Réfugiés à Zahlé, les chrétiens de Syrie veulent partir pour l'Europe

«Nous ne voulons plus rentrer en Syrie… Nous sommes persécutés parce que nous sommes chrétiens. Nous avons tout perdu. Nous voulons partir pour l’Europe, où nous serons respectés». Grimpant par les rues étroites et pentues de Zahlé, nous visitons des familles chrétiennes dispersées dans des logements de fortune de cette ville chrétienne de la plaine de la Bekaa adossée aux contreforts du Mont Liban.

Ayant écarté la lessive suspendue à une corde devant l’entrée et enlevé nos chaussures, nous pénétrons dans une petite pièce, avec des matelas disposés sur les côtés, à même le sol, des habits suspendus à un clou… avec pour seul luxe une toute petite télévision. Depuis 2012, trois familles syriennes, soit une dizaine de personnes, vivent dans cet espace insalubre de 25m2. Les hommes ne veulent pas se laisser prendre en photo ni donner leur nom, par peur de représailles: venant de Rablé, près de Homs, les deux pères de familles, deux frères, racontent leur enlèvement par les djihadistes du Front al-Nosra, affiliés à Al-Qaïda.

«Ils m’ont battu et torturé pour que je me convertisse à l’islam»

«Ils m’ont battu et torturé, brûlé avec des cigarettes pour que je me convertisse à l’islam, me traitant de ‘kâfir’ (mécréant)», témoigne l’un deux, traumatisé à l’idée que ces djihadistes puissent le retrouver. Il a obstinément refusé cette «offre» de conversion à l’islam, et n’a été libéré qu’après avoir payé une rançon de 20’000 dollars.

«Avant, nous avions chacun une grande maison. Pour acheter notre libération, nous avons dû tout vendre… tout abandonner», témoigne l’un des adultes, qui était agriculteur. Les djihadistes ont massacré des familles entières: «Al-Nosra a attaqué les villages chrétiens, tuant seulement les gens qui étaient dans l’armée et les chrétiens; une femme a été égorgée et on lui a mis une croix dans la bouche…».

«Sans l’aide de l’archevêché, je ne sais pas ce que nous serions devenus»

L’une des filles a été tellement choquée par les atrocités dont elle a été le témoin qu’elle est tombée malade. Affectée d’un grave diabète qui a provoqué de la gangrène à un pied, elle a dû se faire implanter une pompe à insuline, qui coûte plusieurs milliers de dollars. «Nous avons besoin de 3 à 400 dollars par mois seulement pour les médicaments, nous payons pour ce tout petit logement un loyer mensuel de 250 dollars, et il faut encore payer tous les 3 mois les taxes dues au gouvernement libanais», souligne la mère de famille. «Sans l’aide de l’archevêché, je ne sais pas ce que nous serions devenus».

Grâce notamment au soutien financier de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), Mgr Jean Issam Darwish, archevêque grec-catholique melkite de Zahlé et de la Bekaa, vient en aide à quelque 3’000 chrétiens syriens qui ont trouvé refuge dans cette ville chrétienne libanaise de plus de 60’000 habitants. Contrairement aux réfugiés musulmans, ils ne vivent pas sous tente, ayant trouvé, souvent à prix d’or, à se loger au milieu de la population, dans des appartements exigus, des garages ou autres abris de fortune.

Les réfugiés musulmans vivent sous des toiles de plastique

Les réfugiés musulmans vivent aux abords de l’agglomération, sous des tentes de plastique. Pour chaque abri, ils paient 70 dollars de location par mois au propriétaire du champ qu’ils occupent. Ils se préparent à affronter un nouvel hiver, qui peut être très rigoureux dans cette plaine située à quelque 900m d’altitude.

Dans une autre rue à flanc de coteau, dans un appartement plus confortable, mis à disposition par des habitants de la ville, vivent plusieurs familles, des parents du Père François Mourad assassiné par les terroristes islamistes le 23 juin 2013 dans le couvent franciscain Saint-Antoine de Padoue, à Gassanieh, près de Homs.

