L'abbé Joël Pralong a trouvé la "perle" qui est au fond de chacun de nous (Photo:Raphaël Zbinden)
Suisse

Prier Témoigner trouve la perle cachée dans la boue

La miséricorde, c’est Dieu qui trouve la perle en chacun de nous, souvent cachée sous la boue. Tel a été le fil rouge de la 27e édition du festival Prier Témoigner, qui a réuni, les 12 et 13 novembre2016 à Fribourg, plus d’un millier de personnes, surtout des jeunes.

«Où est-elle? Je dois la trouver». C’est muni d’une lampe frontale que l’abbé Joël Pralong arrive sur la scène de l’aula de l’Université de Fribourg. Le directeur du séminaire diocésain de Sion incarne ainsi, pour l’intervention d’ouverture de Prier Témoigner, la miséricorde divine. Sous les rires de l’assemblée, il déniche au premier rang de sièges une boule brillante: la perle parfois perdue au fond de nous, sous des couches de boue. Cette sphère est ce qu’il y a de plus beau en chacun de nous, assure l’abbé valaisan. C’est l’amour qu’on a donné, éclairé de la lumière de Dieu. Joël Pralong a ainsi éclairé, de manière théâtrale et originale, la thématique de cette édition 2016 de la manifestation, intitulée «Son nom: Miséricorde».

Arraché à l’enfer de la drogue

«La recréation de Dieu est encore plus belle que sa création», martèle Laurent Gay, le grand témoin du samedi soir. Le témoignage de cet ancien toxicomane sauvé par la miséricorde de Dieu a certainement été l’un des plus poignants de la journée. Reprenant le fil rouge lancé par l’abbé Pralong, il explique être là afin d’aider chacun à trouver «les belles perles qu’il a en lui, même s’il y a de la boue».

«Avant, les anniversaires m’étaient insupportables», assure le Vendéen. Pendant longtemps, il a en effet regretté d’être sur terre. Ce samedi 12 novembre, il fête cependant ses 52 ans et remercie Dieu pour sa vie. Et l’assistance de lui entonner un vibrant «joyeux anniversaire».

Dès 14 ans à l’héroïne

Comme le reflète le titre de son livre, Arraché à l’enfer, sorti en 2007, Laurent Gay est passé par bien des tourments. Issu d’une famille unie, il assure n’avoir manqué de rien durant son enfance. Sauf peut-être de la présence de parents qui passaient beaucoup de temps au travail ou devant la télévision. «J’aurais voulu avoir une tête de télévision pour que mon père me regarde enfin», plaisante-t-il. Alors que son père est non croyant, sa mère virevolte entre diverses croyances. Face à cette absence et à cette volatilité, le petit Laurent en arrive à croire que ses parents ne l’aiment pas. «C’est un piège de Satan de nous faire croire que nous ne sommes pas aimés», commente-t-il.

«C’est comme si l’on m’avait tout pris»

Enfant tourmenté et angoissé, il est rapidement en échec scolaire. Face aux autres enfants qui se moquent de lui, il développe une forme «de haine et de violence». Il devient ainsi une selon ses propres termes une «racaille». S’étant rapproché des gens de la rue, qui se transforment en une famille de substitution, il s’adonne à la drogue et à la délinquance. Dès 14 ans, il se pique à l’héroïne.

Le spectre du sida

A 19 ans, il entreprend une première cure de désintoxication, à la campagne, loin de Paris, sa ville natale. Il y rencontre une jeune fille de laquelle il tombe amoureux. Il commence à monter avec elle des projets. Mais de retour à Paris, il a besoin d’argent et retombe dans les réseaux de drogue. Il initie alors sa compagne à la consommation de stupéfiants. Ils deviennent vite tous deux des «junkies». Ils tentent pourtant de s’en sortir, cherchent de l’aide et parviennent à décrocher de la drogue avec des médicaments de substitution. Ils trouvent également un travail. Laurent ressent cependant toujours ce vide intérieur qui le pousse cette fois à consommer de l’alcool.

«Je flippais d’aller en enfer»

Alors que sa compagne a 20 ans et lui 23 ans, ils décident d’avoir un enfant. Mais des tests révèlent que la jeune fille a le sida et qu’elle doit avorter. «C’est comme si l’on m’avait tout pris», se souvient le Français. Sa compagne décédera finalement à l’âge de 25 ans, «dans la paix», assure Laurent Gay.

