Mgr Silvano Tomasi, ancien représentant du Saint-Siège à l'ONU: «La Genève internationale est la capitale humanitaire»

«Dans le domaine de la migration et des demandeurs d’asile, le Saint-Siège est très actif pour encourager une culture de la solidarité, du respect de la dignité des réfugiés et de l’intégration», confie le nonce apostolique Silvano Tomasi à cath.ch.

A 75 ans, atteint par la limite d’âge, le prélat italien quitte ces jours-ci les bords du Léman. Il était depuis 2003 la voix du Saint-Siège auprès des Nations Unies à Genève.

Cet éminent membre de la congrégation des Missionnaires de Saint-Charles, ou Scalabriniens, est né en 1940 dans la région de la Vénétie, au nord-est de l’Italie. Mgr Tomasi a étudié la théologie à New York, ville où il fut ordonné prêtre en 1965. Le missionnaire scalabrinien appartient à une congrégation fondée à la fin du XIXe siècle par l’évêque italien Giovanni Battista Scalabrini, affectueusement appelé «le Père des migrants». Son poste d’Observateur permanent du Saint-Siège auprès du bureau des Nations Unies à Genève est désormais occupé par Mgr Ivan Jurkovic, jusqu’à présent nonce apostolique auprès de la Fédération de Russie.

L'archevêque Silvano Tomasi, ancien observateur permanent du Saint-Siège auprès de l'ONU (Photo: Jacques Berset) L’archevêque Silvano Tomasi, ancien observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’ONU (Photo: Jacques Berset)

Cath.ch: Quelle est l’importance de Genève et de ses institutions internationales pour le Saint-Siège ?

S.T: Les organisations internationales à Genève ont, avec le temps, développé un service et promu une culture globale. Le Saint-Siège, qui ne défend pas des intérêts particuliers mais ceux de toute la famille humaine, est naturellement très intéressé à entrer en dialogue avec ces institutions que cela soit dans le domaine des idées ou sur le plan pratique.

Par exemple, dans le domaine de la migration et des demandeurs d’asile, le Saint-Siège est très actif pour encourager une culture de la solidarité, du respect de la dignité des réfugiés et de l’intégration. La voix du Saint-Siège dans les enceintes internationales témoigne de la réalité sur le terrain de l’action des Eglises locales.

La Genève internationale est la capitale humanitaire. Mais, ces dernières années, elle est devenue aussi un centre important de la politique internationale. Les crises et les conflits (Iran, Syrie, etc.) qui ont du mal à trouver une solution dans le cadre du Conseil de Sécurité de l’ONU, sont informellement discutés à Genève. Ce type de diplomatie contribue à trouver des solutions.

Cath.ch: Quelles sont les domaines particuliers dans lesquels vous êtes intervenu depuis juin 2003, lors de votre nomination comme observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies à Genève ?

S.T: Le Saint-Siège suit avec attention les travaux de toutes les organisations internationales présentes à Genève, même si la taille de sa délégation est relativement modeste. Je suis intervenu régulièrement sur de nombreux sujets, en particulier sur la liberté religieuse, la paix et le désarmement, la solidarité dans l’économie et le commerce, la migration et les réfugiés, la santé et la propriété intellectuelle, le rôle de l’innovation pour le développement, les droits de l’homme, etc.

L’élément commun à toutes ces interventions est la défense et la promotion de la dignité de toute personne humaine. Cette approche favorise le dialogue interreligieux et la convivialité dans des sociétés toujours davantage plurales.

Cath.ch: Trouvez-vous des alliés chez les diplomates d’autres pays dans des domaines précis comme la protection du mariage et de la famille, l’armement nucléaire et le désarmement, la protection des réfugiés, la défense de la liberté de religion et d’expression ?

