La Suisse, une terre d’hospitalité marquée par l’esprit d’ouverture et le sens du partage

La Suisse est une terre d’hospitalité marquée par l’esprit d’ouverture et le sens du partage, estime Albana Krasniqi Malaj, directrice de l’Université populaire albanaise de Genève et membre de la Commission fédérale des migrations à Berne. Mais elle déplore également «la quête du bouc émissaire» qui lézarde l’édifice de l’hospitalité helvétique.

L’intellectuelle d’origine albanaise était l’hôte le dimanche 13 mars du cycle de six conférences sur l’hospitalité, organisées par le collectif culturel «Abbatiale vivante Bellelay», qui s’est achevé en l’église catholique de Saignelégier (JU).

Née à Tirana en 1970, cette spécialiste des politiques sociales et formatrice en interculturalité s’exprimait sur le thème de l’accueil en Suisse. Un éclairage historico-sociologique, avec une touche émotionnelle liée au parcours de vie de l’intervenante, a servi de canevas à une rencontre qui a attiré une trentaine de personnes dans les Franches-Montagnes.

«Nous, les Suisses, étions des émigrés»

Arrivée en Suisse en 1992 pour y suivre des études, Albana Krasniqi Malaj en est convaincue à lumière de son expérience d’étrangère naturalisée et de son parcours professionnel: la Suisse est bien cette terre d’hospitalité marquée par l’esprit d’ouverture et le sens du partage, par une intégration réussie et sereine des populations étrangères, notamment si l’on considère certains pays limitrophes…

Albana Krasniqi Malaj a cité la journaliste vaudoise Chantal Tauxe pour illustrer son propos: «Nous, les Suisses, étions des émigrés. Nous sommes devenus une terre d’immigration. C’est une histoire formidable dont nous devons être fiers».

Un tiers de la population est issu des mouvements migratoires

Dans la foulée, la diplômée en sciences de la traduction a mis en avant des chiffres révélateurs: «Ces 50 dernières années, six millions de migrants sont entrés en Suisse avec un permis valable, même si, par les effets de rotation et le jeu des départs, tous ne sont évidemment pas restés chez nous. Et l’immigration a permis au pays de connaître entre 1990 et 2000 l’une des plus fortes croissances démographiques du monde, phénomène qui a contrebalancé le vieillissement chez les Suisses de souche». Encore plus significatif, la Genevoise d’adoption a souligné qu’un tiers de la population résidente du pays était issu des mouvements migratoires.

Mais si elle sait tendre la main aux personnes en détresse, aux nécessiteux, la société helvétique est traversée de paradoxes.

«Les Suisses sont certes accueillants, aimables et fidèles en amitié, mais pour gagner leur confiance, le chemin peut se révéler long, très long, surtout pour des migrants. Les Suisses ont des attentes vis-à-vis des étrangers, tout comme ces derniers à l’égard des autochtones d’ailleurs. Et il faut souvent beaucoup de temps pour que les deux fronts trouvent un terrain de rencontre et d’entente».

La quête du bouc émissaire lézarde l’édifice de l’hospitalité helvétique

Au-delà du poids des mentalités collectives, une seconde brèche lézarde l’édifice de l’hospitalité suisse: la crainte de l’autre, la diabolisation de l’altérité, la quête du bouc émissaire. «D’un côté on a le respect d’autrui, les libertés politiques qui font du peuple helvétique l’arbitre absolu, l’attrait d’une nation riche, de l’autre l’émergence de peurs qui reviennent régulièrement à la surface et que l’on est incapable d’apprivoiser. Ces peurs qui portent à interdire les minarets ou à vouloir bannir le foulard islamique, par exemple».

Or, ces attitudes de rejet frappent des populations déjà fragilisées sur le plan psychologique, «tant l’exil, qu’il soit motivé par des raisons politiques ou économiques, est un déchirure. On laisse derrière soi son pays, sa famille, ses coutumes, ses repères. Dans certains cas, cette cassure débouche sur un traumatisme qui met du temps à guérir».

Les racines de cette méfiance, voire de cette xénophobie, Albana Krasniqi Malaj les voit dans l’entre-deux-guerres. «En 1914, on comptait 600’000 étrangers dans notre pays. Ils n’étaient plus que 220’000 en 1941. La crise financière, qui culmine en 1929, l’influence des idéologies nationalistes, les cicatrices de la guerre créent un climat peu propice aux migrants». La loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers, qui entre en vigueur le 1er janvier 1934, entérine cette situation.

Poussée xénophobe: les «initiatives Schwarzenbach»

Au cours des années 1950, dans le sillage de l’expansion économique de l’après-guerre qui voit une arrivée massive de travailleurs italiens, une variante de ce rejet s’exprime dans la notion de surpopulation étrangère. Le migrant est perçu comme une menace dans le monde du travail et pour l’identité culturelle.

En 1970 et 1974, les «initiatives Schwarzenbach», qui exigeaient un plafonnement des étrangers à 10% de la population suisse, auront constitué le chapitre politique le plus dramatique de cette poussée xénophobe. «Heureusement, le peuple suisse a rejeté ces textes, une victoire que je qualifierais d’historique pour tous ceux qui se soucient d’intégration», a confié Albana Krasniqi Malaj, confirmant le vent d’optimisme qu’elle a voulu faire souffler sur sa conférence. (cath.ch-apic/eda/be)

 

 

Albana Krasniqi Malaj, directrice de l’Université populaire albanaise de Genève et membre de la Commission fédérale des migrations à Berne
14 mars 2016 | 11:00
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 3  min.
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