Descente aux enfers

A partir de ce moment, sa descente aux enfers s’accélère. Accusé d’homicide volontaire dans le cadre d’une affaire de drogue, il est envoyé en prison. Une situation insupportable où il est gagné par des pensées de mort. D’autant plus qu’il est également diagnostiqué comme séropositif. Alors qu’il tente de se suicider en se coupant les veines, il voit sa vie défiler devant ses yeux. «Il n’y avait que du mal, et je flippais d’aller en enfer». Il se souvient ainsi d’avoir, pour la première fois de sa vie, adressé une prière au ciel. C’est alors qu’une paix indicible envahit tout son être. Il voit le visage du Christ marqué par la souffrance, qu’il reconnaîtra plus tard comme celui du suaire de Turin. «Pour la première fois de ma vie j’avais l’impression que quelqu’un prenait soin de moi», explique Laurent Gay. Depuis lors, il se réfugie dans la prière.

La conscience du péché

Bénéficiant d’un non-lieu, il sort de prison. Il retrouve cependant le milieu de la drogue et reprend ses vieilles habitudes, mais cette fois «avec la conscience du péché» et une interrogation sur la direction qu’il doit prendre. Durant les trois ans qui suivent, son état de santé s’aggrave et il doit être hospitalisé. Les médecins ne lui donnent que quelques semaines à vivre. Lui, implore la miséricorde divine de pouvoir se réconcilier avec ses parents avant de mourir. C’est alors qu’il reçoit la visite d’un catholique, «quelqu’un de bien». Il le dirige vers la communauté des Béatitudes. Il y retrouve la dignité, se reconstruit dans l’amour inconditionnel qu’il reçoit de ses membres. Après 12 ans de lutte, il décroche totalement de la drogue et peut bénéficier des nouveaux traitements contre le VIH.

«Nul ne venait à lui sans repartir meilleur»

Dans cette communauté, il rencontre son épouse actuelle, avec qui il est depuis 17 ans. Ils ont ensemble deux enfants. Ni ses derniers ni sa femme n’ont contracté le sida. Son mariage lui a permis également de se réconcilier avec ses parents. Une histoire de rédemption extraordinaire, qui lui fait dire que «rien n’est impossible à celui qui croit». Revenant sur son anniversaire, il assure que son plus beau cadeau sera qu’après avoir entendu son histoire «vous soyez visités par l’amour de Dieu».

Nourrir sa mémoire de bonté et de beauté

Au cours de l’après-midi, Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion, est également venu raconter son expérience de la miséricorde. A partir d’épisodes de l’enfance et de l’âge adulte, il rappelle que «le cœur est fait pour aimer et pour être aimé». Le prélat valaisan distingue alors deux types de miséricorde accordées par Dieu: la miséricorde de «guérison», qui consiste à relever les personnes et celle de «protection», qui consiste à empêcher que l’on ne tombe. Pour bénéficier de cette dernière, l’évêque enjoint à «nourrir sa mémoire et sa pensée de bonté et de beauté». Le chanoine du Grand-st-Bernard conclut en citant une formule liée au fondateur de son ordre, selon laquelle «nul ne venait à lui sans repartir meilleur».

De la banque à la foi

Parmi les autres témoignages, celui de Johannes d’Autriche a sans nul doute marqué l’assistance. Il décrit son enfance comme «tourmentée par la question du mal dans le monde». A 16 ans, la lecture de la vie de ses arrière-grands-parents, Charles Ier d’Autriche et Zita de Bourbon Parme, le marque profondément. Le dernier empereur d’Autriche a été béatifié en 2004, en reconnaissance de son souci pour les pauvres et pour son combat en faveur de la paix.

«Dis à Jésus de venir dans ton cœur»

Pour Johannes commence alors un combat intérieur sur la direction qu’il veut donner à sa vie. Tiraillé entre l’envie de réussite professionnelle et le désir d’aider l’autre, il se résout finalement à entamer une carrière dans la banque. Il gravit très rapidement les échelons de ce secteur et se retrouve à un poste prestigieux. Son succès ne comble cependant pas un intense sentiment de solitude.

