Le Vatican insolite: les papes font leur cinéma dans une ancienne chapelle
Tout sourire, Léon XIII est immortalisé bénissant une caméra sur une pellicule des frères Lumière. Nous sommes en 1896: c’est la première vidéo d’un pape. Depuis, les souverains pontifes n’ont eu de cesse d’être filmés. Le formidable patrimoine vidéo de l’ère analogique est géré depuis 1959 par la «filmothèque vaticane», dotée d’une cave de conservation des bobines, d’une vaste collection cinématographique et d’une étonnante salle de projection installée dans une ancienne chapelle.
Des bobines métalliques d’un autre âge sont ainsi empilées dans les caves – ou presque – du Vatican. Dans une petite pièce à humidité et température constante, accessible depuis un garage automobile, les pellicules sur étagères coulissantes sont conservées à l’abri du soleil. Les plus anciennes remontent à la fin du 19e siècle. Elles requièrent une maintenance régulière et des conditions de conservation stables. L’idéal serait de les faire numériser par des professionnels: «c’est le prochain défi de la filmothèque», soutient sa directrice, Claudia Di Giovanni, en poste depuis 2006.
L’Enfer n’a pas disparu
«Nous ne sommes pas très connus», regrette-t-elle. Les archives vidéo des nombreux documentaires télévisés sur le Vatican sont pourtant vendues par cette petite structure qui ne compte que deux salariés, rattachée depuis 2015 au Secrétariat pour la communication. Le bureau de la filmothèque se situe dans les locaux du Centre Télévisé du Vatican (CTV) qui lui fournit des techniciens selon les besoins. Le CTV et Radio Vatican, dont les supports sont numériques, s’occupent eux-mêmes d’archiver leurs données.
En plus de gérer les archives anciennes, Claudia Di Giovanni, docteur en archéologie, tient à jour une liste de toute la production cinématographique abordant le thème du transcendant et co-organise chaque année à Rome le festival international Tertio Millennio du cinéma spirituel.
La filmothèque contient une collection de près de 9’000 titres: archives sur les papes et le Saint-Siège, documentaires d’actualité, longs métrages d’intérêt artistique ou théologique. «Nous avons beaucoup de travail, mais pas beaucoup de moyens: la filmothèque n’a jamais rien acheté, tout a été offert», confie Claudia Di Giovanni.
On y trouve La Résurrection du Christ de Kevin Reynolds, projeté au Vatican en présence des acteurs, le récent film Spotlight sur les affaires de pédophilie dans le diocèse de Boston, Le Seigneur des Anneaux, La liste de Schindler offerte par Steven Spielberg, 2001 L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, présenté en 2001 avec la veuve du réalisateur, Ben-Hur de William Wyler… et même un film que l’on pensait disparu: L’Enfer de Giuseppe de Liguoro, réalisé en 1911 et aux effets spéciaux novateurs. Il fait partie du Fond Joye, une collection remontant au début du septième art et donnée à la filmothèque.
La chapelle désacralisée
Ecran de cinq mètres, caisson de basse, six enceintes… avec 54 sièges molletonnés rouge cardinalice, on trouve dans l’ancienne chapelle du palais Saint-Charles l’unique salle de cinéma du petit Etat. Sur la tribune au-dessus du porche, deux projecteurs ont remplacé le buffet d’orgue. Sur les côtés, entre les colonnades, des rideaux en tissus épais permettent d’adapter l’acoustique de la salle voûtée au visionnage.
Ce cinéma haut de plafond, également mis en location par la filmothèque, sert pour des conférences, des avant-premières et des projections privées au personnel de la curie. Jean Paul II avait l’habitude d’y visionner des films le dimanche avec son compatriote et complice le cardinal Andrzej Deskur. En 1999, le pape polonais y regarda La Vie est belle à côté du réalisateur Roberto Benigni. Benoît XVI y visionna un documentaire sur Paul VI en 2008.
Situé tout à côté de la résidence du pape François, ce cinéma ne semble pourtant pas séduire le pontife argentin qui, a-t-il confié un jour, «ne regarde plus la télévision» suite à un vœu fait à Notre-Dame du Mont-Carmel, en 1990. Cela n’empêche pas la réalisation de plusieurs films biographiques sur l’ancien archevêque de Buenos Aires. (cath.ch-apic/imedia/gjes/rz)