Genève le 1er mai. Festival "Il est une foi". De g. à dr: Roberto Simona, le père Jihad Youssef, Esther Mamarbachi et Lama Aleid. (Photo: Silvana Bassetti)
Suisse

La fin des chrétiens en Orient?

Quelle solidarité avec les Chrétiens d’Orient? Une question complexe débattue le 1er mai 2016, dans le cadre du festival «Il est une foi» à Genève. Pour Roberto Simona, responsable de l’Aide à l’Eglise en Détresse, le père Jihad Youssef et Lama Aleid, réfugiée syrienne établie en Suisse, le maintien d’une présence chrétienne ne doit pas se faire à tout prix, dans un conflit avant tout politique.

«Faut-il rester ou partir? Faut-il demander une protection? Qui va venir? Ce sont les mêmes questionnements que j’ai vécus». Réaction émue du père Jihad Youssef après la projection de Des hommes et des dieux dimanche soir à Genève dans le cadre du festival «Il est une foi». Le film s’inspire de la vie des moines cisterciens de Tibhirine en Algérie, enlevés en 1996. Ces chrétiens ont choisi de donner leur vie pour porter l’amour du Christ dans un village musulman. Une histoire qui résonne avec l’actualité terrifiante rappelée par les intervenants.

Des acteurs de paix sacrifiés

Le Père Youssef vit aujourd’hui dans le monastère de Mar Moussa en Syrie. «Le jésuite Paolo a fait de ce lieu abandonné un espace de rencontre entre chrétiens et musulmans. Il a été enlevé en 2013. Nous sommes sans nouvelles depuis», a-t-il raconté à la centaine de personnes présentes pour le débat aux cinémas du Grütli.

La projection a aussi évoqué un visage chez Lama Aleid, Syrienne établie en Suisse et engagée dans l’aide humanitaire dans son pays d’origine. Celui du père Francis, tué en avril 2014. Des imams à Homs l’avaient appelé, en 2009, pour donner une conférence sur l’éducation des enfants. «Un homme qui avait bien compris notre société et ses nombreuses frontières. Il avait essayé d’y former des passages» a-t-elle témoigné.

«Rester doit être une vocation, pas une obligation»

Mais tous les chrétiens ne sont pas appelés à risquer leur vie. C’est l’avis personnel de Roberto Simona, de l’AED, organisation qui soutient des chrétiens qui ne veulent ou ne peuvent pas quitter l’Orient: «Dans le contexte de guerre, il faut s’ouvrir à l’accueil des chrétiens, parce que rester doit être une vocation, pas une obligation».

Un avis partagé par le père Youssef, qui pour l’instant compte demeurer avec sa communauté. Selon les sources de l’AED, 40% des Syriens chrétiens auraient quitté le pays; en Irak, on serait passé de 1,2 millions de chrétiens dans les années 90, à 300’000 aujourd’hui.

Lama Aleid a pour sa part précisé que «leur disparition signifierait une perte culturelle et historique pour tous». Selon la Syrienne, les chrétiens d’Orient porteraient aussi la culture musulmane et contribueraient ainsi au maintien des liens avec les autres communautés. Cet argument, et le statut de «berceau du christianisme», sont avancés par des représentants ecclésiastiques pour encourager les chrétiens à rester.

 »Les Syriens sont aux portes de l’Europe. Si on les accueille bien, on contribuera à former une génération positive»

 Un problème éthique

«Quelles solutions voyez-vous?» relance Esther Mamarbachi, journaliste d’origine syrienne, et modératrice de la discussion. Les intervenants sont unanimes: le problème est avant tout éthique. Et de souligner qu’en Syrie, les chrétiens sont les maillons faibles d’une guerre qui fait des victimes partout, quelle que soit la religion.

«Le conflit n’est pas religieux, mais politique. Si les Etats en avaient la volonté, il serait résolu en quelques mois» a exprimé Roberto Simona, reprenant des mots de Carla del Ponte. Ne plus faire de commerce avec des pays ne respectant pas les droits de l’homme: une solution difficile à imaginer même pour l’intervenant, citant parmi d’autres exemples la vente d’armement par la France au Koweït et à l’Arabie saoudite.

Face à la perte de valeurs des dirigeants, le père Youssef a rappelé les 6 millions de réfugiés syriens en exil et mise sur l’effort de solidarité internationale: «Les Syriens sont aux portes de l’Europe. Si on les accueille bien, on contribuera à former une génération positive. Les conséquences pourraient être fâcheuses si on les accueillait mal».

Lama Aleid estime que le conflit ne trouvera pas de solution avant plusieurs générations. Elle a ainsi mis sur pied un projet pour faire venir des étudiants syriens en Suisse. Une idée qui peine encore à se concrétiser, dans un système de lois rigide.


Etre chrétien, au-delà des frontières

Roberto Simona, responsable d’AED Suisse, salue la générosité des Suisses pour les chrétiens d’Irak et de Syrie. Il rappelle aussi la nécessité de «dépasser une vision géographique et culturelle». Quelle que soit leur nationalité, les uns et les autres partagent avant tout une même foi.

Va-t-on vers une fin des chrétiens en Orient?

Depuis longtemps on a atteint un nombre symbolique dans ces pays. En tant que croyant, je pense qu’il ne faut pas se focaliser sur les chiffres, mais espérer que ceux qui resteront le feront par vocation. Au départ, Jésus était entouré de quelques personnes. La communauté chrétienne a grandi, pas par la violence ou la politique, mais parce que des gens ont été attirés par le message du Christ transmis par ces témoins. C’est pour moi le message d’espérance.

Les chrétiens d’Orient ressentent-ils une solidarité de la part de l’Occident?

Il y a souvent une grande déception. Je voyage beaucoup dans ces pays pour témoigner auprès des politiciens, dans les écoles, d’une solidarité qu’il faut reconnaître et diffuser. La Suisse est très généreuse envers les chrétiens persécutés. En cinq ans les Suisses ont donné plus de 20 millions CHF à l’Irak à travers notre organisation et environ 15 millions à la Syrie. Les dons récoltés par notre bureau en Suisse sont souvent le fait de petits donateurs, et non de grandes entreprises.

A part donner de l’argent, que peuvent faire les Suisses pour soutenir leurs frères et sœurs d’Orient?

Je crois qu’il faut dépasser une vision géographique et culturelle. Ceux qui se disent chrétiens doivent prendre au sérieux leur relation avec le Christ et se laisser inspirer. Ce que j’ai souvent entendu de la part de chrétiens d’Orient, c’est l’exigence que leurs coreligionnaires d’Europe gardent leur foi. Je crois qu’il ne faut pas tomber dans le piège d’une confrontation idéologique ou politique qui ne mènerait à rien. (cathc.ch-apic/pc)

Genève le 1er mai. Festival «Il est une foi». De g. à dr: Roberto Simona, le père Jihad Youssef, Esther Mamarbachi et Lama Aleid.
3 mai 2016 | 09:36
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 4  min.
AED (95), chrétiens (89), Irak (322), solidarité (81), Syrie (437)
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