Fasting Days 2016: Les musulmans de Fribourg veulent stimuler le «vivre ensemble»

«Le dialogue, la connaissance mutuelle, le partage – valeurs fondamentales et communes à toutes les religions – sont les clés du bien vivre ensemble», a lancé vendredi soir le conseiller communal fribourgeois Pierre-Olivier Nobs, invité par l’association «Frislam – Fribourgeois musulmans».

Le municipal chrétien-social représentait le Conseil communal de la ville de Fribourg, le soir du 1er juillet, au premier jour des «Fasting Days 2016» organisés à l’occasion du mois de ramadan par la communauté musulmane fribourgeoise.  Une manifestation soutenue tant par la ville de Fribourg que par le Bureau à l’intégration des migrant-e-s et de la prévention du racisme (IMR) du canton de Fribourg.

Les «Fasting Days» se clôturent samedi 2 juillet par un moment de convivialité autour d’un repas de rupture du jeûne sur la Place Georges-Python dès 20h30. Cette agape, à laquelle est invitée toute la population, fait suite au premier succès rencontré le 2 juillet 2015 au même endroit. Plusieurs centaines de personnes, de toutes origines, s’étaient alors rencontrées à l’initiative des jeunes musulmans de Frislam, qui militent pour un islam «citoyen et participatif», voulant être à la fois «pleinement Suisses et pleinement musulmans».

«Il n’y a pas de contrainte en religion»

Citant une partie du verset 32 de la sourate 5 du Coran, «celui qui tuerait un homme, c’est comme s’il avait tué l’humanité toute entière, celui qui sauve un homme sauve l’humanité toute entière», Pierre-Olivier Nobs a relevé que le Conseil communal de la Ville «soutient toutes les initiatives visant à faire éclore le respect, la concorde et les richesses du bien vivre ensemble».

Citant l’article 15 de la Constitution fédérale, il a également rappelé au public musulman, réuni dans les locaux de l’Université à Pérolles, qu’en Suisse, la liberté de conscience et de croyance est garantie. «Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté», a-t-il insisté, en mentionnant également une sourate du Coran, selon laquelle «il n’y a pas de contrainte en religion».

De la religion en politique

Dans le débat qui a suivi, des personnalités politiques suisses de diverses obédiences partisanes ont débattu durant plus d’une heure du rôle que tient la religion dans leurs prises de décision.

«C’est très dangereux de se revendiquer de la religion en politique», a ainsi lancé Yannick Buttet, conseiller national démocrate-chrétien valaisan, mais il faut absolument éviter un laïcisme qui enlèverait à l’Homme toute dimension transcendantale: cela le réduirait au rang d’un simple animal. Il déplore que certains milieux veuillent enlever toutes les références à Dieu, qui seraient perçues comme exclusivistes.

Le matérialisme seul est ruineux

Défendant la neutralité de l’Etat en matière religieuse – «pas une laïcité comme en France, qui est en fait une religion!» – l’ancienne conseillère nationale libérale vaudoise Suzette Sandoz regrette que «l’on ne défende plus nos valeurs». Engagée dans l’Eglise évangélique réformée vaudoise (EERV), la professeure honoraire de droit de la famille et des successions à l’Université de Lausanne  souligne ainsi que le matérialisme seul est ruineux.

«Des jeunes se radicalisent parce que l’on ne transmet plus des valeurs comme le respect de la personne… La dimension spirituelle, la transcendance, sont importantes pour assurer la paix dans la communauté». Mais la libérale ne veut pas que l’on mélange religion et politique: «Cela me trouble beaucoup quand j’entends que l’on récupère Dieu en politique!»

Infirmière dans un EMS, la municipale Sabine Tiguemounine, élue «verte» de la ville de Meyrin, dans le canton de Genève, relève que le fait qu’elle porte le voile et qu’elle ne cache pas son appartenance religieuse, n’a pas fait de vagues ni provoqué des polémiques. «Je n’ai pas rencontré d’hostilité, peut-être une certaine distance chez certains. Je n’ai pas été élue parce que j’étais musulmane, mais en raison de mon engagement depuis des années dans la vie associative locale».

Le port du voile n’est pas une obligation

Pour Ada Marra, conseillère nationale socialiste vaudoise, «ce qui nous rend étrangers, c’est le regard des autres». Et la politicienne, très engagée au plan social et qui revendique sa foi catholique «sans toujours suivre Rome», de se demander pourquoi cela crée tant problème quand quelqu’un porte un voile, alors que ce n’est pas le cas s’il porte une croix. «Une enseignante portant le voile, cela peut déranger les élèves», estime par contre Yannick Buttet.

