Dom Marc de Pothuau, Père Abbé de l'Abbaye cistercienne d'Hauterive | © Jean-Claude Gadmer
Suisse

Dom Marc de Pothuau: «J'oublie Dieu constamment, c'est un fait»

Parler de la vie monastique avec Dom Marc de Pothuau, Père Abbé de l’Abbaye cistercienne d’Hauterive dans le canton de Fribourg, est un exercice pour le moins déroutant. Dès la première question, on saisit que rien ne sera vraiment conventionnel.

Et c’est tant mieux car la vie religieuse elle-même ne cesse de prendre le contrepied des idées reçues. Un bon religieux c’est un être heureux, moins béat que réaliste. Un être de chair qui a passé par l’épreuve de la désillusion, explique-t-il, au terme d’une réflexion profonde, ponctuée de silence.

En vrai moine, Dom Marc ne cesse de soupeser ses réponses pour nous emmener dans le sillage de sa pensée, avec profondeur, mais non sans une once d’espièglerie! Au terme de l’Année de la vie consacrée, à l’heure où l’Eglise fête la présentation de Jésus au temple, retour sur le «mystère de la consécration».

Dom Marc, nous sommes au terme de l’Année de la vie consacrée. Quel fruit a-t-elle porté pour l’Eglise?

(Silence) Aucune idée! Pour être franc, je dois avouer que je ne sais pas trop quels en seront les fruits pour l’Eglise. Je peux en revanche témoigner des fruits pour la communauté d’Hauterive. Tout au long de cette année, nous avons réfléchi ensemble au mystère de la consécration.

Et quel est alors le fruit de votre méditation? Qu’est-ce que ce mystère de la consécration?

La conscience que nous appartenons au Père. Dieu s’accapare le monde, non comme un vampire, mais comme un père qui a envie de prendre son enfant et de le serrer contre son cœur. La consécration sera dès lors de chercher à s’inscrire dans la respiration du Christ qui, conscient que tout lui est donné, redonne tout au Père.

«Un bon moine, je crois que c’est un homme heureux.»

Être consacré c’est être mis à part. Dieu met sa marque et son Nom sur quelqu’un pour qu’il lui soit réservé. Pour nous, la consécration c’est la découverte que nous sommes à lui. Mieux: que nous sommes sa joie!

De cette joie découle une mission. La mission est donc seconde, ce qui commande tout c’est la joie d’être Sa joie!

Dans cette perspective, où l’»être» précède et détermine le «faire», qu’est-ce qu’un bon moine, selon vous?

Je ne sais pas trop ce que c’est qu’un bon moine. La question c’est de savoir si le moine en question est heureux.

Je me souviens de l’enterrement d’un de nos frères. Selon des critères purement canoniques et religieux, je ne sais pas si c’était un bon moine. Mais à l’heure de sa mort, j’ai vu à quel point Dieu avait pénétré sa vie. Il est mort en homme heureux, heureux de tout.

Un bon moine, je crois que c’est justement un homme heureux, un homme qui n’a pas d’autre joie que celle d’appartenir au Père. Un homme qui voit tout comme donné par le Père. Il est simplement heureux de voir ce qu’il voit, d’entendre ce qu’il entend. Il vit dans l’action de grâce et dans l’échange avec le Père.

«Je ne possède pas mon temps! Je l’accueille, seconde après seconde!»

C’est un homme qui se bat contre l’oubli que tout est consacré. Un homme qui fuit l’oubli de Dieu, selon le mot de saint Benoît.

Comment fuir l’oubli de Dieu longtemps? En d’autres termes, comment durer dans la vie monastique?

Parfois, derrière le verbe «durer», on sent le mot «dureté». C’est exactement l’inverse, comme la douceur d’une naissance qui recommence toujours. J’oublie Dieu constamment, c’est un fait. Dès lors, soit je passe mon temps à râler, soit je m’émerveille de me réveiller.

Si j’envisage le temps comme quelque chose qui m’est donné, comme quelque chose qui naît dans la douceur de l’instant, alors je ne me pose plus la question de la durée. La question fondamentale c’est la manière d’être présent à l’instant et de me réjouir de ce qui est donné.

