Pakistan: Deux chrétiens et un musulman condamnés à mort pour blasphème
Le 27 juin, la Cour du tribunal militaire antiterroriste de Gujranwala, au nord-est du Pakistan, a condamné à mort pour blasphème deux chrétiens et un musulman. Anjum Naz Sindhu, un catholique de 65 ans, directeur d’un grand complexe d’établissements scolaires à Gujranwala, était soumis à un chantage par le biais d’un enregistrement de ses paroles jugées blasphématoires. Ses deux maîtres-chanteurs, Javed Naz, un chrétien, et Jaffar Ali, un musulman ont été condamnés pour «détention de matériel blasphématoire».
Selon Asif Sindhu, le frère d’Anjum Sindhu, celui-ci aurait licencié Javed Naz qui travaillait dans un de ses établissements, pour fuite de copies confidentielles d’examens, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. L’employé se serait alors retourné contre son patron, avec l’aide de son ami musulman Jaffar Ali. Les deux maîtres-chanteurs lui ont réclamé 20’000 roupies (171 euros) contre la restitution d’un enregistrement audio contenant des propos «blasphématoires» prononcés par le directeur lors d’un discours dans une école.
Extorsion de fonds et blasphème
Anjum Sindhu a alors payé la rançon, mais comme le chantage a continué – une somme supplémentaire de 50’000 roupies (428 euros) lui a de nouveau été demandée – il a décidé de porter plainte pour extorsion de fonds, afin de mettre fin au chantage.
Après avoir reçu la plainte, la police a arrêté les deux maîtres-chanteurs et récupéré la somme d’argent extorquée. Puis, après avoir saisi le fichier audio, les forces de police ont enregistré au nom de l’Etat un cas de blasphème pour chacun des trois protagonistes: le premier pour avoir blasphémé et les deux autres pour détention et conservation de propos blasphématoires. En plus de la peine de mort, les deux maîtres-chanteurs ont écopé de 35 ans de prison et d’une amende de 800’000 roupies (6’850 euros) pour extorsion de fonds.
Une enquête bâclée
Selon Arif Goraya, l’avocat du directeur d’établissements, les onze témoins étaient des policiers, et les élèves présents pendant le discours enregistré n’ont même pas été entendus pour vérifier la véracité des accusations. «Durant le réquisitoire, j’ai alerté à plusieurs reprises la Cour militaire sur le fait qu’il n’existait pas de preuve directe et que l’enquête souffrait de nombreuses failles, ce qui rendait l’ensemble de la procédure judiciaire suspecte». Etant donné que l’islam interdit l’écoute de propos blasphématoires, personne n’a jusqu’à présent écouté l’enregistrement audio pour vérifier qu’il s’agissait bien d’une affaire de blasphème, note l’avocat.
Pour Asif Sindhu, son frère a été condamné à la peine capitale sur de fausses accusations. «Anjum Sindhu était au service de la ville depuis une vingtaine d’années, ses établissements accueillaient près de 2’000 élèves et il était apprécié aussi bien des chrétiens que des musulmans», précise un ami de sa famille.
«Mon frère est allé dans un commissariat pour porter plainte contre une extorsion de fonds, et à présent, au lieu d’être défendu par la justice, il est emprisonné et condamné à mort pour une accusation mensongère de blasphème. A quel de type de justice avons-nous affaire?», s’insurge Asif Sindhu.
Une justice inique
Au Pakistan, les tribunaux militaires antiterroristes ont été mis en place en janvier 2015, afin d’accélérer les procédures dans les affaires de terrorisme. Ils ont été créés en réponse à une des attaques les plus meurtrières de l’histoire du Pakistan, perpétrée le 16 décembre 2014 contre une école de Peshawar, qui avait fait plus de 140 morts, dont 134 écoliers. Mais d’après différentes études, de nombreuses irrégularités judiciaires ont été constatées au sein de ces tribunaux. Des sources militaires indiquent qu’ils ont déjà condamné 81 personnes, dont 77 personnes à la peine capitale, aucun acquittement n’ayant été prononcé jusqu’à présent. Au moins 27 condamnés ont fait appel auprès d’une cour civile, affirmant que leurs aveux avaient été extorqués sous la contrainte et que le droit de recourir à un avocat leur avait été refusé.
La Commission internationale des juristes (International Commission of Jurists) vient de publier un avis très critique sur le système judiciaire pakistanais. L’ONG affirme en particulier que les tribunaux militaires antiterroristes du Pakistan «sont bien en dessous des normes internationales qui exigent une indépendance et une impartialité des tribunaux lors des procès». (cath.ch-apic/eda/rz)