Devenir malade!
Aujourd’hui je ressuscite ce blog car il est enfin temps: j’ai des choses à dire. Il y aura certes peut-être quelque cuistrerie, au passage, un peu comme un drôle de penchant qui s’exprime dans le naturel d’une personne que l’on ne peut raisonner, mais il y aura surtout, je l’espère, quelques idées et récits d’expériences qui concernent la foi et la vie de l’Eglise, pas indirectement, pas superficiellement, bien au contraire, quelque chose qui participe à la trame spirituelle tissée dans l’histoire humaine comme expérience du Royaume de Dieu. Rien que ça! Si je ne m’abuse pas, vous comprendrez qu’il me devient impossible de me taire, si au contraire mon esprit nage en pleine illusion, priez pour moi, orgueilleux mortel. Non, priez pour moi de toute façon, comme je prie pour vous, ami lecteur, nous nous retrouverons une fois, dans une éternité où nous aurons tout loisir de trier ensemble dans nos égarements les quelques perles faisant de nous des vivants.
Je suis devenu malade le 24 mars 2014 vers 10h00, au centre oncologique des Grangettes, à Genève. Cette histoire commence pourtant neuf mois plus tôt, à la Grotte de Massabielle, à Lourdes, où je priais Marie de m’aider à comprendre et partager avec les malades. Depuis près de quinze ans, en effet, j’occupais une partie de mon temps à la logistique du pèlerinage de Lourdes. Mon aisance dans l’organisation, la planification, les chiffres me semblait cacher un inconfort dans le contact direct avec ceux qui souffrent dans leur chair, disons clairement que je les évitais même parfois. Comme vous l’avez compris, à la Grotte de Lourdes, Dieu nous exhausse au-delà de nos espérances, me voilà partageant la maladie avec tous mes nouveaux compagnons d’infortune!
Devenir malade c’est changer de camp, quitter la vie des immortels pour celle des mortels. Le médecin ne vous dit plus «reposez-vous et dans quelques jours vous irez mieux», il parle d’incurabilité, il propose quelque chose à faire, sans vraiment y croire, et seulement si l’on veut bien essayer, pour ralentir, calmer, soulager; il ne veut pas faire de pronostics, mais il laisse entendre qu’ils ne sont pas bons. Le personnel hospitalier vous traite avec beaucoup d’égards et de douceur, il arrive que ce soit trop, si bien que je me suis retrouvé ivre de bonheur après avoir parqué ma voiture, pressé par le temps, sur une place pour handicapé, la seule libre, et lorsque le contractuel m’ayant attrapé me passa un énorme savon pour mon manque de savoir-vivre, mon irrespect des gens malades: à ces yeux j’avais l’air immortel!
Devenir malade, cependant, c’est débuter un chemin de guérison où la santé physique importe peu. Il y a d’abord la délivrance de nos projections terrestres immortelles, non sans violence, abandonner nos rêves de carrière, de loisirs, de retraite active, de paternité, c’est une table rase des ambitions, une mort par anticipation, avec tout ce qu’elle a de destructeur. On meurt dans notre identité, on devient un zombie se demandant pourquoi ce sas de désespoir avant d’en finir définitivement avec la vie. Et puis Dieu intervient.
Pour moi ce fut lors d’une messe dominicale. Je m’y traînais par devoir, désespéré, abandonné à qui voudrait bien me consoler. Arrive la «Paix du Christ». J’avais toujours imaginé cette transmission de la Paix du Christ comme un moyen pour l’Eglise d’inviter ses fidèles à s’engager les uns envers les autres, devant Dieu, à vivre en paix. Une sorte de continuité de l’idéal médiéval qui voulait obtenir la paix entre les seigneurs de guerre féodaux en les rassemblant dans le Christ; en se transmettant la Paix du Christ, des adversaires politiques devraient s’abstenir des pires vacheries, des époux trouver un moyen d’entente, des voisins bâtir une cordialité nouvelle. Que nenni, la Paix du Christ c’est surtout autre chose de bien plus fort et de bien plus beau! C’est Dieu qui prend le faible par la main en lui disant de vivre en paix car Il l’accompagne dans sa vie de tous les jours et au-delà. Cette Paix entre dans tout l’être, un instant anéanti, l’instant suivant vivifié, habité, durablement: un enracinement entre terre et ciel, inébranlable malgré la succession des malheurs qui n’en finissent pas de s’accumuler. A l’aune de Dieu, la maladie est une chance.
«Quelle chance, c’est formidable!» fut exactement ce que me dit un Père de Chabeuil lorsque je lui racontais ma maladie, au début de l’automne. J’avais déjà fait les exercices de Saint Ignace, à Grolley, dans l’ancienne maison des CPCR – prononcez Keup-Kreuh – du temps de ma prime jeunesse. Les Pères se montraient vigoureux dans le discernement, passant au crible nos délires orgueilleux, c’était le genre nettoyage sous pression, efficace; on en ressortait propre et épuré, sans doute plus proche, plus à l’écoute de Dieu et moins de soi-même. Or, cette année, l’expérience des exercices fut toute autre, pas de grande bataille intérieure, et le Père me disait à chacune de nos rencontres: «Vous êtes dans les mains de Dieu». Il ne disait presque rien d’autre, m’écoutant poliment, certain qu’il ne pouvait et ne devait rien faire pour mon discernement, puisque j’étais dans les mains de Dieu.
Voilà le sens profond de la maladie: se mettre dans les mains de Dieu et Le laisser faire. Et quelle joie! Et quel étonnement, tout ce que Dieu entreprend pour nous, grâce à nous et pourtant sans que l’on y participe activement, sinon par simple adéquation à sa volonté, ne cherchant plus même la guérison physique. Il y a certes en superficie un combat physique à mener, nous en parlerons dans le détail, mais la première démarche du malade, dans le sens d’une priorité essentielle, c’est de trouver Dieu, et comme Dieu nous cherche d’autant plus que l’on est faible, tout nous conduit à y parvenir. Nous donnerons tout de même quelques pistes. Bel Avent!
Pascal Fessard | 07.12.2015
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