Affaire Barbarin: la presse catholique s'insurge contre le lynchage médiatique
«L’affaire Barbarin», du nom de l’archevêque de Lyon accusé d’avoir couvert des cas de pédophilie, continue de secouer la sphère médiatique française. Alors que la presse profane tire à boulets rouges sur le primat des Gaules, les médias catholiques tentent de faire la part des choses. Tout en fustigeant les erreurs de l’Eglise en matière de traitement des prêtres abuseurs, les commentateurs catholiques s’indignent du lynchage médiatique de Mgr Barbarin et du non respect de la présomption d’innocence.
«S’agissant de tels faits, les catholiques – pas seulement la hiérarchie ecclésiale – ont trop longtemps cherché la protection du silence», reconnaît Guillaume Goubert, directeur de La Croix. Un constat semblable est posé d’emblée par Jean-Pierre Denis, directeur de la rédaction du magazine chrétien La Vie. «A l’échelle de l’ensemble de l’Eglise catholique, la lutte contre les abus d’autorité a été défectueuse», note-t-il. Même son de cloche chez le blogueur catholique à succès Erwan Le Mordehec, qui souligne sur son site Koztoujours, qu’il «comprend on ne peut mieux la colère des victimes», face à la passivité de l’Eglise, qui a laissé en fonction un prêtre manifestement pédophile. Ainsi, pour Guillaume Goubert, «un tel silence se paie très cher (…) Surtout pour les victimes condamnées à intérioriser une douleur qui les ronge». Il rappelle que «l’Eglise est au service d’une Parole qui libère. Le devoir lui impose de faire davantage de place en son sein à la parole de ceux qui ont été blessés».
«Spotlight» à la française?
Mais même si les erreurs et la culpabilité des autorités ecclésiastiques sont en général admises, les commentateurs catholiques déplorent le traitement médiatique de cette affaire, vu comme simpliste, généralisant et réducteur.
Erwan Le Mordehec souligne ainsi que «la consultation des quelques articles et des réseaux sociaux me donne vraiment le sentiment que l’opinion, peu attentive aux faits et complaisamment assistée en cela par quelques militants revanchards, plaque sur le cas présent un schéma qui ne lui correspond pas». Il relève que la simultanéité de la sortie du film «Spotlight», qui relate la révélation des abus sexuels dans l’archidiocèse de Boston, a notamment pu créer un climat de confusion dans les esprits.
«La chasse au Barbarin est violente»
Jean-Pierre Denis relève sans ambages que «la chasse au Barbarin est violente». Pour le rédacteur en chef de La Vie, «le racolage médiatique se repaît d’outrances et d’approximations». Sur le blog causeur.fr, relayé par le journal catholique Famille chrétienne, l’avocat Régis de Castelnau affirme également que «nous assistons depuis quelques jours à un lynchage médiatico-judiciaire en grand, comme la presse et les réseaux en raffolent».
«Faut-il rappeler ce qu’est la présomption d’innocence?», interpelle ainsi Jean-Pierre Denis. «A supposer qu’elle suive son cours, une plainte ne fait ni un coupable ni un complice», souligne le journaliste. Cet acharnement médiatique gratuit dont l’Eglise fait les frais indignent particulièrement les commentateurs catholiques. «Quand il s’agit de l’Eglise catholique, cible trop commode, toute tentative d’apporter réponse ou nuance sera dénigrée, ridiculisée, présentée comme maladresse ou mépris. On mélangera le passé et le présent», déplore ainsi Jean-Pierre Denis.
Une attaque contre l’Eglise?
Régis de Castelnau affirme carrément que le cardinal Barbarin est «pris en otage dans un combat contre l’Eglise sur les questions sociétales». Cette idée d’une attaque sous-jacente contre l’Eglise en tant que telle est également mentionnée par Jean-Pierre Denis: «Sans même parler de règlement de comptes avec le christianisme, à tout le moins avec une Eglise dont on peut comprendre qu’elle paie sa posture moralisatrice, il est possible que certains veuillent faire taire une voix qui porte sur bien des sujets de société, des Roms à l’euthanasie».
Erwan le Mordehec estime, dans cette ligne, que «la responsabilité de Mgr Barbarin doit être évaluée au regard des seuls faits qui lui sont propres, et non d’un quelconque contexte».
Jean-Pierre Denis souligne ainsi que «la presse et les réseaux sociaux ne sont pas un tribunal d’exception». Il rappelle en guise de conclusion que «la criminalisation de l’Eglise est insupportable pour tous ces prêtres en lesquels les catholiques gardent confiance».
