Le président chinois Xi Jiping a-t-il offert un cadeau au pape François? | © Senado Federal/Flickr/CC BY 2.0
Vatican

Le président chinois a-t-il vraiment offert un cadeau au pape François?

Le président chinois a-t-il transmis un cadeau au pape François? Eglises d’Asie (EdA) doute de la véracité de cette information donnée par la presse. L’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP) a réalisé une analyse approfondie de l’affaire. Elle estime en outre que les relations sino-vaticanes ne sont pas forcément aussi bonnes que présentées.

Le pape François a tenu aux journalistes, dans l’avion qui le ramenait, le 2 octobre dernier, de Bakou à Rome, un certain nombre de propos concernant la Chine. La presse en a surtout retenu que, si un voyage du pontife à Pékin n’était pas pour tout de suite, les relations entre le Saint-Siège et la Chine populaire étaient «bonnes». Un des signes de ce réchauffement entre les deux parties étant que «le président Xi Jinping a envoyé un cadeau au pape». «A y regarder de plus près, un faisceau de présomptions laisse penser qu’en réalité, le président chinois n’a pas fait parvenir de cadeau au pape», affirme EdA.

Qu’a dit exactement le pape?

Répondant à une question de Jean-Marie Guénois, du quotidien français Le Figaro, au sujet d’un éventuel voyage en Chine, le pape commence par répondre que des «commissions de travail» sont à l’œuvre entre Pékin et Rome. Le pontife continue en disant que, bien qu’il soit de nature optimiste, il estime que les choses qui sont menées dans la précipitation ne sont «pas bonnes». «Les relations entre le Vatican et la Chine devront bien être normalisées un jour et nous en parlons, lentement», précise le pape, en ajoutant qu’il a «la plus haute estime pour la nation chinoise». Il évoque ensuite, à titre d’exemple, un symposium organisé très récemment à l’Académie pontificale des sciences au sujet de son encyclique Laudato Si’. «(…) était présente une délégation chinoise du président. Et le président chinois m’a envoyé un cadeau. Les relations sont bonnes», déclare le pape.

Quelle délégation chinoise était présente à Rome?

Le 28 septembre dernier, l’Académie pontificale des sciences sociales a organisé au Vatican un symposium international intitulé «Joint Consultation on Laudato Si’ and the Path to COP [Conference of Parties] 22» (Consultation conjointe sur Laudato Si’, en perspective de la COP 22). Le cardinal ghanéen Peter Turkson, préfet du dicastère pour le service du développement humain intégral, nouvellement créé, a reçu les invités à ce symposium, parmi lesquels figurait une délégation chinoise. Il s’agit d’une fondation chinoise active dans la protection de l’environnement: la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation. La personne qui représentait la fondation lors de ce symposium a remis un cadeau au pape François. Il s’agit d’un estampage de la très fameuse Stèle nestorienne ou Stèle de Daqin, conservée au Musée des stèles de Xi’an, au centre de la Chine.

Qui est derrière cette fondation chinoise?

La China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation, initialement connue sous le nom de China Milu Foundation, est une fondation active dans la défense de l’environnement. Elle semble très bien «connectée», assure EdA. Fondée par Lu Zhengcao, un des premiers généraux de l’Armée populaire de libération, elle est aujourd’hui dirigée par Hu Deping. Archéologue, Hu Deping est aussi le fils aîné de Hu Yaobang (1915-1989), qui fut secrétaire général du Parti communiste chinois de 1982 à 1987. Deng Xiaoping, qui lui succéda, le limogea pour sa trop grande proximité avec les manifestations étudiantes revendiquant plus de démocratie. Hu Yaobang est mort en avril 1989, trois semaines à peine avant l’écrasement du Printemps de Pékin, place Tiananmen. Selon la presse japonaise, le père de l’actuel président Xi Jinping, Xi Zhongxun, et le père de Hu Deping étaient proches. Cette proximité existerait également au niveau de leurs fils. Ce qui expliquerait que Xi Jinping, en dépit de l’autoritarisme dont il fait preuve depuis qu’il est au pouvoir, ait autorisé, l’an dernier, la publication des œuvres complètes de Hu Yaobang, pourtant empreintes d’un «libéralisme» aujourd’hui peu en odeur de sainteté.

En dépit de cette proximité supposée entre Xi Jinping et Hu Deping, il ne semble pas que Hu Deping faisait partie de la délégation qui a assisté au symposium du 28 septembre au Vatican. Un message de la China Biodiversity Conservation and Green Development Foundation posté le 29 septembre sur Weibo (l’équivalent chinois de Twitter) indique que c’est le secrétaire général de la fondation qui a remis au pape l’estampage de la Stèle nestorienne.

Qu’en conclure?

Du côté du Saint-Siège comme de la Chine, aucun commentaire n’a été émis après que la presse s’est fait l’écho du «cadeau du président Xi Jinping remis au pape François». Du côté chinois, la presse très officielle, du type Global Times ou Quotidien du Peuple, ne dit mot de l’affaire. Du côté du Saint-Siège, le Bureau de presse assure à EdA «ne pas avoir les détails» de ce point précis.

Peut-on pour autant envisager que le président Xi Jinping ait pu faire remettre un cadeau au pape en passant par l’entremise de cette fondation chinoise? Selon les observateurs, l’hypothèse aurait eu un début de crédibilité au cas où Hu Deping en personne se soit déplacé à Rome et ait remis en main propre au pape l’estampage en question. «En l’absence de Hu Deping, il semble inenvisageable, sur un strict plan protocolaire, que le président chinois passe par des voies aussi détournées pour faire passer, de manière somme toute aussi publique, un cadeau au pape», relève EdA.

Quid des relations sino-vaticanes?

En dépit des déclarations d’intention de part et d’autre faisant état d’un «désir sincère» d’améliorer les relations, celles-ci semblent toujours aussi délicates, affirme EdA. Même sur le seul terrain culturel, des chantiers pourtant bien avancés sont aujourd’hui bloqués, assure l’agence d’information asiatique. On peut citer à titre d’exemple le projet de numérisation des 1’200 manuscrits chinois anciens de la dynastie des Qing conservés à la Bibliothèque du Vatican. L’Université de Pékin devait numériser au Vatican ces précieux écrits et en organiser en 2017 une exposition itinérante dans des villes universitaires de Chine. Or, selon les informations d’EdA, ce projet est au point mort depuis six mois, la partie chinoise ne donnant plus signe de vie.

Quant à la mention par le pape, dans l’avion qui le ramenait de Bakou, d’une exposition des Musées du Vatican organisée en Chine, EdA assure ne pas en avoir trouvé trace, «sinon celle de l’exposition qui a eu lieu du 5 février au 2 mai dernier». La manifestation était intitulée «The Altar, Catholicism Spreads East, The Holy See, The Liturgical Year, The Pope and History, and The Sacraments» (L’autel, le catholicisme se répand à l’est, le Saint-Siège, l’Année liturgique, le pape et l’histoire, et les sacrements). Cette exposition était bien organisée par le Vatican. Elle a toutefois eu lieu non en Chine populaire, mais à Taipei, en République de Chine (Taïwan), souligne EdA. (cath.ch-apic/eda/ra/rz)

Le président chinois Xi Jiping a-t-il offert un cadeau au pape François? | © Senado Federal/Flickr/CC BY 2.0
8 octobre 2016 | 11:18
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 5  min.
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