Donner l’exemple d’un saint

Marqué par des idées noires, et en quête de sens, il décide de laisser tomber le monde de la finance et entre à l’institut Philanthropos, à Fribourg. Ses études lui donnent la conviction que Dieu existe. Sa foi n’est cependant à ce moment là plus de l’ordre d’une donnée intellectuelle. C’est alors que sa soeur, profondément croyante, lui lance une fois, au détour d’une conversation: «Dis à Jésus de venir dans ton cœur». Quelques jours plus tard, au cours d’une eucharistie, à Philanthropos, Johannes fait l’expérience intérieure de cet amour indicible de Dieu. Un épisode qui le persuade de choisir la voix religieuse. Aujourd’hui, il a rejoint la communauté Eucharistein, basée en Valais. Il assure y avoir découvert des amitiés inattendues et profondes avec des personnes «déglinguées de la vie», qu’il n’aurait jamais pu rencontrer dans son ancien univers professionnel. Ces expériences lui confirment que nous sommes tous responsables les uns des autres. Pour changer, le monde- un aspect qui lui a été cher dès son enfance – il faut essayer de suivre l’Evangile, de devenir un saint, pour donner l’exemple, conclut le membre de la famille de Habsbourg.


Multiples visages de la miséricorde

Les autres interventions de cette journée ont confirmé les multiples aspects de la miséricorde de Dieu toujours présente et toujours disponible. Le dessinateur italien Walter Kostner a notamment représenté en live comment il fait passer, à travers ses deux personnages de clowns, ces idées sur l’amour de Dieu. Sven, qui travaille en Suisse alémanique avec des détenus, a raconté quelques touchantes expériences de rédemption. La protestante Sole, de Madagascar, qui vit au centre des Focolari de Montet, dans le canton de Fribourg, a expliqué comment elle vit la miséricorde dans son milieu multiculturel. La Française Hélène Dumont a lancé le mouvement des Serviteurs de la Miséricorde, dans le diocèse de Meaux, en juin 2008. Elle a raconté comment, notamment à travers la maladie de sa fille, elle s’est engagée dans ce service à l’autre. Le Belge Michel Vandeleene, licencié en psychologie clinique et docteur en théologie spirituelle, habitant à Fribourg, est revenu sur le chemin qui l’a amené, à travers une enfance difficile, à la foi. Il a rappelé que les souffrances  peuvent être, au-delà des obstacles qu’elles représentent, des jalons qui nous préparent à la rencontre avec Dieu.


Prier Témoigner, le «melting-pot» de l’Eglise romande

Comme d’habitude, cette 27e édition de Prier Témoigner a été marquée par le dynamisme de la jeunesse. Les témoignages ont succédé aux cérémonies liturgiques et aux moments festifs de chants et de danse, notamment assurés par le groupe pop rock alsacien Waouh. Près de 1’000 personnes ont marché, samedi soir, dans la procession aux flambeaux de l’Université à l’église Ste-Thérèse, où elles ont pu vénérer les reliques de Sœur Faustine et recevoir le sacrement du pardon, donné par plus de vingt prêtres durant trois heures. A quelques jours de la clôture de l’Année de la Miséricorde, les participants ont pu vivre la démarche jubilaire et se rendre à la cathédrale St-Nicolas pour passer la porte sainte. Et un authentique «médicament» – la très efficace Miséricordine – a été offert à chacune et à chacun.

En voie de «romandisation»

Environ 1’100 personnes ont participé à la manifestation, ont indiqué les organisateurs lors d’une conférence de presse. Même si le chiffre est un peu inférieur à celui de l’an passé, ils se sont réjouis de cette belle affluence. Si moins de jeunes ont été enregistrés, plus de familles ont en revanche arpenté les couloirs de l’Université de Fribourg.

Les organisateurs notent également une «romandisation» de la participation. Alors que la manifestation était à ses débuts fréquentée principalement par les Fribourgeois et Valaisans, les jeunes des autres cantons romands sont de plus en plus présents. Pour cette édition, un groupe de jeunes a même fait le déplacement de Zurich.

Des groupes formés par des jeunes s’étant rencontrés aux Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Cracovie se sont de leur propre chef inscrits, ainsi que des groupes scouts.

Au cours de la conférence de presse, Mgr Lovey a relevé la spécificité de Prier Témoigner, notamment sa capacité à faire se rencontrer les générations. Il a également loué le fait que la manifestation réunisse toutes les spiritualités présentes dans l’Eglise, qu’il y ait «de la place pour tout le monde». (cath.ch-apic/rz)

L'abbé Joël Pralong a trouvé la «perle» qui est au fond de chacun de nous
13 novembre 2016 | 14:38
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 8  min.
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