«Quand ils ont attaqué le couvent, ils ont tué le Père François de 14 balles, personne n’a pu lui venir en aide… Ils l’avaient menacé depuis plusieurs mois parce qu’il refusait de se convertir à l’islam», témoigne Gilberte. Cette étudiante de 18 ans a perdu tous ses diplômes quand son école, à Alep, a été détruite dans les combats. Ses certificats d’étude brûlés, elle ne peut pas s’inscrire à l’Université. A ses côtés, son frère Joseph, âgé de 22 ans, gagne quelques sous comme coiffeur. Avant sa fuite, il possédait sa propre boutique à Alep.

«Nous étions protégés par l’armée syrienne à Alep, mais nous étions coincés d’un côté par le Front al-Nosra et de l’autre par Daech, l’Etat islamique. On ne pouvait plus rester», tandis que circule discrètement la photo du prêtre martyrisé, à l’âge de 48 ans. A l’évocation de son fils, sa mère, une femme d’environ 80 ans, aujourd’hui malade, se met à pleurer. Gilberte et Joseph cherchent à obtenir un visa pour l’Australie, car ils ne voient pas leur avenir dans une Syrie dévastée, qui s’est divisée sur des bases politico-confessionnelles.

Mgr Issam Darwish encourage les chrétiens à ne pas émigrer

«Nous encourageons les chrétiens à rester ici, avant de pouvoir retourner en Syrie. Déjà une cinquantaine de familles ont émigré, d’autres sont rentrées près de Homs. Ici, tous ont envie de partir, mais nous essayons de les retenir, car il ne faut pas vider le Moyen-Orient de ses chrétiens»,  déclare Mgr Issam Darwish. Grâce aux soutiens qu’il reçoit, l’archevêque de Zahlé veut construire des logements pour les réfugiés, mais il admet que le gouvernement libanais ne permet pas facilement aux Syriens de s’établir dans le pays. «Les tensions sont perceptibles dans la population, car beaucoup de Libanais aussi vivent dans la pauvreté. Nous aidons les Syriens, mais aussi les Libanais. Grâce à l’aide reçue d’AED, nous pouvons offrir un repas chaud à midi. Sans cela, nous ne pourrions pas aider les chrétiens syriens».

Malgré sa volonté de lutter contre l’exode des chrétiens, qu’il partage avec les autres chefs d’Eglise de Zahlé – ils se réunissent une fois par semaine pour coordonner leurs actions – l’archevêque se rend bien compte que les réfugiés sont fatigués de la situation. «Ils demandent beaucoup, ont des doutes, et pourtant les Eglises font de leur mieux pour servir les gens, mais il y a tellement de besoins!»

Le 25 mars, chrétiens et musulmans prient la Vierge ensemble

En tant que président de la Commission de dialogue chrétiens-musulmans à Zahlé, Mgr Issam Darwish collabore régulièrement avec les musulmans. Tant les chiites que les sunnites viennent ensemble se réunir à l’évêché, qui est pour eux en quelque sorte un «terrain neutre». «Ils viennent tous fêter chez nous la Vierge, lors de la Fête de l’Annonciation, le 25 mars,  Fête nationale chômée au Liban!»

«Chez nous, avec les musulmans, c’est plus facile qu’en Europe. Nous avons été élevés ensemble, nous comprenons davantage leur mentalité, nous savons parler ensemble et nous sommes bien respectés. Tant à Noël qu’à Pâques, ils viennent nous apporter leurs vœux et nous souhaiter bonne fête. Les relations intercommunautaires sont bonnes dans la Bekaa. On vit l’échange et la convivialité existe».

Le chef de l’Eglise melkite de Zahlé, la plus importante communauté chrétienne de la ville, se réunit une fois par semaine avec les forces de sécurité: «Nous sommes tranquilles, car il y a un an, les djihadistes de Daech, qui n’étaient pas loin de l’autre côté de la montagne, ont été repoussés par l’armée libanaise et le Hezbollah».

La Syrie n’est pas un Etat démocratique, mais néanmoins il est laïc

Mgr Darwish estime que Zahlé est en sécurité. Une série de villages chiites s’étend entre la ville et la zone montagneuse d’Ersal, où se replient les djihadistes d’al-Nosra. C’est là qu’il a pu récupérer – en les rachetant – les icônes volées par les terroristes syriens dans les églises de Maaloula, bourgade chrétienne où l’on parle encore l’araméen, la langue de Jésus. Il a pu les restituer aux sanctuaires de cette ville située dans les montagnes du Qalamoun, à 55 km au nord-est de Damas, reprises à al-Nosra le 14 avril 2014 par l’armée gouvernementale syrienne.

