Haute-Egypte: Les extrémistes musulmans s'en prennent de plus en plus aux coptes
Le meurtre en juillet dernier d’un chrétien copte à Tahna Al-Jabal, dans le gouvernorat de Minya, relance le débat sur les relations entre la majorité musulmane sunnite et la minorité copte en Haute-Egypte. Un conflit dû en partie à l’ignorance et à la pauvreté. Pham Mary Khalaf, un jeune copte de 27 ans, a trouvé la mort dans la dispute avec un groupe de musulmans et deux autres chrétiens ont été blessés.
Ces dernier mois, les attaques se sont multipliées contre la communauté copte en Egypte: des maisons de familles chrétiennes ont été prises pour cible, notamment dans plusieurs villages de la province de Minya.
Les violences sectaires, menaces pour l’unité de la nation
Le patriarche copte-orthodoxe Tawadros II, le cheikh Al-Tayyeb, grand imam d’Al-Azhar, et le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi ont tour à tour appelé au calme et à la raison, et averti du danger que représentaient les violences sectaires pour l’unité de la nation, rapporte Radio Vatican.
Les tensions confessionnelles ne sont pas chose nouvelle en Egypte, mais leur aggravation serait cette fois due à un projet de loi sur la construction d’églises qui doit être présenté au Parlement. Cette nouvelle législation viendrait ainsi abroger celle actuellement en vigueur, datant de l’ère ottomane et très restrictive à l’égard des édifices chrétiens.
Pour les musulmans fanatiques, l’Egypte est une terre d’islam
Pour Mgr Kyrillos William, évêque copte-catholique d’Assiout, en Haute-Egypte, le problème vient notamment du fait que les musulmans fanatiques considèrent que l’Egypte est une terre d’islam, bien que les coptes fussent présents dans cette région bien avant les musulmans. Ces fanatiques considèrent que les chrétiens n’ont pas le droit de construire de nouvelles églises. «Ils voudraient même détruire les églises existantes!»
C’est à ses yeux la cause principale des attaques des fanatiques: «une fois que l’on aura une loi claire [permettant de construire des églises] et qu’on la mette en vigueur, plusieurs disent que cela va permettre de résoudre beaucoup de problèmes. Les coptes ne seront plus obligés de construire clandestinement des maisons qu’ils transformeront plus tard en églises. C’est un droit pour tout le monde d’avoir un lieu de culte!»
Ignorance et fanatisme d’une partie de la population
La cause des attaques contre les coptes viennent avant tout de l’ignorance et du fanatisme d’une partie de la population et surtout des prédications du vendredi dans les mosquées. «C’est pourquoi, depuis qu’il a été élu, le président Fattah Al-Sissi dit qu’il faut changer le style des prédications du vendredi, parce que plusieurs imams ont toujours l’habitude de terminer la prédication avec des insultes contre les chrétiens et les juifs, avec des insultes qui incitent les gens simples à réagir». Ces agressions ont lieu surtout dans les villages, tandis qu’en ville d’Assiout, l’évêque a pu construire plusieurs églises sans trop de problèmes.
Mgr Kyrillos William souligne que si le président Fattah Al-Sissi a posé des gestes importants en faveur de la minorité copte, il doit cependant faire face à des mentalités qui ont été formées depuis des décennies en ce qui concerne les non musulmans. «Cela prendra beaucoup de temps pour changer». L’évêque copte-catholique se réjouit cependant que des écrivains et des journalistes prennent fait et cause pour les droits des chrétiens.
Les chrétiens se plaignent de discriminations
A 250 km au sud du Caire, Minya, et plus généralement la Haute-Egypte, sont le théâtre d’incidents confessionnels récurrents, note pour sa part le journal en ligne «Al Ahram Hebdo«. Ainsi, les chrétiens se plaignent souvent de discrimination et d’attaques sectaires. En mai dernier, les villageois musulmans du village d’Al-Karm à Minya avaient incendié sept maisons chrétiennes et ont déshabillé une femme âgée en public. L’incident est survenu suite à des rumeurs selon lesquelles le fils de cette femme aurait eu une relation illicite avec une femme musulmane.
L’incident sanglant dans le village de Tahna Al-Jabal, situé à l’ouest du Nil et au pied de la montagne, a fait la une des journaux dimanche 17 juillet après qu’un jeune copte eut été tué et trois autres blessés. Tout commence lorsque cinq jeunes musulmans se rendent au cimetière pour se recueillir sur la tombe d’un ami récemment décédé. Ils passent devant la maison du prêtre Metaos, mais, selon eux, les enfants du prêtre les ont empêchés de passer. Une altercation verbale éclate. Et des voisins coptes se joignent à la dispute qui a rapidement dégénéré. Résultat: le copte Pham Mary Khalaf se fait tuer.
Discours apaisants
Quelques jours après l’incident, le calme est revenu au village, écrit «Al Ahram Hebdo». Le maire exclut que cet incident soit de nature confessionnelle. «Il n’y a pas d’extrémisme dans notre village, affirme-t-il. A Tahna Al-Jabal, l’église fonctionne un peu comme un centre de cours particuliers. Et tout le monde assiste à ces cours, musulmans et chrétiens».
