La grande famille bigarrée des catholiques français
La diversité, un maître-mot pour qualifier le catholicisme français. Un sondage publié le 12 janvier 2017 par le quotidien La Croix et l’hebdomadaire Pèlerin montre qu’une grande majorité des catholiques (45%) se limite aux rites alors qu’une minorité seulement (5%) se rend régulièrement à la messe. «Des chiffres qui peuvent également s’appliquer à la réalité suisse», selon l’historien des religions fribourgeois Jean-François Mayer.
Sur le devant de la scène lors de la dernière primaire à droite, les catholiques ont souvent été réduits aux courants les plus conservateurs de la société. Un sondage de l’institut Ipsos, révèle une réalité bien plus complexe et nuancée. Six «profils type» à la fois sociologiques et spirituels constituent la grande famille catholique, qui représente un quart de la population française.
La plupart des catholiques français considèrent la religion comme «un élément important de leur identité». Ce sont les «festifs culturels” (45%). Ils «demandent des rites à l’Eglise, mais peuvent vivre avec une certaine distance». Faiblement engagés et principalement issus des milieux populaires, ceux qu’on appelait les «non-pratiquants» ont tendance à voter plutôt à droite. «Ils ont un taux élevé de défiance à l’égard du pape dont ils n’acceptent pas les prises de position sur les migrants», révèle le sondage.
Viennent ensuite les «saisonniers fraternels” (26%). Moins attachés à la personne du Christ qu’à la valeur qu’il incarne, ils vont à la messe pour Noël, Pâques ou la Toussaint. Peu engagés, «leur foi ne trouve pas forcément ses mots mais se manifeste dans des engagements solidaires et dans la convivialité des fêtes vécues en famille». Ils se réfèrent à l’abbé Pierre ou Sœur Emmanuelle et sont, sur un plan politique, plutôt orientés vers la gauche et le centre droit.
Les «conciliaires” (14%) sont les plus fervents admirateurs du pape François. Ils sont proches de «La Manif pour tous» et majoritairement favorables à l’accueil des migrants. Ils vont à la messe en paroisse, en pèlerinage et prient le chapelet. Omniprésents dans les structures diocésaines, ils sont engagés dans tous les domaines, du caritatif à la défense de la famille. Majoritairement hostiles à la messe en latin, Ils considèrent Jésus comme ” celui qui témoigne de la miséricorde de Dieu en brisant les frontières de l’exclusion».
«En Suisse comme en France, une importante partie de la population catholique n’est pas demandeuse d’une pratique régulière ou d’un engagement.»
Le noyau dur des «observants” (7%) appartient à «une bourgeoisie de style de vie». «Ils se présentent comme une minorité investie de valeurs universelles, y compris au sein de l’Eglise dont ils dénoncent les dérives des années 1970, sans pour autant être hostiles au concile Vatican II. Ils se donnent la mission de restaurer la vérité du catholicisme». Leurs figures de référence: Fabrice Hadjadj, Jean-Paul II ou encore Benoît XVI.
Les «émancipés” (4%) «défient le pape qu’ils trouvent trop timorés dans ses réformes». Leur spiritualité se traduit en acte. «Elle passe avant tout par un engagement dans les luttes sociales et politiques contre les injustices». Jésus est «celui qui libère l’homme de ce qui lui fait perdre sa dignité». Leur pratique consiste en une lecture personnelle de l’Evangile, des temps de partage biblique ou des retraites à Taizé. «Ils ont peu de goût pour la messe dominicale qu’ils jugent déconnectée de la culture contemporaine».
Les «inspirés” (4%), enfin, mettent la personne du Christ au centre de leur vie. «Jésus est une personne rencontrée lors d’une expérience de conversion, avec qui ils entretiennent une relation personnelle, un dialogue quasi continu». Ils accordent une grande importance à la liturgie et se rassemblent autour de communautés charismatiques (L’Emmanuel, Chemin Neuf, Fondacio, etc.). Attachés à des figures comme celle de du Père Daniel Ange, du Père René-Luc ou de Tim Guénard, ils proviennent de tous les univers sociaux et classes d’âge. Ils sont «majoritairement frileux à l’égard des migrants, mais favorables au pape François».
Transposition helvétique
Si la manière de nommer ces «profils type» amuse l’historien des religions fribourgeois Jean-François Mayer, elle n’est pas moins pertinente pour autant. «Ces pourcentages me semblent réalistes. Ils recoupent assez bien la réalité française. Surtout, ils montrent que le catholicisme n’est pas une réalité homogène, comme le soulignent les auteurs de l’enquête«.
Appliquée au catholicisme en Suisse, cette grille de lecture s’avère tout aussi intéressante, bien que certaines spécificités helvétiques empêchent une simple transposition. «Les modalités du rapport au religieux sont différentes. En Suisse, les indications sur le taux de pratique dominicale sont plus élevées. Quant au débat sur la laïcité, il s’avère moins marqué que chez nos voisins».
Dilemme pastoral
Reste que, en Suisse comme en France, «une importante partie de la population catholique n’est pas demandeuse d’une pratique régulière ou d’un engagement. Là, les réalités se rejoignent», précise Jean-François Mayer. Les «festifs culturels» ainsi que les «saisonniers fraternels», pour reprendre les termes du sondage, se retrouvent en partie dans ce que l’étude suisse la plus exhaustive sur la religiosité – Religion et spiritualité à l’ère de l’ego (Labor et Fides, 2015) – nomme les «distanciés». Il s’agit de la grande majorité des personnes attachées au catholicisme. «Elles sont aimablement disposées face à l’Eglise, pourrait-on dire, mais ne souhaitent pas davantage d’engagement. Ce sont des gens attachés à l’aspect culturel du catholicisme, qui se manifeste dans les crèches, les clochers, voire même les messes en latin, sans pour autant se rendre tous les dimanches à la messe».
Cette grande frange de catholiques donne un poids social important à l’institution ecclésiale. Mais cela ne va pas sans difficulté d’un point de vue pastoral. Les personnes engagées sur le terrain ont à prendre la mesure de la volonté de la grande majorité des catholiques qui ne souhaitent pas s’investir dans une Eglise perçue avant tout comme pourvoyeuse de rites. «C’est frustrant pour certains», reconnaît Jean-François Mayer.
Reste «la grande question» de la transmission. 45% des catholiques français se réfèrent à «une marraine ou une grand-mère», comme à une figure de référence pour leur attachement ecclésial. Qu’en sera-t-il de leur enfants et de leur petits enfants? Si le sondage ne le relève pas, les «inspirés» et les «observants» sont persuadés d’être porteurs d’un renouveau. L’avenir leur donnera-t-il raison? (cath.ch/cx/pp)