Jacques-André Maire (PS/NE): «Il faut se rendre compte qu'un enfant a un coût important»
Neuchâtel, 08.09.2015 (cath.ch-apic) Pour Jacques-André Maire, conseiller national socialiste neuchâtelois, la Suisse n’en fait clairement pas assez en matière de politique familiale. «Je regrette de ne pas avoir au plan national une politique plus volontariste. Le fédéralisme est une bonne excuse quand on ne veut pas trouver de solution», explique-t-il à cath.ch à la veille des élections fédérales du 18 octobre prochain.
Cath.Ch: L’étude sur le droit de la famille lancée en 2014 par l’Université de Bâle préconise de mettre sur un pied d’égalité les différentes formes de communautés de vie, même si l’institution du mariage est maintenue.
Jacques-André Maire: J’adhère parfaitement au principe de l’égalité des diverses communautés de vie. En termes de droits cela doit être parfaitement équivalent, en laissant à chacun la liberté de s’unir à qui il veut. En outre, nous avons actuellement des différences selon les cantons. Neuchâtel a ainsi introduit un partenariat enregistré (PACS) également ouvert aux couples hétérosexuels. D’après ce que me disent les juristes, les droits donnés par le PACS ne sont pas les mêmes que ceux accordés par le mariage et cela pose problème. A titre personnel en tant que chrétien engagé, il y a encore une dimension de plus dans le mariage chrétien, de l’ordre du symbolique. J’y suis attaché, mais cela dépend de la liberté de chacun. Et cela ne peut pas engendrer une différence au plan juridique.
Cath.ch : Ce raisonnement vous conduit aussi à penser que le mariage doit être ouvert aux personnes de même sexe.
J-A. M: Je suis favorable au mariage de personnes de même sexe au plan juridique. Au plan religieux, la situation n’est pas aussi claire. Je pense à la dimension biblique et symbolique du mariage. Ce qui n’empêche pas d’avoir une sorte de bénédiction pour des couples homosexuels si ces personnes ont une conviction chrétienne et la demandent. Je laisserais les théologiens trancher.
Cath.ch: Il arrive que des couples se séparent. Si toutes les communautés de vie sont mises sur un pied d’égalité comment gérer leur dissolution ?
J-A. M: Dans l’idéal, avoir des contrats de séparation à l’amiable serait parfait. Mais c’est malheureusement rarement le cas. Le recours à la justice est souvent nécessaire pour des questions financières ou liées aux enfants. Je le regrette. Je pense dès lors qu’il faut reprendre le droit au mariage et l’adapter aux diverses situations.
Cath.ch: La question de l’adoption d’enfants sera aussi très disputée.
J-A. M: On doit d’abord chercher le bien de l’enfant. Je préférerais voir un enfant dans un couple homosexuel harmonieux que dans un couple hétérosexuel qui se déchire. Je suis favorable à l’idée d’adoption par un couple homosexuel aux mêmes conditions et exigences que pour un autre couple. Il ne faut pas que cela se fasse à la légère. On se trouve aujourd’hui avec des situations un peu aberrantes où des femmes vont se faire ‘engrosser’ par la semence d’un père qui n’aura jamais aucun lien avec cet enfant. Au départ j’étais assez sceptique par rapport à la situation d’un enfant élevé par un couple de même sexe, mais les études actuelles semblent démontrer qu’il n’y a pas de problèmes, ou en tout cas moins qu’un enfant élevé dans une famille monoparentale où la référence à un autre adulte manque.
Cath.ch: La société actuelle ne semble guère favorable au mariage et à la famille. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
J-A. M: Je regrette la fragilité du mariage actuel, mais le problème est plus vaste et se rapporte à la légèreté de certains engagements, d’ailleurs autant pour un couple homosexuel qu’hétérosexuel. Cette évolution est liée à la perte de certaines valeurs telle que la fidélité et la persévérance. La vie en couple est quelque chose d’extraordinaire, mais elle nécessite un engagement réciproque des deux conjoints. Un couple se construit. Je vois des couples qui se font et se défont avec une légèreté qui me sidère. C’est hélas assez général dans notre société. On est devenu des consommateurs à tous les niveaux. On prend, on utilise et on jette.
Cath.ch: En Suisse, une politique familiale plus développée peine à se mettre en place.
J-A. M: Il est clair qu’on ne fait pas assez pour la famille. Il faut se rendre compte qu’un enfant a un coût important. La Suisse est face à un problème démographique grave avec un taux de natalité trop bas. Il faut cibler l’aide pour qu’elle profite à ceux qui en ont le plus besoin.
Cath.ch: Précisément, plusieurs études montrent que les familles surtout monoparentales sont le plus touchées par la pauvreté.
J-A. M: Je suis très favorable à l’idée de l’introduction de prestations complémentaires pour les familles, comme le canton de Vaud l’a fait. Je pense que c’est un modèle que l’on devrait reprendre au plan fédéral.
Cath.ch: D’autres milieux et partis plaident pour des déductions fiscales.
