Notre-Dame de la Joie, à Lantau, Hong-Kong, levée au rang d’abbaye en 1999. (Photo: Wikiwand Commons/CC BY-SA 3.0)
International

La vie monastique: grande absente de l'Eglise en Chine

En Chine populaire, les monastères de vie contemplative sont à ce jour encore officiellement interdits. Seule l’Eglise diocésaine a droit de cité. La première abbaye trappiste sur le sol asiatique a néanmoins été fondée en Chine au 19e siècle.

L’absence relative des ordres contemplatifs en Chine populaire interroge. Elle représente un manque pour une Eglise catholique désireuse d’apporter l’Evangile aux 99 % de Chinois non catholiques, explique Michel Chambon à Eglises d’Asie (EDA), l’agence d’information des Missions étrangères de Paris (MEP). Doctorant en anthropologie à Boston University (Etats-Unis), le chercheur français revient d’un séjour d’une année en Chine continentale, où il a mené des recherches de terrain, dans les provinces du Fujian et du Zhejiang, ainsi qu’à Canton.

«Une affaire de diocèses et d’évêques»

Les multiples analyses et statistiques sur l’Eglise en Chine se préoccupent d’abord du nombre d’évêques, de prêtres, de séminaristes, de religieuses, du découpage des diocèses et des paroisses, ou encore du développement et de l’impact des services sociaux portés par l’Eglise. Ces informations laissent cependant dans l’ombre la présence monastique, une portion de l’Eglise à laquelle la Tradition accorde une haute importance. «Du fait d’une focalisation sur la nomination des évêques en Chine, on est tenté de penser que l’Eglise est uniquement une affaire de diocèses et d’évêques», expose le chercheur.

La majorité des réflexions sur l’Eglise en Chine considère le Corps du Christ uniquement sous son angle séculier. Les seuls religieux évoqués sont les religieuses apostoliques, toutes engagées dans l’administration des paroisses et les services sociaux (maisons de retraite, jardins d’enfants). L’Eglise apparaît ainsi comme une administration encadrant des populations, ce qui ne peut qu’inquiéter le gouvernement chinois.

Un manque d’intérêt pour le clergé chinois

Depuis le Concile de Trente (16e s.), l’Eglise catholique a orienté ses structures sur une base territoriale et administrative, replaçant l’»Eglise grégorienne» qui donnait la priorité aux réseaux des monastères. En Europe, cette restructuration du catholicisme n’a pourtant pas provoqué la disparition des monastères. A l’heure où les clergés diocésains sont en crise profonde, les monastères attirent, rayonnent et fécondent au-delà de leur clôture.

En Chine, il semble que le clergé diocésain soit devenu la seule référence. Certains y voient l’action du gouvernement: historiquement, le Parti communiste fut très opposé aux monastères catholiques. Mais aujourd’hui, en certains endroits du pays, les autorités locales reconnaissent et respectent la présence de monastères. Ceux-ci sont rares, mais ils existent. Il y a également quelques communautés non déclarées aux autorités civiles, mais elles n’attirent plus l’attention des analystes et commentateurs du devenir catholique en Chine.

Même le clergé chinois semble manquer d’intérêt pour la vie monastique. Certains prêtres diocésains affirment parfois: «Nous sommes tous porteurs de la prière contemplative, nous n’avons donc pas besoin des moines». Une déclaration qui, en plus de méconnaître la spécificité de la tradition monastique, reflète une certaine vision que l’on pourrait qualifier de «protestante» de l’Eglise, estime le chercheur. En effet, si chaque catholique est acteur de la prière contemplative, chaque catholique est prêtre de par son baptême. Dès lors, s’interroge-t-il, à quoi bon continuer d’instituer un clergé distinct des laïcs?

Amalgame entre moines catholiques et bouddhistes

La Chine, comme d’autres pays marqués par le bouddhisme, compte de nombreux monastères bouddhiques. Même si la démarche spirituelle est différente, la proximité apparente entre monastères chrétiens et bouddhiques rend les catholiques chinois méfiants vis-à-vis de ces institutions jugées trop similaires à ce bouddhisme qu’ils répugnent. Dans ce contexte, nombreux sont les catholiques chinois qui rechignent à soutenir et encourager les monastères.

Plusieurs facteurs expliquent ce désintérêt pour la tradition monastique. «Que ce soit en raison de causes historiques et politiques, que ce soit du fait d’un clergé diocésain soucieux de consolider sa légitimité, que ce soit une tendance de long terme dans l’Eglise universelle, que ce soit une difficulté culturelle locale, les vents sont contraires au développement des monastères chrétiens en Chine», analyse l’anthropologue français.

Une alternative irremplaçable

Alors que les villes chinoises prennent des proportions gigantesques, provoquant des transformations radicales dans les modes de vie, la règle monastique offre une alternative irremplaçable à l’existence artificielle et saturée des populations urbaines. Le clergé catholique se doit donc d’être prudent dans sa façon de structurer et réguler l’Eglise. Il ne peut pas nier combien les monastères pourraient devenir une précieuse aide à l’annonce de l’Evangile dans la Chine actuelle. Les contacts et échanges réguliers entre la communauté de Taizé et les écoles protestantes de théologie en Chine continentale y sont un exemple parlant.

«Négocier une juste procédure pour la nomination des évêques demeure important. Mais veiller à la pérennité et à l’autonomie des monastères en Chine n’est pas moins capital. En remettant plus au centre le clergé régulier et en favorisant son rayonnement dans l’Eglise en Chine, il est probable que l’Eglise réponde plus adéquatement aux changements sociaux actuels. Cette insistance pourrait également aider à présenter l’Eglise moins comme une administration en compétition avec l’administration officielle, mais plus comme une ressource spirituelle au service du bien commun», conclut Michel Chambon.


Les contemplatifs en Chine
La première abbaye trappiste en Chine, Notre-Dame de Consolation, a été fondée en 1883 à Yangjiaping, au nord-ouest de Pékin. Elle essaima en 1928 avec le monastère Notre-Dame de Liesse, installé près de Zhengding, dans la province du Hebei. Dès 1949, le régime communiste a chassé les ordres contemplatifs, les voyant comme des communautés de religieux oisifs et entretenus par le peuple. Dispersées, ces communautés se replièrent en partie à Hongkong où, en 1950, elles fondèrent Notre-Dame de Joie, sur l’île de Lantau, un monastère qui a été élevé au rang d’abbaye en 1999. Plus récemment, en 2010, des trappistines venues d’Indonésie ont fondé une communauté à Macao. (cath.ch/eda/mc/gr)

 

Notre-Dame de la Joie, à Lantau, Hong-Kong, levée au rang d’abbaye en 1999.
4 novembre 2016 | 13:09
par Grégory Roth
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!