Pour nombre de courants musulmans, le port du voile n’a jamais été une obligation canonique, contrairement au jeûne du ramadan ou aux cinq prières quotidiennes. Sabine Tiguemounine relève, pour sa part, que le port du voile est une obligation. Elle souligne qu’une tenue vestimentaire décente est d’abord pour la femme un moyen de se protéger. Et de relever la contradiction existant avec des musulmanes qui, tout en portant le voile, arborent des tenues moulantes…

Quant au financement des mosquées et des associations musulmanes par l’étranger, remis en question par la conseillère nationale PDC argovienne Ruth Humbel, le Conseil fédéral estime d’ores et déjà qu’une interdiction serait discriminatoire et que les lois actuelles sont suffisantes pour combattre les risques de radicalisation. Sabine Tiguemounine, plaidant pour une autogestion financière des communautés musulmanes locales, souhaite cependant qu’elles prennent leurs responsabilités également sur ce plan là. Elle estime aussi que les imams devraient être formés en Suisse, «car l’on doit connaître la société dans laquelle on vit!»

Des religions «à la sauce helvétique»

Ada Marra est d’avis que pour éviter les financements étrangers, qui peuvent favoriser la propagation d’un islam inadapté aux réalités d’une société démocratique et respectant les droits de la femme, il faudrait que l’Etat s’engage financièrement. Pour avoir des religions «à la sauce helvétique»!

Suzette Sandoz, par contre, en bonne libérale, aimerait éviter un trop grand contrôle étatique sur les religions: «Ce serait catastrophique, on connaît bien ce qu’a donné le césaropapisme dans l’Histoire!» Il ne faudrait pas que les financements étrangers – «auxquelles nous devons être attentifs en ce qui concerne la provenance» – dispensent la communauté locale de s’engager financièrement et de prendre ses responsabilités.

Tandis que Yannick Buttet souhaite que les associations musulmanes dénoncent publiquement la minorité islamiste extrémiste, pour éviter qu’à chaque attentat sanglant ce soit toute la communauté musulmane qui en pâtisse, Ada Marra rétorque que quand un catholique commet un crime, on ne demande pas au pape de s’excuser. Pour le politicien valaisan, cependant, les responsables musulmans doivent se faire entendre, car les terroristes revendiquent ces actions au nom de l’islam.

Les jeunes radicalisés sont très hermétiques

Sabine Tiguemounine affirme qu’il faut développer la détection des extrémistes au sein des communautés musulmanes, voir les signaux d’alarme. «C’est le rôle des mosquées, des copains… On doit travailler avec les familles, les autorités, mais c’est difficile, car ces jeunes radicalisés sont très hermétiques!»

Invités par Frislam, Hansjörg Schmid, co-directeur du Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, et la sociologue Mallory Schneuwly Purdie, responsable de recherche au CSIS, ont échangé auparavant avec une vingtaine de jeunes musulmans sur le thème des défis du «vivre ensemble». Un tiers des 450’000 à 500’000 musulmans vivant en Suisse ont moins de quinze ans.

Certaines compétences sont nécessaires pour être imam en Suisse

Les chercheurs notent un certain décalage entre les imams – qui ne maîtrisent pas toujours bien la langue et les codes culturels suisses – et les jeunes musulmans nés en Suisse ou y vivant depuis leur prime enfance. «Il faut certaines compétences pour être imam en Suisse, alors qu’ils ont été formés dans un tout autre contexte, dans une société musulmane, d’où la nécessité de les former sur place», note un intervenant. «Ils devraient aussi mieux connaître les droits des femmes en Suisse», estime une jeune  étudiante musulmane.

Certains participants se sont plaints de la difficulté de trouver du travail quand on porte le voile: «les portes se ferment vite!» D’autres ont souligné le manque d’imams qui connaissent bien la réalité d’une société occidentale, «alors que les jeunes veulent faire des ponts entre leur religion et le milieu dans lequel ils vivent».

Le fossé des générations

Ils sentent bien le fossé des générations existant avec les «anciens», qui souvent se basent sur la tradition et la prière, mais manquent d’ouverture au monde. Ils disent cependant vouloir «marier la force des jeunes avec la sagesse des anciens».

S’ils souhaitent que l’Etat soutienne les activités des associations musulmanes, ils rejettent une trop grande immixtion étatique. En majorité, ils ne ferment pas la porte à des dons de mécènes étrangers, mais ils veulent que cela se fasse sans conditions, en toute transparence.

Actuellement, les responsables religieux musulmans actifs en Suisse sont généralement choisis par des personnes issues des premières générations de migrants arrivés dans le pays à l’âge adulte. Ils n’ont souvent pas vécu leur adolescence en Suisse. «Ils n’ont donc souvent pas les outils pour répondre aux besoins religieux de la jeune génération de musulmans nés en Suisse, qui doivent faire face à d’autres défis que leurs parents dans leur intégration sociale», constate Mallory Schneuwly Purdie. (cath.ch-apic/be)

Fasting Days 2016 L'infirmière et conseillère municipale de Meyrin Sabine Tiguemounine
2 juillet 2016 | 16:03
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 6  min.
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