Urban Federer, Abbé d'Einsiedeln et sa soeur Barbara Schmid-Federer, conseillère nationale (PDC,ZH) (photo: Forum ZH, Christoph Wider)
Suisse

Les Federer: l'Abbé et la politicienne

Barbara Schmid-Federer est conseillère nationale zurichoise depuis 2008. Urban Federer est Abbé du monastère d’Einsiedeln, depuis 2013. Frère et sœur, devenus tous deux des personnages publics, échangent sur leur relation et sur leurs engagements, pour le bulletin des paroisses de Zurich Forum.

Barbara et Urban Federer sont nés et ont grandi à Zurich. Ils sont les arrière-petits-enfants du premier conseiller fédéral conservateur-catholique Josef Zemp. Née en 1965, Barbara, après des études de lettres à Zurich, à la Sorbonne à Paris et à Grenade est devenue enseignante puis assistante du président de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). Elle est élue au parlement fédéral depuis 2007. Elle est mère de deux fils. Sur le plan social, elle est, entre autres, présidente de la Croix Rouge du canton de Zurich.

Urban, né en 1968, a rejoint le noviciat de l’Abbaye d’Einsiedeln à l’âge de 20 ans. Il a fait sa profession solennelle en 1992 avant d’être ordonné prêtre en 1994. Il a étudié la théologie et la philosophie à Einsiedeln et aux Etats-Unis. Il a obtenu, en 1999, une licence en littérature allemande et en histoire à l’Université de Fribourg, puis un doctorat en 2007. Il a également étudié la musique et le chant grégorien au conservatoire de Fribourg.

En 2007, il devient professeur de religion, d’histoire et de langue allemande au lycée de l’Abbaye d’Einsiedeln. Elu prieur de l’Abbaye en 2010, il en devient le 59e Abbé en 2013. En tant que supérieur de cette Abbaye territoriale, il siège également au sein de la Conférence des évêques suisses (CES).

Quel est le trait de caractère que vous appréciez chez votre frère, votre soeur?

Barbara Schmid-Federer: Son humour et sa sérénité.

Urban Federer: Sa sincérité et son engagement.

Sur quoi vous êtes-vous querellés comme enfants?

B.S-F: Comme tous les autres enfants, sur la suprématie dans les jeux ou sur le rôle de chacun dans nos petits théâtres, par exemple.

U.F.: Elle m’a parfois énervé parce qu’elle a trois ans de plus que moi. Je voulais toujours pouvoir rester debout plus longtemps, avoir droit aux mêmes choses qu’elle.

Qu’elle a été votre réaction lorsque votre soeur a été élue au Conseil national, en 2007?

U.F. Ce fut assez particulier, parce que les rôles avaient soudain changé. Plus jeunes, c’est plutôt elle qui me poussait à m’engager au plan politique.

Et vous, quand votre frère a été élu Abbé d’Ensiedeln en 2013?

B.S-F: Comme Conseillère nationale, je voulais me tenir au principe de ne jamais mélanger vie publique et vie privée. Je ne parlais jamais en public de mon mari, de mes enfants ou de mon frère. Mais lorsque Urban a été élu, il m’est apparu clairement, pour la première fois, que ce principe était dépassé, puisque nous allions être tous les deux dans l’arène publique. Au début, cela m’inquiétait, parce que je ne savais pas comment aborder la chose. Nous avons tenu, pour ainsi dire, une séance de crise interne.

Comme Abbé, votre frère parle souvent du rythme de la vie. Est-ce pour vous une source d’inspiration?

Au début comme conseillère nationale, j’ai travaillé autant que je pouvais, jusqu’à ce que je remarque que je m’épuisais complètement. Pendant les sessions, je faisais toujours plusieurs choses à la fois, de 7h à 22h30, sans pause. Lorsque l’on veut tout avoir, on ne tient pas longtemps. J’ai dû apprendre à construire des structures et des rituels. Ainsi, je bloque certaines heures dans mon agenda et je prends volontairement du temps pour moi seule. Je dois trouver mon propre rythme. Heureusement, cela va de mieux en mieux.

Votre soeur a dévoilé un jour votre blague préférée: Deux politiciens rentrent d’une séance. «Qu’ont-ils dit de nouveau sur la réforme des rentes?» demande l’un. «Rien» répond l’autre. «Cela, je le sais bien. Mais comment l’ont-ils formulé?» Ne peut-on pas l’appliquer aussi aux théologiens et aux prédicateurs?

U.F.: Le danger de la routine nous guette aussi, bien sûr. Heureusement, dans la communauté, nous avons beaucoup de prédicateurs. Lorsque je prêche au couvent, c’est à chaque fois un défi, car il y a une saine concurrence. En outre, il est très bénéfique pour nous de publier sur internet nos prédications pour les grandes occasions. Je dois alors proposer un texte épuré qui fonctionne aussi bien à l’écrit qu’à l’oral.

Votre frère a raconté que son entrée au monastère lui avait coûté quelques amitiés. Est-ce le cas aussi en politique?

B.S-F.: Tout d’abord nous avons simplement beaucoup moins de temps. Les bons amis le restent, même si nous nous voyons plus rarement qu’auparavant. Mais des personnes se sont éloignées lorsque je suis apparue sous l’étiquette ‘PDC’

Qu’en est-il des amitiés en politique ?