Comme les autres leaders chrétiens rencontrés par la délégation commune de la Conférence des évêques suisses (CES) et de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) qui s’est rendue au Liban du 23 au 27 novembre 2015, Mgr Issam Darwish ne souhaite pas la chute brutale du gouvernement de Bachar al-Assad.

«La Syrie n’est certes pas un Etat démocratique, mais c’est néanmoins un Etat laïc. La démocratie n’est de toute façon pas dans la mentalité musulmane, ce n’est pas dans le Coran… Les Américains, qui veulent imposer la démocratie aux Syriens, n’ont rien compris! Avant la guerre, les chrétiens vivaient plus ou moins bien en Syrie: ils avaient tous les droits de prier, de construire des églises – l’Etat leur donnait même le terrain, comme aux autres communautés -, ils pouvaient avoir des postes de ministre. Depuis le début du soi-disant ‘printemps arabe’, j’ai dit que c’était en réalité un ‘hiver’. Si le régime s’effondrait, c’en serait fini de la présence chrétienne dans ce pays!» JB

 


encadré

Plus de 1,5 million de Syriens réfugiés au Liban

Plus de 1,5 million de Syriens (près du tiers de la population libanaise) ont trouvé refuge au Liban, dont seulement 1,2 million sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Il faut y ajouter plus de 50’000 Palestiniens et presque autant de Libanais vivant en Syrie, qui sont arrivés au Liban en raison de la guerre dans ce pays. C’est sans compter encore les quelque 400’000 Palestiniens, descendants de ceux qui ont fui ou ont été chassés de Palestine lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948, et qui n’ont pas la nationalité libanaise.

Pas d’école pour la majorité des enfants syriens réfugiés au Liban

La grande majorité des enfants syriens réfugiés au Liban ne fréquentent pas l’école, et c’est une véritable «bombe à retardement… des proies très faciles pour les djihadistes», confie à cath.ch Michel Constantin, directeur régional pour le Liban, la Syrie, l’Egypte et le Kurdistan irakien de l’Association catholique d’aide à l’Orient CNEWA – Mission pontificale, à Beyrouth. «Sur 600’000 enfants syriens, seuls 75’000 sont scolarisés dans les écoles publiques libanaises… Il n’y a pas d’aide pour l’éducation des enfants syriens et irakiens, on attend que l’ONU fasse quelque chose, car le ministre de l’Education a rappelé que le Liban n’avait pas d’argent. Pour avoir un programme dans les écoles publiques pour ces enfants, il faudrait qu’ils paient entre 600 et 800 dollars par an!» Selon le HCR, 400’000 enfants réfugiés syriens sont en âge d’aller à l’école, mais seuls 106’000 ont été scolarisés en 2014.

Concurrence sur le marché du travail

La plupart de ces enfants n’ont plus fréquenté l’école en raison de la guerre dans leur pays et n’ont donc plus le niveau. Dans les classes, des élèves de 12 ans se retrouvent avec des enfants de 8 ans. Les jeunes réfugiés, de langue arabe, doivent également faire face à une difficulté supplémentaire, les matières les plus importantes étant enseignées en français ou en anglais. Il n’est donc pas étonnant que pour simplement survivre, nombre d’enfants syriens renoncent à fréquenter l’école pour trouver du travail dans la rue: des garçons cirent les chaussures, des petites filles vendent des roses ou des mouchoirs, les jeunes trouvent à s’embaucher pour des salaires de misère dans la construction, le commerce ou l’agriculture, en particulier dans la Bekaa. Ce «dumping salarial» pratiqué par les employeurs crée des tensions sur le marché du travail et augmente l’hostilité d’une partie de la population envers les réfugiés. (cath.ch-apic/be)

 

Liban Mgr Markus Büchel visite les réfugiés syriens chrétiens à Zahlé
2 décembre 2015 | 16:36
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 8  min.
al-Nosra (9), Daech (159), Issam Darwish (2), Liban (243), Zahlé (2)
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