J-A. M: Je m’oppose fermement aux mesures liées à des déductions fiscales car elles profitent d’abord aux revenus les plus élevés. Si on veut aider de façon plus juste il faut passer par une augmentation des allocations familiales ou alors par un crédit d’impôts qui soit le même pour tous les enfants. Nous avons eu au parlement x propositions presque toujours relatives à la baisse d’impôts. Des propositions de hausse d’allocations qui coûteraient la même somme globale à la collectivité ne parviennent pas à passer. Le PDC veut supprimer l’injustice fiscale entre les couples mariés et les concubins. Je suis d’accord avec ce principe, mais je pense que la solution passe par l’imposition individuelle.
Globalement, la situation reste très bloquée. Je m’étonne de ne pas pouvoir parvenir à une alliance plus large sur ces thèmes, car elle serait dans l’intérêt du pays. Je regrette de ne pas avoir au plan national une politique plus volontariste. Le fédéralisme est une bonne excuse quand on ne veut pas trouver de solution.
Cath.ch: Une autre charge qui pèse dans les finances des familles est celle des primes de caisses-maladies.
J-A. M: La réduction des primes des caisses-maladies serait une autre piste de soutien à la famille, car elles grèvent lourdement le budget. En outre les primes maladies ne sont même pas prises en compte dans le calcul de l’indice des prix à la consommation! Alors qu’il s’agit du poste budgétaire qui a le plus augmenté au cours des dernières années. Je suis en train de préparer une intervention parlementaire sur ce sujet.
Cath.ch: Un récent sondage a révélé que 80% des Suisses souhaitent un congé paternité pour le père de deux à quatre semaines.
J-A. M: Je trouve aberrant et regrettable que le Conseil fédéral décide de baisser le taux des contributions à l’assurance perte de gain (APG) alors que nous discutons précisément de l’introduction d’un congé de paternité pour les pères au plan fédéral selon la proposition du conseiller national Martin Candinas (PDC/GR). Il aurait été très facile de financer un congé de deux semaines par le surplus des caisses de l’APG. Le Conseil fédéral a cédé à la pression des milieux de l’économie. C’est une façon de saboter le projet. Et en même temps, il fait des recommandations pour une politique plus volontariste!
Cath.ch: Concilier travail professionnel et famille est souvent assez difficile. Les collectivités publiques doivent-elles en faire plus ?
J-A. M: Pour les structures d’accueil de la petite enfance, il y a des progrès. Une majorité a été trouvée aux chambres fédérales pour les crédits d’impulsion qui permettent aux cantons de mettre en place ces infrastructures. Ce système porte ses fruits et devrait être prolongé. Un gros effort reste à faire pour le para-scolaire et les accueils de midi. L’économie joue le jeu, sauf l’UDC qui voudrait toujours voir la maman à la maison.
Cath.ch: La migration amène un grand nombre de personnes en Suisse dont bien sûr des familles avec des enfants.
J-A. M: Pour moi le maître mot est l’intégration. Nous avons la chance d’avoir un système de formation qui permet de favoriser ce processus, par exemple par la validation des acquis professionnels. L’intégration sert bien sûr le bien-être de la personne et de sa famille mais aussi l’intérêt économique de la société. Dès qu’une personne a l’autorisation de s’établir de façon provisoire ou durable en Suisse elle devrait avoir accès au marché du travail. Quant aux enfants, ils ont tous le droit à l’instruction quel que soit leur statut légal ou celui de leurs parents. Sous réserve d’apprentissage de la langue, je pense qu’il faut les intégrer dans des classes ordinaires. Je viens du village des Ponts-de-Martel qui compte 1’200 habitants. Nous avons eu successivement plusieurs familles de réfugiés kurdes, africaines etc. Dans le cadre d’un village je pense qu’il y a une capacité d’intégration bien meilleure que dans les grands centres urbains ou le risque de ghetto existe. Aujourd’hui, deux jeunes noirs issus de ces familles, qui ont pu rester grâce à la mobilisation du village, sont des étoiles montantes du hockey-sur-glace. Les solutions de fermeture n’ont pas d’avenir où alors on accepte de régresser.
Biographie
Jacques-André Maire est né le 27 mai 1957 à Neuchâtel. Membre du Parti socialiste, il est conseiller national depuis 2009. Marié et père de 3 enfants adultes, il a toujours vécu aux Ponts-de-Martel. Après une licence en biologie et un certificat d’aptitudes pédagogiques, il a enseigné pendant près de 15 ans au Gymnase cantonal de La Chaux-de-Fonds. Suite à l’obtention d’un master, il a dirigé pendant six ans le Séminaire pédagogique de l’enseignement secondaire de Neuchâtel avant de devenir Chef du Service cantonal de la formation professionnelle et des lycées puis conseiller stratégique (à 50%) au Département de l’éducation de l’Etat de Neuchâtel jusqu’en mai 2013.
Parallèlement, il a siégé durant sept ans au Grand Conseil neuchâtelois, dont il notamment présidé la Commission de gestion et des finances.
Membre de l’Eglise évangélique réformée du canton de Neuchâtel (EREN), il est président de la paroisse des Hautes Joux.