Erwin Tanner-Tiziani, l’homme qui murmure à l’oreille des évêques
Lausanne, 15.10.2015 (cath.ch-apic) Erwin Tanner-Tiziani exerce depuis 4 ans la fonction de secrétaire général de la Conférence des évêques suisses (CES), un rôle-clé qui jusqu’alors n’était réservé qu’aux prêtres. Invité à Lausanne dans les locaux de cath.ch, il revient sur les expériences d’un mandat qui l’ont conduit dans l’intimité des évêques.
Se retrouver comme Alémanique dans un groupe de Romands ne pose aucun problème à Erwin Tanner. Lorsque cet Appenzellois d’origine parle français, son accent le trahit peut-être, mais son vocabulaire est impeccable.
Fils d’un père réformé et d’une mère catholique, il évoque le contexte religieux difficile dans lequel ses parents ont grandi. «Le pasteur du village avait déconseillé à mon père de se marier avec une catholique», raconte-t-il. Son père a fini par se convertir au catholicisme, avant d’épouser l’amour de sa vie.
Spécialiste de l’islam
Né en 1967 à St-Gall, Erwin Tanner fréquente le collège des capucins d’Appenzell, avant d’étudier successivement aux Universités de Fribourg (Suisse) et de Munich. Marié et père de deux enfants, il s’installe dans la paroisse de Bösingen, en Singine, dans le canton de Fribourg. Il est détenteur d’une licence en théologie et d’un doctorat en droit civil. «Ma thèse de doctorat s’est portée sur les rapports entre le droit suisse et le droit islamique, dans le contexte de la minorité religieuse musulmane et de la question de sa reconnaissance de droit public en Suisse», rappelle-t-il. Spécialiste de l’islam, c’est par ce biais qu’il rejoint la CES en 2001, comme membre puis secrétaire du Groupe de travail «Islam».
Un travail énorme, mais passionnant
Erwin Tanner grimpe les échelons pas à pas. Il devient secrétaire général adjoint depuis la mi-2007. Après l’élection du secrétaire général Felix Gmür à la tête du diocèse de Bâle en 2010, il reprend la fonction ad intérim pendant un an, avant d’être officiellement nommé. Ses tâches sont multiples. Il coordonne le travail de la CES, gère la correspondance, prépare les réunions, accompagne les projets des commissions et rédige des protocoles. «Avant chaque séance de l’Assemblée plénière, du Présidium et des Départements, je dois préparer tous les dossiers qui seront traités. Je dois aussi les avoir lus, et ce ne sont pas de petits machins…, s’exclame-t-il en souriant, c’est un grand travail et il faut être précis. Mais je trouve cela passionnant».
«J’ai dû faire ma place»
Premier laïc à occuper cette fonction, il avoue avoir dû faire sa place. «C’est vrai qu’au début, le fait d’être laïc n’a pas toujours été facile, se rappelle-t-il. Chaque nouveauté n’est pas facile à digérer». Il a su très rapidement montrer son professionnalisme et gagner la confiance des évêques. A partir de sa nomination, le théologien va véritablement découvrir l’univers des prélats. «Je me suis rendu compte de l’ouverture d’esprit des évêques et de leur disposition à écouter, de leur attention portée aux dossiers que je traitais», révèle le juriste et théologien.
«Les évêques ne sont pas des pompiers»
Depuis un an, Erwin Tanner essaie de mettre en place avec les évêques un «développement stratégique» de la CES. Une attitude nouvelle, «pro-active», qui pousse la Conférence à développer une vision d’avenir. «Les membres de la CES anticipent, préparent les défis futurs. Ils ne sont pas des pompiers, qui agissent uniquement une fois que l’alerte a été lancée». Le secrétaire général explique que ce processus se met en place gentiment. Le temps est nécessaire pour faire évoluer les habitudes.
A chaque évêque son domaine
Conscient de la surcharge des tâches qui sont attribuées aux évêques et soucieux du bon fonctionnement organisationnel, Erwin Tanner souhaite que le nombre des commissions et groupes de travail soit fortement réduit, de 20 actuellement à 6–8 commissions, auxquelles peuvent être attribués des groupes de travail selon les besoins. D’après lui, une telle organisation serait plus facile pour tout le monde. Les forces seront unies et chaque évêque aura sa responsabilité clairement définie. «Tous les dossiers concernant ‘sa’ thématique convergeront vers la commission dont il est responsable, ce qui lui simplifiera sa tâche».
Construire des ponts au-delà de la Suisse
«Aider à construire des ponts entre les Conférences épiscopales est aussi une tâche du secrétaire général», affirme Erwin Tanner. Un exemple concret: la Journée d’études commune des trois conférences épiscopales de France, Allemagne et Suisse en vue du synode sur la famille organisée à Rome en mai dernier, composée d’évêques et théologiens de ces trois pays. Le secrétaire est heureux que cet événement ait fait l’objet d’une publication sous forme de livre.
Un autre exemple: la 4e rencontre des évêques et délégués des conférences épiscopales d’Europe pour les rapports avec les musulmans se tenait à Saint-Maurice en mai dernier dans le sillage du décret conciliaire Nostra Aetate.
Et depuis trois ans, une rencontre régulière est également agendée entre les trois secrétaires généraux des conférences épiscopales de Suisse, d’Autriche et d’Allemagne. GR
Encadré 1
Evêques et médias
S’adressant à des journalistes, le secrétaire général de la CES n’hésite pas à rappeler l’importance des médias catholiques dans le processus de communication. Les évêques en sont reconnaissants. Le secrétaire général ne cache pas que certaines publications sont parfois insatisfaisantes. «Que la presse catholique jouisse d’une distance critique, cela est nécessaire. Mais c’est le ton parfois agressif de certains articles qui pose problème». Si les journalistes doivent des fois faire preuve de plus d’objectivité, il admet volontiers que, d’un autre côté, les difficultés de communication à l’interne affectent aussi l’Eglise. «Avec Walter Müller, attaché de presse de la CES, nous sommes en train d’organiser un ‘mediatraining’. Les évêques sont bien décidés à soigner et clarifier leurs interventions publiques». (apic/gr)
Encadré 2
Centre Islam et Société
En matière d’intégration musulmane, Erwin Tanner est en principe favorable au projet du Centre Islam et Société au sein de l’Université de Fribourg. Il souhaite néanmoins que le dialogue interreligieux y soit optimisé. «Dans le cursus d’enseignement du Centre, les communautés chrétiennes de Suisse doivent être autant sollicitées que les communautés musulmanes», recommande-t-il, en ajoutant: «Le Centre Islam et Société pourrait ainsi devenir une véritable plate-forme de dialogue entre chrétiens et musulmans. C’est d’ailleurs ce qui en ferait un projet universitaire véritablement interreligieux». (apic/gr)