«C’est épuisant de se prendre pour Dieu!»

Or c’est extrêmement difficile aujourd’hui. Nous sommes profondément idolâtres: c’est-à-dire que nous envisageons notre vie et le temps comme quelque chose à gérer. C’est complètement fou. Ce monde croit qu’il est la source de l’être. La source, c’est Dieu! Il est la source du temps qui m’est donné maintenant. Je ne possède pas mon temps! Je l’accueille, seconde après seconde!

Qu’est-ce que l’idolâtrie? Pourriez-vous préciser ce terme que vous appliquez à notre époque?

La tentative de mettre la main sur Dieu, de s’approprier Dieu. C’est justement l’inverse de la consécration qui consiste à être approprié par Dieu! Dans la Bible, toute l’histoire d’Israël est une histoire de fuite de l’idolâtrie – une idolâtrie qui peut prendre de multiples formes. On peut se faire des images de faux dieux mais aussi de fausses images du vrai Dieu.

C’est toujours le même principe: une tentative de prise du pouvoir en vénérant une image de Dieu que j’ai faite. Je m’incline alors devant le fruit de mon travail, de ma propre puissance au lieu d’adorer Celui qui m’a fait à son image. J’ai inversé les rôles!

«Il faut accepter le moment de la ruine.»

Par quel moyen peut-on s’en sortir?

C’est une grave question. Dans une vie, il peut arriver que je réussisse beaucoup de choses et j’offre à Dieu l’image de ma réussite. Je triomphe et j’offre la dîme de mon triomphe à Dieu. La boucle est bouclée, jusqu’à ce que je me «grille». C’est épuisant de se prendre pour Dieu! Le Burn out est comme l’holocauste idolâtre moderne! Mais alors seulement, je vais pouvoir commencer à découvrir autre chose.

Il faut accepter le moment de la ruine, du manque, de l’échec. A ce moment-là, on peut commencer à s’ouvrir à Celui qui est la Source.

Où se situe cette rupture, cette ruine, dans la vie d’un moine?

Dans la vie communautaire. Nous sommes un peu comme des idoles, de petits dieux ambitieux qui se battent les uns contre les autres jusqu’à ce qu’on soit lassé, suffisamment pauvre et fatigué pour se demander: et maintenant, qui nous réunit?

Est-ce que le monde qui vous environne est encore capable de saisir ce qui se passe dans les murs du monastère?

Les gens sont de moins en moins catéchisés. Ils savent plus ou moins ce qu’est un moine, mais sont complètement ignorants quant aux fondamentaux de la vie chrétienne. En revanche, ils ont soif, une soif terrible, et cherchent partout un chemin vers la Source. Beaucoup sentent que nous cherchons aussi!

«Dès que je cherche une solution à un problème, je désespère.»

Ce monde ne nous est donc pas étranger. Nous le portons en nous-mêmes, nous sommes nous aussi traversés par ses combats, ses joies et ses peines. Et nous lui offrons un lieu de stabilité, quelque chose de pérenne.

Quelle est votre espérance pour ce monde, tel qu’il est aujourd’hui?

Mon espérance pour ce monde, ce n’est pas ce monde (rires). Mais c’est la Vie! C’est-à-dire ce don incessant du Père. Oui, tout est sacré. Mon espérance pour ce monde c’est de le mettre en relation avec le Père.

Dès que je cherche une solution à un problème, je désespère. Je me suis rendu compte que je ne suis pas là pour chercher des solutions, mais pour célébrer le Christ qui est mon Salut. Or, le Salut n’est pas une solution, mais une relation au Père qui nous aime. Et qui aime tout, même les problèmes. (cath.ch-apic/pp)


Lire aussi: Homélie du 17 janvier 2016, Dom Marc de Pothuau

Dom Marc de Pothuau, Père Abbé de l'Abbaye cistercienne d'Hauterive | © Jean-Claude Gadmer
1 février 2016 | 17:39
par Pierre Pistoletti
Temps de lecture : env. 5  min.
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