«Le prêtre, l'instrument de la miséricorde de Dieu», selon Mgr Bruguès
Saint-Maurice, 09.11.2015 (cath.ch-apic) «Je vous propose un exercice de mémoire pour réfléchir à la manière de vivre notre vocation de prêtre aujourd’hui». En quelques mots, Jean-Louis Bruguès, secrétaire émérite de la Congrégation pour l’éducation catholique, a esquissé l’entier de son propos adressé à la centaine de prêtres présents à Saint-Maurice ce 9 novembre 2015, pour les 50 ans du décret conciliaire sur le ministère sacerdotal, Presbyterorum Ordinis.
Ancien archevêque d’Angers, – «avec une apostrophe», précise-t-il – et actuel archiviste et bibliothécaire du Vatican, Jean-Louis Bruguès était l’invité de la Conférence des évêques suisses (CES) pour cette journée nationale des prêtres. A cette occasion, il a brossé un tableau général de l’évolution sociale et culturelle qui sépare les prêtres d’aujourd’hui du décret conciliaire qui leur était destiné.
«Le deuil de l’éternité»
Si le décret, «n’appartient pas aux grands textes conciliaires», «il n’a pas pris une ride», selon Mgr Bruguès. L’évolution est donc à relever du côté du contexte sociale et culturel. En l’espace de cinquante ans, l’archevêque note trois changements majeurs qui ont une influence concrète sur la vie et les ministères des prêtres, à commencer par ce qu’il appelle «le deuil de l’éternité». «’Faisons comme si le Ciel était vide’ devient ainsi le leitmotiv d’une société qui n’a plus besoin de se référer à une quelconque transcendance»; et «qu’est-ce que l’Evangile, amputé de toute référence à la grâce, au pardon divin ou à la béatitude promise», s’interroge-t-il. «L’espérance est devenue, selon la formule de Benoît XVI, le point aveugle des sociétés occidentales».
Seconde difficulté: la capacité d’inscrire nos engagements sur du long terme. «La fidélité a perdu ses repères traditionnels dans la société, explique Mgr Bruguès. Nous sommes dans ce que la théologienne protestante France Quéré a nommé ‘l’air des interruptions volontaires’. Si nos contemporains restent fascinés par le ‘pour toujours’, il apparaît de plus en plus comme le résultat d’une loterie qu’il vaut la peine de gagner, mais avec une très faible chance de succès. Nous sommes entrés dans l’époque des passions tristes, poursuit l’évêque. Nous avons cessé d’aimer notre avenir. Le ‘futur-promesse’ s’est transformé en ‘futur-menace’». Une perte de confiance qui a pour corollaire la valorisation du moment présent. «Vous ne pouvez toutefois pas parler de fidélité dans le seul moment présent», souligne l’ancien professeur de théologie morale à l’Université de Fribourg. «La perte d’espérance prive d’élan la vie de nombreux jeunes et les maintient en deçà d’un engagement ‘pour toujours’. On peut parler d’une forme de nihilisme à ce sujet», ajoute-il, en situant dans l’»acédie», «ce vieux mot qui signifie l’ennui de l’âme qui ne parvient pas à se fixer», ce «goût pour le néant».
Portrait spirituel du prêtre d’aujourd’hui
Or, si sombre soit-il dans certains de ses aspects, «ce monde est aimé de Dieu», a rappelé Mgr Bruguès, qui réaffirme l’inutilité de toute nostalgie et l’importance, pour le prêtre, de s’y investir. Dans cette perspective, c’est son «portrait spirituel» qu’il a souhaité abordé.
«Le prêtre est un homme choisi par Dieu pour être un instrument de la miséricorde à l’égard d’autrui», a-t-il ainsi expliqué. «Il a pour mission de mettre la miséricorde au cœur de la communauté chrétienne». Il n’a pas à attendre que les gens viennent à lui, mais il doit les rejoindre là où ils vivent. Et Mgr Bruguès de regretter l’absence de L’Eglise «autrefois présente dans des milieux beaucoup plus nombreux et variés qu’aujourd’hui».
Un homme de culture
Le prêtre est aussi un homme de silence. Il a pour mission de «bien prononcer les paroles et trouver les silences justes. Il faut donc qu’il se mette d’abord à l’écoute de Dieu. Nous faisons le pari que dans cette société postmoderne, il est possible de vivre et d’écouter la parole de Dieu», à l’instar du Christ qui a exercé sa mission dans le contexte social de son temps.
Si le prêtre est un homme de prière, il est aussi un homme de culture. «Pour que notre parole prenne chair, il faut qu’elle s’alimente à une forme de culture. Le prêtre est un prophète. Son propos doit donc être crédible, sérieux et bien documenté. Je souligne le danger de la répétition morne», insiste l’archevêque. «Nous vivons dans une société qui privilégie la compétence. Il ne faut pas que nous apparaissions comme des incompétents. La littérature, l’art, la philosophie… Il faut être attentif à tout ce qui donne à notre parole de la chair humaine. Ne pas étudier, n’est-ce pas renoncer à offrir aux fidèles ce qui leur est dû? Au fond, n’est-ce pas un manque de charité?», s’est-il interrogé.
En dernier lieu, Mgr Bruguès a insisté sur la paternité spirituelle. «Curieusement Presbyterorum Ordinis ne parle jamais de paternité», affirme-t-il. Au lieu de cela, il parle de «fraternité, d’amitié, de compagnonnage. Appelé à devenir père dans une société ou la figure paternelle devient la grande absente. Je me demande donc s’il n’est pas nécessaire dans l’Eglise de mettre nos efforts sur l’émergence de la paternité du prêtre.»
Encadré: La journée des prêtres suisses
«Nous sommes là pour partager, entre prêtres, le don du sacerdoce», lance Jean Scarcella, sourire aux lèvres, à une centaine de personnes rassemblés ce 9 novembre à l’occasion de la «Journée des prêtres suisses». Une initiative de la conférence des évêques qui entendent ainsi témoigner leur estime et leur gratitude pour la mission partagée. Une centaine de prêtres romands ont répondu à cette invitation des évêques à l’occasion des 50 ans du décret conciliaire sur la vie et le ministère des prêtres Presbyterorum Ordinis, publié le 7 décembre 1965. Pendant que leurs homologues alémaniques et tessinois se retrouvaient à Einsideln et Lugano, les prêtres romands se sont retrouvés autour de l’abbaye de Saint-Maurice pour une conférence de Mgr Bruguès à la salle capitulaire, un pèlerinage vers Vérolliez, pour y partager ensuite un repas, avant de revenir à la basilique de l’abbaye pour célébrer ensemble la messe du jour, présidée par Mgr Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. (apic/pp)