S.T: Le Saint-Siège entretient des relations amicales avec toutes les Missions qui, en général, aiment bien savoir ce que pense le Saint-Siège sur les sujets en discussion, qu’elles soient d’accord ou pas avec nos positions. Mais le Saint-Siège entretient des relations de partenariat avec divers pays et des acteurs de la société civile sur des questions particulières. Comme le désarmement nucléaire, le droit au développement, la liberté de conscience, etc.

En effet, la meilleure diplomatie du Saint-Siège est le pape François lui-même, qui est un des leaders les plus respectés et les plus crédibles sur la scène internationale. Dans ce contexte, le Saint-Siège ne fait partie d’aucun groupe d’intérêts, mais il se détermine par rapport à la substance de chaque question particulière. Il s’efforce d’être la voix de la conscience internationale pour promouvoir le bien commun.

Cath.ch: Comme observateur permanent du Saint-Siège, avez-vous du poids en intervenant dans ces domaines ? Le Saint-Siège est-il considéré comme une institution qui compte ?

S.T: La présence des représentants du Saint-Siège est d’abord un signe d’intérêt de la communauté chrétienne pour le bien-être de la famille humaine. Le Saint-Siège ne cherche en aucune manière un pouvoir politique quelconque, mais il se veut au service de tous sans distinction. Dans certains domaines, les arguments du Saint-Siège influencent les résultats des discussions.

Je pourrais ici mentionner, à titre d’exemple, les négociations sur les armes à sous-munitions ou celles sur la Convention de Marrakech concernant les malvoyants. Dans ce contexte, je peux mentionner l’intérêt de beaucoup d’acteurs pour les discours du Saint-Siège. Les publications de l’Université de Cambridge sont ainsi intéressées à publier l’ensemble des interventions du Saint-Siège à Genève pour la période de mon service.

Cath.ch: Quel bilan tirez-vous de votre passage à Genève ?

S.T: Mon expérience personnelle à Genève a été très riche, intéressante et exigeante. J’ai fait de mon mieux pour envoyer des messages spécifiques dans chacune des organisations. Mais mon souci premier était d’apporter une réponse éthique, sur la base de la doctrine sociale de l’Eglise, aux nouveaux développements et défis de la politique, de l’économie, de la technologie, des moyens de communications sociales. Je pense que nous avons réussi à mettre quelques idées dans le débat public.

Cath.ch: Vous avez été auparavant nonce apostolique dans la corne de l’Afrique, en Éthiopie et en Érythrée, puis à Djibouti, avant de venir à Genève. D’après votre expérience sur le terrain, comment jugez-vous les développements dans cette région du monde encore très fragile ?

S.T: Les sept ans que j’ai vécus comme nonce apostolique dans la Corne de l’Afrique m’ont donné l’idée d’une région en développement, avec tout ce que cela comporte comme difficultés et conflits, mais aussi d’espoir et d’enthousiasme. La tâche des gouvernements de la région est de garantir la paix pour faciliter le développement.

Il est de toute grande importance de faciliter la coexistence entre les groupes ethniques et religieux différents afin de donner une chance à la stabilité et par la suite au développement politique, économique et social. Les défis restent énormes. Mais avec une bonne éducation et une politique inclusive, le progrès serait à portée de la main à condition que les interférences externes ne viennent détruire les équilibres déjà très fragiles. Je voudrais ici mentionner les risques liés au transfert et au trafic des armes, aux activités destructives des groupes fondamentalistes et à la corruption.

Cath.ch: Sur un plan plus personnel, où allez-vous demeurer après votre départ de Genève et quelles activités allez-vous continuer d’exercer ?

S.T: Je reste naturellement à la disposition du Saint-Père. Certains projets vont continuer à m’occuper comme le soutien que j’apporte à l’Université catholique d’Ethiopie ou la publication d’une collection d’essais sur la migration. (cath.ch-apic/be)

 

L'archevêque Silvano Tomasi, ancien observateur permanent du Saint-Siège auprès de l'ONU, et le cardinal Peter Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix
18 février 2016 | 15:00
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
Genève (410), Ivan Jurkovic (12), ONU (187), Silvano Tomasi (21)
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