B.S-F.: Au Conseil national, il règne un climat assez rugueux. Lorsque fraîchement élue, on arrive dans la salle du Conseil national, on a 199 autres personnes contre soi, pour le dire de manière un peu outrancière. Parce que tous les anciens cherchent à maintenir les nouveaux le plus tranquilles possible le plus longtemps possible.

«Au Conseil national, il règne un climat assez rugueux»

Il est difficile de trouver quelqu’un prêt à vous aider. La plupart du temps, on les trouve en dehors de son propre parti. Deux ou trois parlementaires d’autres partis m’ont servi de mentors. Je leur en serai éternellement reconnaissante. Entre-temps, j’ai cependant bâti quelques relations de confiance solides avec d’autres politiciens.

Votre soeur a été soutenue par des membres d’autres partis. Cultivez-vous aussi l’amitié au sein de la communauté monastique ?

U.F.: Les relations amicales ont toujours joué pour moi un grand rôle. Elles ne sont pas nombreuses et le temps me manque aussi pour les entretenir soigneusement. Mais ce sont des personnes importantes avec lesquelles je peux recommencer en tout temps là où nous nous sommes arrêtés. Je n’ai heureusement pas de difficulté pour aller vers les gens et je noue facilement des amitiés.

En tant que conseillère nationale, votre soeur plaide pour une église qui s’engage sur le plan politique et éthique. Comment réagissez-vous en tant qu’Abbé?

U.F.: L’Eglise a une voix qu’elle doit apporter. Elle est fondamentale pour les valeurs que nous vivons en Suisse. Mais je me protège de la politique partisane et d’une trop grande proximité avec les partis, même celui de ma sœur. En outre, je ne veux pas élever la voix continuellement. Je veux que les gens restent surpris et attentifs lorsque j’ai quelque chose à dire.

B.S-F.: Pour moi il est tout à fait clair que mon frère ne doit rien avoir à faire avec la politique de parti. Mais je souhaite que les théologiens traduisent, concrètement à notre époque, les récits bibliques comme celui du bon Samaritain.

U.F: Dans les années 1980, nous avions déjà accueilli de réfugiés à l’Abbaye d’Einsiedeln, quand le débat politique n’était pas aussi chaud. Mais nous avons vécu notre foi chrétienne et nous n’avons pas fait de politique.

«Le pape François se mêle de politique avec des paroles très claires»

Lorsque l’an dernier, nous avons à nouveau accueilli un groupe de plus de trente réfugiés, le président de l’UDC locale m’a demandé s’il pouvait être présent lors de leur arrivée pour les saluer. Nous voulons intégrer toutes les personnes et créer des liens. Le pape François se mêle de politique avec des paroles très claires.

Un autre des axes sur lequel l’engagement du pape est nettement politique est celui de l’écologie avec son encyclique Laudato Si.

B.S-F.: J’ai lu son encyclique sur l’environnement lors de mes dernières vacances d’été. A vrai dire, j’ai dû la lire. Je ne l’aurais probablement pas fait volontairement. Mais j’ai été très impressionnée par sa sensibilité envers l’homme et l’environnement. J’y ai trouvé beaucoup plus de substance que dans tout ce que j’avais lu auparavant. Après cette lecture, j’ai déclaré lors d’un débat, que, pour moi, la construction d’un deuxième tube au tunnel du Gothard n’entrait plus en ligne de compte. Cela m’a été reproché, mais le texte du pape François m’a fait comprendre que nous devons nous resaisir.

U.F.: Chez le pape actuel, je trouve ce lien entre religion spiritualité et politique particulièrement passionnant et intéressant. Par sa voix, il est devenu comme la conscience de l’Europe aussi pour des gens qui ne sont pas du tout dans l’Eglise.

Quels comptes l’Abbaye doit-elle rendre à la politique?

Comme tous les citoyens, nous sommes tenus de nous engager pour la société et pour le bien commun. Je trouve important et bon que nous cultivions en Suisse cette concordance dans laquelle les divers partis sont liés.

En quoi la politique est-elle redevable à l’Abbaye?

B.S-F.: Sa stabilité et sa durabilité sont uniques. Dans un monde médiatique, dans lequel tout va très vite, cela fait du bien d’avoir un tel rocher au milieu des vagues. Souvent à cause de la vitesse, nous manquons de crédibilité. En une heure, nous attendons une réponse fondée, mais parfois simplement une réponse qui sonne bien, même si elle est peu fondée. Nous pouvons alors prendre en exemple le rythme conscient et la réflexion intellectuelle solide du monastère.

Quel souhait voudriez-vous exprimer à votre frère?

B.S-F.: Ne te laisse pas corrompre. Reste ce que tu es. Il arrivera probablement un temps où tu ne seras plus Abbé, où tu vivras une période difficile. Tu seras alors bien équipé si tu restes comme aujourd’hui.

Et à votre sœur?

Je pourrais dire exactement la même chose. Et j’y ajouterais: que tu puisses voir un jour les fruits de ton grand engagement.

(cath.ch-apic/forum/mp)

Interview complète en allemand : https://forum-pfarrblatt.ch/ausgaben/2016/15/der-abt-und-die-nationalraetin/

 

Urban Federer, Abbé d'Einsiedeln et sa soeur Barbara Schmid-Federer, conseillère nationale (PDC,ZH) (photo: Forum ZH, Christoph Wider)
21 juillet 2016 | 17:23
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 6  min.
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