Inde: «L’Eglise ne fait pas assez pour les dalits», reconnaît le cardinal Cleemis
Le cardinal Baselios Cleemis, président de la Conférence des évêques catholiques d’Inde (CBCI), a reconnu le 23 mai 2016 que l’Eglise n’en avait pas fait assez pour les dalits dans les sphères économique, sociale et religieuse.
Le prélat s’est exprimé à New Delhi, à l’occasion d’une remise de prix à 72 chrétiens dalits qui se sont distingués dans la promotion sociale et humaine de ceux qui étaient appelés autrefois les «intouchables». Cette prise de position intervient alors que de virulentes critiques sont émises par des catholiques eux-mêmes, pour dénoncer l’inaction de la hiérarchie face à ces discriminations, rapporte «Eglises d’Asie».
Selon les statistiques disponibles, les dalits et les aborigènes (tribals) représentent quelque 70% des 27 millions de chrétiens indiens. Mais ils sont nettement moins nombreux dans les rangs du clergé. Selon le jésuite A.X.J. Bosco, membre du Conseil national des dalits chrétiens (NCDC), sur les 178 évêques que compte la CBCI, dix seulement sont d’origine dalit, soit 5,6%. Le système des castes, malgré son abolition officielle, imprègne tant la société indienne que les chrétiens n’en sont pas immunisés, loin s’en faut, note le religieux.
Des places réservées pour les dalits dans les institutions éducatives de l’Eglise
Le cardinal Cleemis, a reconnu que l’Eglise avait encore du chemin à parcourir pour éradiquer les pratiques discriminatoires envers les dalits au sein même de l’Eglise. L’archevêque de Trivandrum, au Kerala, a promis que l’Eglise se dotera de règles afin de leur réserver un certain pourcentage de places dans ses institutions éducatives, écoles, collèges, lycées et universités.
Cette question des «places réservées»» est très sensible en Inde. Depuis des années, des chrétiens se battent pour que les dalits chrétiens bénéficient des mêmes quotas que ceux réservés dans les universités et la fonction publiques aux dalits hindous. Au prétexte que les religions chrétienne et musulmane ne reconnaissent pas le phénomène des castes, les dalits chrétiens et musulmans ne peuvent pas aujourd’hui bénéficier de ces «places réservées». L’annonce du cardinal Cleemis est donc d’une portée certaine.
Le Dalit Christian Liberation Movement a toutefois estimé que les mesures proposées par le cardinal relevaient plus de l’effet d’annonce que d’un véritable changement d’attitude. En juin 2015, le mouvement a déposé une plainte au centre d’information des Nations Unies à Delhi, contre le Vatican. Cette plainte accuse la CBCI de masquer l’ampleur du problème dalit dans ses échanges avec le Saint-Siège. «Généralement, le Vatican accepte les candidats proposés par la CBCI, mais il ignore totalement le fait que la caste a joué un rôle crucial dans la recommandation des évêques», explique le Père Bosco. La plainte reproche aussi à la hiérarchie catholique de se livrer à des discriminations fondées sur les origines de caste au sein des institutions administratives, éducatives et spirituelles de l’Eglise.
Une attaque contre un évêque dalit commanditée par des prêtres de caste dominante
Dans une lettre ouverte au cardinal Cleemis, le Père Bosco, dénonce le «silence douloureux» des évêques indiens après les violences commises contre Mgr Prasad Gallela, évêque de Cuddapah, en Andhra Pradesh, au sud-est de l’Inde. Le 25 avril dernier, Mgr Gallela avait été arrêté alors qu’il circulait en voiture. Il avait été emmené dans un endroit à l’écart, les yeux bandés, puis violemment battu pendant quatre heures et finalement abandonné, le lendemain, au bord d’une autoroute. Le 2 mai, la police a arrêté quatorze personnes, dont trois prêtres qui avaient loué les services d’une dizaine hommes de main pour commettre ce crime. Les prêtres, appartenant à une caste rurale de propriétaires fonciers, ont expliqué avoir commandité l’enlèvement et le passage à tabac de leur évêque parce que celui-ci était d’origine dalit.
A l’exception du cardinal Oswald Gracias, archevêque de Bombay, cette attaque n’a jusqu’ici suscité aucune condamnation de la part des évêques indiens, déplore le jésuite. Des évêques qui n’étaient pas présents non plus à la manifestation de solidarité qui a rassemblé 1’500 personnes le 16 mai. «Si aucun évêque n’a réagi officiellement, est-ce parce que Mgr Gallela est dalit et que les trois prêtres criminels appartiennent à une caste dominante ?», conclut le religieux.
Dalit est un mot récent
«Dalit» est le nom relativement récent que se sont donné les 150 à 200 millions des pauvres parmi les pauvres de l’Inde. «Dalit» signifie «les opprimés», «les brisés». Ce sont ceux qui depuis des siècles étaient appelés «intouchables», «panchamas» ou «pariahs». A l’époque moderne, Gandhi les avait appelés «harijans» (›enfants de Dieu’). Ils refusent toutes ces appellations données par d’autres et veulent se définir aujourd’hui comme un peuple opprimé. Les dalits représentent 18,46 % des 1,3 milliard d’Indiens. Les aborigènes, qui ne constituent pas un groupe homogène, sont environ 11 % de la population. (cath.ch-apic/eda/mp)