Que s’est-il réellement passé?
Dans son blog Koztoujours, l’avocat Erwan Le Mordehec fait un retour sur les faits reprochés à Mgr Barbarin et analyse soigneusement ce qui lui est reproché:
Le dernier fait de pédophilie connu, commis par le Père Preynat, est intervenu en 1991. Mgr Barbarin est nommé archevêque de Lyon onze ans plus tard, en 2002. Informé par la rumeur publique en 2007/2008, il s’entretient avec le Père Preynat, soit 16 à 17 ans après les faits. Au cours de cet entretien, le Père Preynat reconnaît une nouvelle fois son passé et assure qu’aucun autre acte n’a plus été commis depuis.
Mgr Barbarin est contacté en juillet 2014, soit 23 ans après les faits, par une victime ayant constaté que le prêtre était toujours en fonction alors qu’elle pensait qu’il avait été mis à l’écart. La décision est prise en 2015 de retirer le Père Preynat de sa paroisse. Elle est effective à l’été 2015.
Au regard de ces faits, Mgr Barbarin n’a pas «couvert des cas de pédophilie», ni déplacé un prêtre d’une paroisse à une autre, remarque Erwan Le Mordehec.
Lorsque Mgr Barbarin arrive à Lyon, cela fait 11 ans que le Père Preynat a été déplacé. Lorsqu’il est informé de sa réputation, cela fait 16 ans qu’il est de nouveau en paroisse. Aucun acte nouveau n’a été signalé.
Des faits largement connus dans la population
L’avocat français doute ainsi que la plainte lancée contre l’archevêque pour non-dénonciation soit promise à un quelconque avenir judiciaire, «pour des raisons proches de celles évoquées ici et, accessoirement, parce qu’au final on reprocherait au cardinal de ne pas avoir dénoncé des actes qui ne pouvaient déjà plus être poursuivis quand il les a appris, puisque vraisemblablement prescrits, au moins pour la plupart d’entre eux. Sans compter l’argument avancé par certains, selon lequel ces faits étaient très largement et mieux connus par la population lyonnaise (que par le cardinal, ndlr.) depuis 1991, sans que quiconque n’ait songé à les dénoncer».
La question qui demeure est celle du maintien en paroisse du Père Preynat à partir de 2007, note Erwan Le Mordehec. «Mais ce n’est pas pour cela qu’il est poursuivi», souligne-t-il. L’avocat révèle ainsi un certain nombre d’éléments plaidant en faveur du cardinal, issus d’informations qui lui ont été communiquées. Lorsque Mgr Barbarin laisse le Père Preynat en paroisse, alors qu’il n’existe aucune plainte contre lui, en 2007/2008, le primat des Gaules consulte néanmoins un spécialiste pour évaluer le risque de récidive, s’assurant qu’aucun fait nouveau n’ait surgi durant les 16 dernières années. Il arrange en outre la supervision d’un autre prêtre dans la même paroisse pour éviter que le Père Preynat soit au contact d’enfants.
Fausse journaliste
Le blogueur rappelle en outre que le cardinal a personnellement donné l’impulsion «d’une politique de vérité et de transparence» dans plusieurs communautés religieuses.
Il relève également qu’en 2010, une journaliste, se faisant passer pour une victime d’abus sexuels, a rencontré le prélat à la basilique de Fourvière. Ce dernier lui a immédiatement conseillé de porter plainte, ne serait-ce que pour sa propre reconstruction. A la question de savoir si elle devait «se taire pour ne pas faire de mal à l’Eglise», Mgr Barbarin a répondu par la négative à la fausse victime, en ajoutant: «tant pis si c’est une honte supplémentaire pour l’Eglise!» Le portrait d’un prélat qui négligerait ces affaires, anxieux de la réputation de l’institution, ne tient pas, note Erwan Le Mordehec.
Et l’avocat de conclure: «Mgr Barbarin a pris un risque. On peut répondre que le plus infime risque ne peut être couru. On peut répondre aussi qu’en près de 20 ans, un homme peut changer et qu’à ce jour, aucun nouvel acte n’a été révélé malgré la publicité de cette affaire et plusieurs mois d’enquête. Dans le cas contraire, son appréciation en serait évidemment bouleversée. En tout état de cause, cette affaire est suffisamment sérieuse pour que son périmètre ne soit pas abusivement étendu». (cath.ch-apic/ag/rz)