Le Père Ayad Chaker Hana, 80 ans, écarte lui aussi toute dimension confessionnelle de l’incident. «Il n’y a pas d’activités sectaires dans le village. Ma relation avec les musulmans est plus forte que ma relation avec les chrétiens. Il y a peu, l’un d’entre eux m’a même offert un Coran après son voyage en Arabie saoudite. La bonne relation intercommunautaire est possible et je crois au vivre-ensemble des habitants de ce village», affirme le Père Ayad.
Pour sa part, l’évêque Macarios estime que la meilleure solution après de tels événements est que la justice soit appliquée. Lorsque qu’ils se produisent, des séances de réconciliation coutumières sont organisées, «mais cela ne marche jamais. Il faut que la loi soit appliquée!» «L’ignorance et la pauvreté sont à mon avis les principales causes de ce genre d’incident et de la violence interreligieuse», insiste-t-il.
L’influence négative des pays du Golfe
Isaac Ibrahim, chercheur au sein de l’Initiative égyptienne des droits personnels, estime que la situation sociale et économique des habitants de Minya est un facteur déterminant dans la recrudescence de la violence sectaire. «Minya est le gouvernorat le plus pauvre de Haute-Egypte. Cette situation a poussé beaucoup d’habitants à immigrer dans les pays du Golfe, et ils sont revenus avec des idées et des croyances hautement conservatrices», explique Ibrahim.
Et d’ajouter que la Haute-Egypte a été le berceau des groupes islamistes radicaux, «fait qui complique le dialogue entre les différentes communautés et rend la cohabitation entre les musulmans et les chrétiens très difficile».
Les séances de réconciliation n’ont jamais réglé le problème à la racine
Mais d’autres facteurs existent. Ainsi, après la chute du président Morsi et du régime des Frères musulmans, la population chrétienne s’est sentie plus rassurée. Des églises ont été construites, ce qui a donné lieu à des frictions avec les musulmans. Depuis de longues années, l’Etat a recours aux séances de réconciliation coutumières pour faire face aux problèmes confessionnels. Ainsi, des responsables d’Al-Azhar et de l’Eglise se réunissent avec les responsables des incidents et tentent de trouver des solutions à l’amiable.
«Ces séances de réconciliation, mises en place par le ministère de l’Intérieur dans les années 1990, ont bien fonctionné à une époque, en particulier dans les gouvernorats de la Haute-Egypte», confie le général Magdi Bassiouni, expert en sécurité et ancien ministre-adjoint de l’Intérieur. Pourtant, de nombreux observateurs affirment que ces séances n’ont jamais réglé le problème à la racine, «car soigner un bouton de fièvre n’est pas soigner la fièvre».
Inaction des institutions religieuses
«Toutes les institutions de l’Etat se demandent pourquoi le conflit sectaire enfle précisément à Minya, constitué à 60 % de chrétiens. Personne ne sait non plus si ces événements sont des actes instrumentalisés par des groupes extrémistes, ou s’ils sont simplement le résultat de la mauvaise gestion des responsables locaux. Comment est-il possible qu’à l’heure actuelle ces questions soient encore sans réponses et qu’aucune étude sérieuse n’ait été menée sur la question ?», se demande pour sa part la députée Margaret Azar. Pour elle, il faut analyser tous les aspects de ces incidents, afin que l’Etat puisse enfin prendre des mesures pour éviter une recrudescence de la violence dans les gouvernorats de Haute-Egypte et d’ailleurs.
Selon Samia Saleh, professeure de sociologie de l’Université de Aïn-Chams, «la propagation de l’ignorance, de l’analphabétisme, le manque de conscience citoyenne, la proportion élevée des coptes, la présence d’un certain nombre de Frères musulmans, et surtout l’inaction des institutions religieuses dans l’établissement de relations de fraternité entre les communautés permettent à ce type d’incidents de se produire».
Fruit de la marginalisation
Selon elle, l’Etat a besoin d’organiser des campagnes de sensibilisation afin de diffuser un message de tolérance religieuse et de faire comprendre l’esprit de citoyenneté. «La Haute-Egypte est un cas particulier où l’environnement est propice à la propagation de ces conflits. Face à l’absence d’intervention de l’Etat et d’institutions comme Al-Azhar, ainsi qu’au manque d’éducation, les groupes islamistes et salafistes sont devenus une alternative possible pour beaucoup de citoyens».
«Ces groupes interviennent désormais dans la résolution des problèmes des habitants qu’ils soient d’ordre religieux ou social», explique Maher Farghali, spécialiste des groupes islamistes. Selon lui, les incidents à répétition à Minya et dans d’autres régions de Haute-Egypte sont le fruit de la marginalisation, du manque de développement et de l’absence de valeurs d’un Etat de droit. (cath.ch-apic/alahram/radvat/be)