Daech menace les Philippines
Manille, 17.11.2015 (cath.ch-apic) Dans les heures qui ont suivi les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, une vidéo montrant des hommes se revendiquant de l’Etat islamique (Daech) et menaçant les Philippines d’une attaque imminente est apparue sur internet. L’onde de choc créée par les attentats en France se fait ressentir dans toute l’Asie, notamment en Inde et en Chine.
Les menaces de Daech surviennent alors que Manille accueille les 18 et 19 novembre prochains le sommet annuel de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation) auquel participeront de nombreux dirigeants politiques, dont le président américain Barack Obama, rapporte le 16 novembre 2015 Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. «Attendez-vous à des jours sombres (…) Nous vous terroriserons jusque dans votre sommeil. Nous vous tuerons et nous vous vaincrons», déclarent, à l’adresse du gouvernement philippin, les personnes visibles sur la vidéo.
L’avertissement est pris au sérieux par les autorités, qui soulignent néanmoins que la région de Manille avait été placée dès avant les attentats de Paris en alerte rouge et que le pays est malheureusement coutumier du terrorisme. Un porte-parole des forces armées, le colonel Restituto Padilla, a estimé que même si le groupe Abu Sayyaf, actif dans le sud philippin, et les hommes du BIFF (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters), mouvement qui a récemment fait parler de lui à Mindanao, ont fait part de leur alliance avec l’Etat islamique, la possibilité d’une présence de Daech aux Philippines était très réduite.
La nécessité de la paix à Mindanao
Le spécialiste des questions de sécurité Rommel Banlaoi, directeur du CINSS (Centre for Intelligence and National Security Studies), se montre plus prudent sur ce dernier point. Selon lui, six groupuscules se revendiquent actuellement de l’Etat islamique aux Philippines. «En ce moment, [l’Etat islamique] se montre très actif pour recruter des partisans via les réseaux sociaux (…) Ils n’ont pas besoin d’être physiquement présents sur le sol philippin. Ils ont juste besoin d’internet pour recruter des gens», explique-t-il à l’agence d’information catholique Ucanews, sachant que l’insatisfaction d’une grande partie de la population musulmane de l’île de Mindanao, au sud des Philippines, constitue «le substrat» sur lequel l’Etat islamique s’appuie pour recruter. En septembre dernier, Mgr Antonio Ledesma, archevêque catholique de Cagayan de Oro, grande ville de la côte nord de Mindanao, avait mis en garde contre les risques d’un avortement du processus de paix dans le Sud philippin. «Echouer à faire la paix se traduira par un essor de l’extrémisme, du fondamentalisme et du terrorisme à Mindanao», déclarait le prélat.
Les deux visages de Narendra Modi
En Inde, les attentats de Paris ont immédiatement fait écho à ceux qui avaient ensanglanté Bombay en novembre 2008. Une série d’attaques de terroristes islamistes venus du Pakistan avait fait 173 morts et 313 blessés dans la capitale financière indienne. Depuis la Turquie, où il participe au sommet du G20, le Premier ministre indien Narendra Modi a déclaré que le terrorisme était, par principe, un défi mondial. «Nous devons isoler ceux qui soutiennent et financent le terrorisme, et nous tenir aux côtés de ceux qui partagent nos valeurs et la défense de l’humanisme», a-t-il ajouté.
La réplique de certains en Inde a été immédiate. «Modi présente deux visages: l’un à destination du public indien, l’autre à destination de l’opinion publique étrangère», dénonce le Père Sebastian Poomattom, vicaire général de l’archidiocèse catholique de Raipur, au Chhattisgarh, à l’est de l’Inde. Dans cet Etat, les chrétiens ont été la cible de nombreuses attaques depuis que le BJP, la droite nationaliste de Narendra Modi, y est au pouvoir. Alors que des leaders de la droite hindoue ont appelé en public à la disparition des chrétiens et des musulmans d’Inde d’ici à 2020 et que d’autres fondamentalistes hindous demandent l’imposition d’un strict contrôle des naissances pour les minorités chrétienne et musulmane, les défenseurs des minorités religieuses en Inde soulignent que le Premier ministre et son gouvernement sont restés silencieux.
Récemment, deux musulmans ont été tués après avoir été soupçonnés de consommation de viande bovine – la vache étant un animal sacré pour les hindous – et que des lieux de culte chrétiens ont été attaqués. Dans ce contexte des musulmans et des chrétiens dénoncent le double discours du Premier ministre.
John Dayal, activiste chrétien bien connu, dénonce le fait que Narendra Modi s’appuie sur le sentiment antimusulman présent au sein de l’opinion publique occidentale pour contribuer à la tension entre les communautés en Inde.
Parallèle Xinjiang-Paris
En Chine également, la réaction a été prompte. Présent en Turquie pour le G20, le président Xi Jinping a condamné les attentats et fait part de ses condoléances au peuple français. Il a aussi ajouté qu’il était «particulièrement important de s’attaquer à la fois aux symptômes et aux causes du terrorisme ainsi que de refuser tout ‘deux poids-deux mesures’». Par ces derniers mots, le président chinois dénonçait le fait que la campagne de répression menée au Xinjiang, province à majorité musulmane du nord-ouest de la Chine, soit critiquée par les médias occidentaux, en dépit des actes terroristes commis par des Ouïghours.
Opportunément, au lendemain des attentats de Paris, la plateforme internet Weibo (équivalent chinois de Twitter) du ministère chinois de la Sécurité publique a publié une série de photos sur l’assaut par les forces de sécurité d’une maison du Xinjiang abritant des «terroristes». «Paris a été victime de la pire attaque terroriste de son histoire, avec des centaines de morts et de blessés. A l’autre bout du monde, la police dans la province chinoise du Xinjiang, après 56 jours de poursuite et d’attaques, a mené avec succès une attaque de grande ampleur contre les terroristes», pouvait-on lire sur le message posté sur Weibo. Le lendemain toutefois, de nombreux commentaires s’étonnant du parallèle entre ce qui s’est produit à Paris et l’opération menée au Xinjiang, la galerie de photos avait disparu et le sujet était censuré sur les réseaux sociaux.
Terrorisme ouïghour
Même si l’Etat islamique vise à étendre son action jusqu’au Xinjiang (la revendication des attentats de Paris a ainsi été diffusée par l’Etat islamique en ouïghour et plusieurs centaines de Ouïghours combattraient en Syrie et en Irak au sein des forces de Daech), le Congrès mondial ouïghour, basé en Allemagne, a dénoncé la volonté du gouvernement chinois de faire passer «tous les habitants du Turkestan oriental [le Xinjiang] pour des terroristes».
Si aucun détail n’a été donné par les autorités chinoises quant à cet assaut, il s’agirait, d’après le quotidien américain Wall Street Journal, des suites de l’attaque commise le 18 septembre dernier dans le district de Baicheng, préfecture d’Aksou, au Xinjiang. Ce jour-là, plus de cinquante personnes avaient été assassinées lors de l’attaque d’une mine en pleine nuit par un groupe d’hommes armés de couteaux, qui ont pris la fuite avant l’arrivée de la police. (apic/eda/rz)