Birmanie: Un leader catholique salue les premières élections libres
Naypyidaw, 12.11.2015 (cath.ch-apic) «C’est la première fois que nous pouvons vraiment goûter à la liberté de vote», se réjouit le leader catholique birman Sawthuya Bosco, à propos des élections du 9 novembre 2015 au Myanmar, qui ont mené au pouvoir Aung San Suu Kyi. Certains s’interrogent néanmoins sur la volonté de cette dernière de combattre les persécutions contre les minorités, notamment contre les Rohingyas musulmans.
«Non seulement en tant que votant, mais également en tant qu’observateur, j’ai été réellement surpris par la façon dont la Commission électorale a organisé le scrutin», déclare le 11 novembre 2015 à l’agence de presse catholique «Asia News», Sawthuya Bosco, ancien président de la Commission pour la jeunesse catholique (NCYC) de Birmanie. Il est actuellement membre de «l’Equipe d’observation des élections du congrès de la jeunesse nationale», qui a supervisé l’élection du 9 novembre. «C’est la première fois que nous pouvons vraiment goûter à notre liberté de vote et à notre droit d’obtenir les résultats que nous voulons», assure-t-il. Il précise qu’il faudra encore du temps pour disposer des résultats définitifs et confirmer que le scrutin a été libre et correct.
Les catholiques dans la lutte pour la démocratie
Il affirme que les catholiques birmans ont joué un rôle actif dans le processus électoral, en organisant des rencontres pré-électorales et en diffusant les messages et les appels du cardinal Charles Bo et des autres évêques du pays. L’archevêque de Rangoun avait notamment souligné, le 4 novembre, dans un vibrant appel aux Birmans, que voter était «un devoir sacré».
Le leader catholique assure que les citoyens étaient heureux de pouvoir voter librement. Il espère que tous les habitants du Myanmar ont devant eux un avenir de démocratie. «Nous sommes prêts à coopérer avec le nouveau gouvernement, s’il crée un réel élan de démocratie dans le pays», note Sawthuya Bosco.
Les résultats des élections législatives en Birmanie ne sont encore que partiels, mais la victoire historique de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, est déjà acquise. Le chef de l’armée birmane, le général Min Aung Hlaing, a d’ailleurs publiquement félicité, le 11 novembre, l’opposante, pour avoir remporté la majorité au Parlement. La LND y a en tout cas remporté 90% des sièges. Pour autant, la Prix Nobel de la paix a demandé à ses électeurs d’éviter toute manifestation de joie prématurée.
Silence sur le drame des Rohingyas
Malgré l’enthousiasme général concernant l’accession au pouvoir d’Aung San Suu Kyi, des réserves ont récemment été émises quant à son engagement à lutter contre les persécutions dont sont victimes certaines minorités du Myanmar, en particulier les Rohingyas, une ethnie majoritairement musulmane de l’Arakan, à l’ouest du pays.
Du 16 au 18 octobre, la politicienne a effectué sa première visite depuis treize ans dans cette région. Elle y a cependant largement éludé les questions touchant au conflit entre les Arakanais bouddhistes et les Rohingyas, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Un musulman l’avait notamment interpellée sur les discriminations dont souffre la minorité religieuse dans cette région côtière. «Nous serons un gouvernement qui croit en l’autorité de la loi, lui a répondu Aung San Suu Kyi. (…) Nous gouvernerons en respectant les règles édictées conformément au droit. Nous règlerons ce problème de cette manière». La dirigeante n’a pas élaboré davantage, tenant souvent des propos très généraux, même lorsque les questions étaient précises, parfois personnelles, affirme EdA.
En Birmanie, le parti dirigé par Aung San Suu Kyi est sous le feu des critiques des extrémistes bouddhistes. Farouchement antimusulmans, les bonzes les plus radicaux reprochent à la LND de ne pas avoir soutenu un paquet de quatre lois sur «la protection de la religion [bouddhiste] et de la race [birmane]». Ils ont essayé de faire passer la LND pour un parti pro-musulman. Dans l’Arakan, beaucoup de personnes sensibles aux thèses de ces moines extrémistes ont posé des questions sur l’immigration illégale en provenance du Bangladesh voisin. Elles se sont par ailleurs inquiétées de prétendus liens qu’entretiendrait la LND avec des organisations musulmanes. Ces remarques ont entraîné des applaudissements soutenus dans la foule. Aung San Suu Kyi a évité de s’avancer sur ces sujets épineux, remarque EdA. Elle s’est contentée d’affirmer que ceux qui véhiculaient des rumeurs «violaient la loi».
Discriminations contre les musulmans
Depuis 2012, l’Arakan est régulièrement secoué par des vagues de violence entre les minorités arakanaise (bouddhiste) et rohingya et kaman (musulmanes). Ces affrontements ont fait plus de 240 morts, selon les autorités. Plus de 100’000 personnes ont dû fuir leurs villages et vivent toujours dans des camps. Le pouvoir les considère comme des immigrés illégaux venus du Bangladesh tout proche. Il leur a retiré le droit de vote cette année alors que les Rohingyas, dont la population est estimée à environ 800’000 personnes en Birmanie, avaient pu participer à tous les scrutins depuis l’indépendance, en 1948. La plupart d’entre eux sont désormais considérés comme apatrides. Au niveau national, bon nombre de candidats musulmans aux législatives du 8 novembre ont été disqualifiés par la Commission électorale. Seuls 28 des 6’000 prétendants à la députation étaient musulmans.
Pieds et poings liés?
La lauréate du prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi a très rarement commenté ces discriminations, se contentant de décrire dans la presse internationale une situation «extrêmement complexe», assure EdA. Son parti assume cette prudence. «Il y a énormément d’extrémistes arakanais, explique U Sein Kyaw, un responsable de la LND à Gwa, une localité du sud de l’Arakan qu’a visitée Aung San Suu Kyi. Si elle dit quelque chose, ils vont mal l’interpréter et utiliser ses propos pour l’attaquer. C’est pour cela qu’elle n’a rien dit. Je ne crois pas qu’elle ait peur d’eux, mais elle ne veut pas créer de problèmes».
Comme députée, Aung San Suu Kyi a présidé pendant trois ans la Commission sur l’autorité de la loi, la paix et la tranquillité au Parlement national. Elle n’a cependant pas écrit de loi pour l’Arakan. Beaucoup considèrent néanmoins que l’opposition des groupes antimusulmans l’ont empêchée d’agir en ce sens et qu’il aurait été inopportun pour elle de remuer cette problématique avant les élections.
Gages aux bouddhistes?
Aung San Suu Kyi a récemment assisté à une cérémonie bouddhiste dans un monastère de Gwa, où elle a fait des offrandes aux bonzes. Elle a ensuite évoqué son attachement à la religion et aux traditions, rappelant l’enracinement du bouddhisme dans sa famille. La démarche était probablement destinée à rassurer l’électorat bouddhiste dans la région.
Les critiques les plus acerbes viennent du Parti national arakanais (ANP), l’adversaire le plus sérieux de la LND dans l’Etat côtier. L’ANP se présente comme le parti qui défend le mieux les intérêts des Arakanais face au prétendu danger musulman. «Ce qu’Aung San Suu Kyi a dit [dans l’Arakan] est général et superficiel, et cela n’aura pas d’effet», a critiqué Htun Aung Kyaw, le secrétaire de l’ANP. Il estime que la femme politique a tenu des propos favorables aux musulmans et qu’elle «ne comprend pas bien les deux communautés». (apic/asian/eda/rz)