration catholique Dominus Jesus a été une douche froide en 2000, mais l’appel demeure à aller de l’avant avec les bonnes volontés ici et là.
Les protestants ne peuvent pas se présenter comme des donneurs de leçons. Ils doivent aussi apprendre des choses des orthodoxes, des catholiques, des non-chrétiens ou même des athées. Il faut aussi poser la question de ce que la Réforme peut attendre des autres traditions.
Dans le cadre de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, le prof. Chalamet donne une conférence sur le thème «Que peut apporter la réforme à la chrétienté 500 ans après?» le jeudi 19 janvier 2017 à 20h à la chapelle de Marin (NE).
Jean-Claude Huot: «Tout ce que l’on peut faire en commun, il faut le faire en commun»
Responsable de la pastorale œcuménique du monde du travail dans le canton de Vaud, ancien secrétaire romand de l’Action de Carême, et secrétaire général de Justice et Paix, Jean-Claude Huot pratique l’œcuménisme de terrain depuis des décennies. «Tout ce que l’on peut faire en commun, il faut le faire en commun», explique-t-il.
Outre l’oecuménisme ‘théologique’, l’œcuménisme ‘pratique’ dans le témoignage et l’engagement commun dans la société revêt aussi une grande importance.
Quand je travaillais à Justice et Paix, le slogan assumé alors par les évêques était «Tout ce que l’on peut faire en commun, il faut le faire en commun». Pour moi, cela reste une ligne directrice. Tant dans mon travail, ici dans le canton de Vaud, pour la Pastorale œcuménique dans le monde du travail que dans mes activités antérieures à l’Action de Carême et à Justice et Paix; dans notre société les Eglises catholique et protestantes y gagnent en crédibilité quand elles s’expriment et travaillent ensemble. Il y a d’abord l’aspect interne. Cette volonté d’être ensemble entre frères et sœurs fait partie de notre identité profonde de chrétiens. Ensuite, il est important pour nos partenaires extérieurs de voir que les chrétiens travaillent et parlent ensemble.
Comment se vit cet œcuménisme de terrain? La volonté de collaborer est-elle toujours la même?
Cela ne va jamais complètement de soi. Dans le canton de Vaud, l’accord entre les deux Eglises et le canton stipule que nous avons des missions communes. C’est pour ainsi dire obligatoire. Mais cela demande toujours un effort pour ne pas se laisser rattraper par nos atavismes ou nos réflexes confessionnels. Cela vaut aussi pour nos collègues protestants.
Entre catholiques et protestants, il reste des divergences évidemment théologiques, mais aussi parfois éthiques ou sur les questions de société.
Dans les problématiques d’emploi ou de travail, nous n’avons globalement pas de divergences. Pas plus que sur les questions de justice et de développement. Mis à part peut être lors d’une campagne œcuménique de Carême sur l’égalité homme femme qui avait évoqué la problématique du genre, et qui avait suscité les réactions outrées de certains milieux catholiques.
Existe-t-il des remises en question de la collaboration œcuménique au niveau de la hiérarchie ecclésiale?
Non. Dans le canton de Vaud, à tout le moins cela va de soi et les collaborations ne sont absolument pas remises en question. Il est également important que nous ayons un espace dans lequel nous pouvons agir de manière autonome.
«L’oecuménisme ne va jamais vraiment de soi»
Mais cela concerne davantage des questions pragmatiques que théologiques. Il est clair que des projets communs demandent plus de démarches de discussions, de négociations que si une Eglise les lance seule.
La Conférence des évêques suisse (CES) et la fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) ont exprimé leur volonté de renforcer leurs prises de positions communes. Comment le voyez-vous?
Au temps ou j’étais à Justice et Paix, dans les années 1990, il était normal que les Eglises prennent des positions communes ou pour le moins concertées sur des problèmes de société, comme l’asile par exemple. Ensuite avec la dissolution de l’Institut d’éthique sociale de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) puis la réduction de postes à Justice et Paix, cela s’est fait moins régulièrement. Je suis très heureux que cette volonté s’exprime à nouveau.
Un des points de divergence principaux entre catholiques et protestants est celui des ministères ordonnés. Quelle incidence cela a-t-il sur le terrain?
Les questions du ministère ou des sacrements se discutent peu sur le terrain. Je travaille comme agent pastoral laïc et il arrive que mes collègues protestants s’inquiètent de ma liberté de parole ou d’action face aux prêtres ou au vicaire épiscopal, par exemple dans le cadre d’une célébration œcuménique. Je dois les rassurer.
Certains évoquent un hiver de l’œcuménisme. Est-ce aussi votre sentiment?
Sur le terrain, on ne peut pas parler d’hiver de l’œcuménisme. Même si je sens une volonté de réaffirmer les spécificités catholiques. Il faut éviter de perdre ses richesses propres en se noyant dans un sorte de mélange a-confessionnel, en éliminant tout ce qui dépasse. Le pape François parle de polyèdre plutôt que de sphère. Cela vaut aussi pour un œcuménisme qui respecte la diversité. Il faut éviter le repli sur soi. Ce serait une tentation. Nous devons rester attentifs à cet enjeu.
Le pape François donne un élan fort pour l’œcuménisme pratique. Beaucoup de protestants engagés dans la pastorale sociale apprécient les impulsions qu’il donne et s’y reconnaissent. C’est plutôt stimulant. Mais je constate aussi que les protestants se sentent parfois en faiblesse face au monde catholique et développent une sorte de ‘complexe d’infériorité’. Je pense qu’il faut y être attentif. Ils sont en particulier très sensibles à ce qu’on les reconnaisse comme Eglise.
La Semaine de prière pour l’unité des chrétiens
Les origines de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens remontent à l’Angleterre du XIXe siècle. En 1857, l’Association pour la promotion de l’unité de la chrétienté rassemble des chrétiens anglicans, catholiques et orthodoxes qui aspirent à une réunification sous l’autorité du pape comme garant de l’unité ecclésiale. Après une interdiction de l’Eglise catholique, le pape Léon XIII, à la fin du siècle dernier, introduit la prière pour l’unité des chrétiens – mais compris surtout alors comme le retour des autres chrétiens dans le giron de l’Eglise catholique-romaine – et la fixe dans les jours compris entre l’Ascension et la Pentecôte.
Du côté protestant, le Conseil mondial des missions, ancêtre du Conseil oecuménique des Eglises, appelle dès 1920 les croyants à une semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui se situait également dans la période de la Pentecôte.
En France, il faut citer les initiatives de l’abbé Paul Couturier, de Lyon, dans les années 1930 qui donnèrent l’impulsion décisive à la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens.
C’est en 1941 que fut choisie la période du mois de janvier pour la semaine de prière. En 1966, après le Concile Vatican II et la création par le pape Jean XXIII d’un Secrétariat pour l’unité des chrétiens, la Semaine de prière devint réellement oecuménique. Depuis lors, c’est une commission mixte du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens et du Conseil oecuménique des Eglises qui est responsable de l’animation de cette semaine. (cath.ch/mp)