Alep: Le Père Ziad dénonce les informations manipulées et plaide pour la réconciliation

«Ces temps-ci, on diffuse beaucoup d’informations erronées et aussi de fausses images sur ce qui se passe à Alep», déplore le Père Ziad Hilal. Le religieux jésuite travaille depuis le 1er septembre dernier à Alep, en tant que consultant pour le JRS, le service jésuite des réfugiés, et pour Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

De retour d’une visite dans la partie d’Alep-Est qui vient d’être reprise par l’armée gouvernementale, il a accordé une interview à la journaliste Andrea Krogmann. Concernant l’allégation par les médias internationaux de massacres de populations civiles par l’armée syrienne et ses alliés lors de la reconquête de la partie de la ville aux mains des rebelles, le religieux dit avoir «des doutes quant à ces récits».

«On diffuse beaucoup d’informations erronées et aussi de fausses images»

«Il existe peut-être des cas isolés, admet le Père Ziad, mais nous n’en avons pas entendu parler ici. Il faut savoir que ces temps-ci, on diffuse beaucoup d’informations erronées et aussi de fausses images. Les organisations sur place comme la Croix-Rouge n’ont pas diffusé ce genre de nouvelles jusqu’à présent. Le problème est que les gens tendent à exagérer alors qu’aujourd’hui, justement, il ne faut pas provoquer, mais au contraire garder son calme».

Le religieux jésuite affirme la nécessité aujourd’hui plus que jamais «d’encourager les gens à s’accepter mutuellement et à oser la réconciliation».

Appel en faveur de la réconciliation

Il lance un appel pour que les parties en conflit qui dévastent l’ancien poumon économique de Syrie, ainsi que l’Occident, renoncent à toute provocation et s’impliquent en faveur de la réconciliation. Après six ans passés dans la ville syrienne de Homs, également très affectée par la guerre, et une année de formation jésuite à Dublin, le Père Ziad Hilal est désormais affecté à Alep.

 

Alep, 15 décembre 2016: l’église maronite d’Alep fortement endommagée (Photo: AED)

Dans l’entretien accordé mercredi 14 décembre, il explique qu’après la trêve et les premières évacuations, les combats ont visiblement repris. «Nous entendons des bombes et des tirs de roquettes à une distance relativement faible. Non loin de nous, il y a deux secteurs où se sont retranchés les rebelles qui ne veulent pas capituler. Jusqu’à maintenant, nous continuons d’entendre des combats. Pour le moment, dans notre secteur, les choses sont calmes. Beaucoup de gens ont quitté l’Est de la ville pour venir à l’Ouest. De nombreuses organisations sont sur place pour les aider. Il a fait très froid…»

Une roquette sur le couvent des jésuites

Samedi 10 décembre, les rebelles ont bombardé le couvent des jésuites. «Vers 18 heures, une roquette a explosé dans notre bâtiment, causant des dégâts matériels. A cette heure-là, normalement, nous célébrons la messe dans notre église, mais ce samedi-là, nous participions à une retraite chez une congrégation de religieuses. C’est ce qui nous a sauvés!»

Mercredi 14 décembre, pour la première fois depuis cinq ans, le Père Ziad Hilal a pu visiter la partie orientale de la ville. «J’ai pu me faire une idée de la situation, en particulier dans le quartier chrétien de Al-Midan. Le spectacle qui s’offre à vous est celui d’une destruction totale. Notre centre Saint-Vartan est lui aussi très endommagé».

«Nous avons perdu notre civilisation et détruit notre histoire»

Le religieux a pu se rendre dans la partie Est sans difficulté. «J’ai été bien accueilli. Il y a des points de contrôle de l’armée, mais ils m’ont laissé passer sans problème».

Le Père Ziad ne voit pas encore de signes de réconciliation. «Nous avons détruit la ville parce que jusqu’à maintenant, nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d’accord dans le dialogue. Nous avons perdu notre civilisation et détruit notre histoire. Pourquoi? C’est une tragédie».

Beaucoup de Syriens accusent les puissances étrangères d’être les principaux responsables de la guerre, interroge la journaliste Andrea Krogmann. Mais le Père Ziad estime qu’il ne faut pas montrer les autres du doigt: «C’est d’abord nous-mêmes qui sommes responsables. Il faut néanmoins dire que les médias jouent un rôle déplorable dans cette guerre. Ils provoquent les deux parties et les montent l’une contre l’autre. Ces provocations doivent cesser!»

«Avant tout: cessez les provocations!»

Y a-t-il quelque chose que l’Occident peut faire aujourd’hui ?, demande la journaliste et théologienne allemande. «Avant tout: cessez les provocations! Appelez les hommes politiques à la raison pour qu’ils recherchent un discours modéré et la réconciliation. Le Moyen-Orient doit devenir une région paisible où tout le monde cohabite pacifiquement. Sinon, il deviendra un enfer pour nous!»

Interrogé de son côté par l’agence d’information vaticane Fides, Emile Katti, chirurgien et directeur de l’hôpital al-Raja d’Alep, soutenu par la Custodie franciscaine de Terre Sainte, relève que la sœur de l’un des salariés de l’hôpital et toute sa famille ont été tués par des tireurs embusqués alors qu’ils tentaient de quitter l’Est d’Alep par le biais des couloirs humanitaires. «Les malades et les blessés provenant de ces quartiers parlent de la faim et de l’obligation de manger de l’herbe, les vivres suffisants étant destinés aux seuls miliciens et à leur entourage».

Lieux de culte profanés et tombes vandalisées

Pour Fides, les récits des personnes arrivant des quartiers récemment encore sous le joug des rebelles et des milices djihadistes «font émerger des détails souvent ignorés par les principaux moyens de communication». Dans la partie libérée des djihadistes, les lieux de culte ont été profanés et les tombes saccagées et vandalisées, écrit pour sa part l’agence de presse catholique AsiaNews basée à Rome.

D’autre part, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), les villages de Kefraya et de al-Fu’ah, dans le gouvernorat d’Idleb, sont toujours encerclés par les djihadistes, car les Iraniens exigeraient l’évacuation de 4’000 personnes, alors que Jaish al-Fatah (l’armée de la conquête) ne veut laisser partir que 400 personnes. Les habitants de ces localités, en majorité chiites, sont assiégés et bombardés depuis 2015 par les islamistes du Front Fatah al-Sham (Front de la conquête du Cham, anciennement Front al-Nosra) et de Jaish al-Fatah. (cath.ch/aed/fides/asian/be)

 

Le Père Ziad Hilal a lancé un appel pour sauver Alep à la cathédrale Saint-Nicolas à Fribourg
17 décembre 2016 | 21:36
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
AED (95), Alep (44), Homs (5), JRS (9), OSDH (1), Père Ziad Hilal. (1), Syrie (437)
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