Année sainte, œcuménisme, Amoris Laetitia, l'entretien du pape avec l'Avvenire
Le quotidien de la conférence épiscopale italienne, l’Avvenire, a publié le 18 novembre 2016 un long entretien avec le pape François. Le pontife a partagé avec la journaliste Stefania Falasca, sa vision de cette Année de miséricorde mais aussi sur le dialogue œcuménique qu’il a mené avec les Eglises orientales, anglicane et luthérienne. En voici les principaux extraits.
Année sainte de la miséricorde
Qui découvre être aimé commence par sortir de la mauvaise solitude, la séparation qui conduit à haïr les autres et soi-même. Je souhaite que beaucoup de gens découvrent qu’ils sont aimés par Jésus et se laissent embrasser par Lui. La miséricorde est le nom de Dieu et est aussi sa faiblesse, son point faible. Sa miséricorde l’amène toujours à pardonner, à oublier nos péchés. J’aime à penser que le Tout-Puissant a une mauvaise mémoire. Une fois que vous pardonnez quelque chose, oubliez cela. Voilà pourquoi il est heureux de pardonner (…) l’ensemble du christianisme est ici.
Mais je n’ai pas fait de plan. J’ai simplement fait ce que m’a inspiré le Saint-Esprit. Les choses sont venues d’elles-mêmes. Il était juste nécessaire d’être docile à l’Esprit Saint. L’Eglise c’est l’Évangile et l’œuvre de Jésus-Christ. Ce n’est pas une voie faite d’idées, un outil pour les faire valoir. Et dans l’Église, les choses viennent dans le temps lorsque ce temps est venu, quand il s’offre.
Vatican II
Lors du Concile Vatican II (1962-1965), l’Eglise a senti la responsabilité d’être dans le monde comme un signe vivant de l’amour du Père. Avec Lumen Gentium, elle est revenue aux sources de sa nature, à l’Evangile. Cela déplace l’axe de la conception chrétienne d’un certain légalisme, qui peut être idéologique, vers la Figure de Dieu qui est devenu miséricorde dans l’incarnation du Fils.
Amoris Laetitia
Certains ne comprennent toujours pas l’encyclique l’exhortation apostolique Amoris Laetitia (2016), et veulent la voir soit en noir soit en blanc, même si c’est dans le flux de la vie qu’il faut la discerner. Le Concile Vatican II nous a appris cela. Les historiens estiment cependant qu’un Concile, pour être bien absorbé par le corps de l’Eglise, a besoin d’un siècle… Nous sommes à mi-chemin.
Œcuménisme et unité
Je ne dirais pas que ces rencontres œcuméniques sont le fruit de l’Année de la miséricorde. Non, parce qu’elles font partie d’un processus qui remonte à plus loin. Ce n’est pas une chose nouvelle mais seulement un pas de plus.
Je me souviens des funérailles de saint Jean Paul II, il y avait tous les chefs des Églises orientales: c’est cela la fraternité. Les réunions et les voyages aident aussi à cette fraternité, à la faire grandir.
C’est le chemin du Concile Vatican II, qui se poursuit, qui s’intensifie. Ce n’est pas le mien mais celui de l’Eglise. J’ai rencontré des primats et des responsables, il est vrai, mais aussi mes prédécesseurs les ont rencontrés. Je n’ai pas donné d’accélération.
Pour moi, (les responsables des Eglises chrétiennes) sont tous des frères. Nous nous bénissons les uns les autres. Lorsque les patriarches Bartholomée (actuel primat de l’Église orthodoxe de Constantinople ndlr) et Hieronymus (Archevêque d’Athènes et de toute la Grèce ndlr) sont allés sur Lesbos en Grèce pour rencontrer les réfugiés, nous nous sommes sentis un. Nous ne faisions qu’un. (…) En Géorgie, j’ai rencontré le patriarche Elie II (catholicos-patriarche de Église orthodoxe géorgienne) qui n’était pas allé en Crète pour le Concile orthodoxe. L’harmonie spirituelle que j’ai eu avec lui était profonde. Je me sentais en face d’un saint, un homme de Dieu a pris ma main, m’a dit de bonnes choses, plus avec des gestes que des mots. Les patriarches sont des moines. Tu remarques au détour d’une conversation que ce sont des hommes de prière.
L’unité ne se fait pas parce que nous sommes d’accord entre nous, mais parce que nous marchons à la suite de Jésus. (…) Nous découvrons que nous pouvons aussi nous trouver unis dans notre mission commune d’annoncer l’Evangile. Marcher et travailler ensemble, c’est ainsi que nous nous rendons compte que nous sommes déjà unis dans le nom du Seigneur, et que l’unité ne se crée pas par nous-mêmes. (…) L’Esprit Saint est l’unique auteur de l’unité chrétienne. Voilà pourquoi je dis que l’unité est en chemin, parce que l’unité est une grâce qui doit se demander, et aussi parce que je répète que tout prosélytisme parmi les chrétiens est peccamineux. L’Eglise ne se développe jamais par le prosélytisme, mais ›par attraction’, comme écrit Benoît XVI. Le prosélytisme des chrétiens est donc en soi un péché grave. Parce que cela contredit la dynamique même de la façon de devenir et de rester chrétien. L’Eglise n’est pas une équipe de football qui cherche des fans.
En cette période historique, l’unité se fait de trois façons : marcher ensemble grâce aux œuvres de charité, prier ensemble, et enfin reconnaître la confession commune exprimée dans le martyre commun au nom du Christ.
Comment pouvons-nous rendre témoignage à la vérité, si nous nous battons, si nous nous séparons les uns les autres ? Quand j’étais un enfant on ne parlait pas avec les protestants. Il y avait un prêtre à Buenos Aires qui envoyait des groupes de jeunes brûler les tentes de protestants venus pour prêcher l’Evangile. Maintenant, les temps ont changé. Le scandale doit être surmonté simplement en faisant des choses ensemble avec des gestes d’unité et de fraternité.
Eglise catholique
J’ai toujours pensé que le cancer de l’Eglise était le fait de se rendre gloire les uns les autres. (…) L’habitude peccamineuse de l’Église à trop se regarder elle-même, comme si elle croyait posséder sa propre lumière. Le patriarche Bartholomée observe la même chose au sujet de leur propre ›introversion’ ecclésiale. Les Pères de l’Eglise des premiers siècles ont clairement exprimé que l’Église vit à chaque instant la grâce du Christ. Ainsi – je l’ai déjà dit – l’Église ne possède pas sa propre lumière, c’est ce qu’on appelle le mysterium lunae, le mystère de la lune. L’Église renvoie de la lumière, mais ne brille pas avec sa propre lumière. Et quand l’Église, au lieu de regarder le Christ, se regarde trop, naissent alors des divisions. (cath.ch-apic/imedia/mp)