«En Egypte, les salafistes plus dangereux que les Frères musulmans», affirme Kamil Samaan

Heitenried/Fribourg, 08.09.2015 (cath.ch-apic) «En Egypte, les salafistes sont plus dangereux que les Frères musulmans… Ils reçoivent beaucoup d’argent d’Arabie saoudite, des pays du Golfe», affirme le Père Kamil Samaan, un prêtre copte catholique de passage en Suisse à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse».

Co-secrétaire du Conseil des Eglises d’Egypte, le Père Samaan affirme que l’Egypte officielle ne veut pas s’en prendre à eux pour le moment, pour ne pas ouvrir deux fronts à la fois, accaparée qu’elle est pour le moment par la lutte contre les Frères musulmans.

Pour les salafistes, l’islam égyptien doit être purifié

Les salafistes veulent restaurer la pureté de l’islam. Dans leurs prêches et les médias, ils considèrent ouvertement les chrétiens comme des mécréants, des «kouffars» à combattre. Influencés par les courants wahhabites, qui prétendent ramener l’islam sunnite à sa pureté primitive. Ils s’en prennent également à l’islam égyptien, met en garde le Père Samaan.

Les Egyptiens ont absorbé en grande partie l’héritage d’autres cultures, notamment chrétiennes. On trouve la vénération des saints tant chez les chrétiens que chez les musulmans égyptiens, tout comme les apparitions ou les miracles. Cet islam inculturé, les salafistes aimeraient le faire disparaître.

Les Frères musulmans sont en déroute

«Quant aux Frères musulmans, ils sont en déroute; s’ils manifestent, ils ne sont plus que quelques centaines. Ils ont perdu l’admiration de la population. Ils suscitaient la sympathie, si ce n’est de la pitié, quand ils étaient persécutés par le pouvoir en place. Mais quand ils sont arrivés au pouvoir, ils ont rapidement montré leur incapacité à gouverner. Ils ont surtout tenté de faire disparaître le caractère laïc de l’Egypte, et cela a suscité l’opposition de nombre de musulmans, surtout parmi les gens formés, les étudiants, les gens lettrés, les journalistes de la presse écrite, de la télévision…», relève le Père Samaan.

«Si Morsi est arrivé au pouvoir avec 13 millions de voix, il s’est vite heurté à une forte opposition populaire. Le mouvement Tamarod (»Rébellion») voulait 20 millions de signatures pour forcer le président à démissionner, le 29 juin 2013, il en avait déjà près de 23 millions! Les Frères musulmans ont perdu leur base sociale !». Le prêtre égyptien estime qu’il n’y a plus que 600’000 Frères musulmans actifs, et 2 à 3 millions de sympathisants, sur quelque 86 millions d’habitants que compte l’Egypte.

Dans l’attente d’améliorations économiques

Le Père Kamil Samaan, qui dirige le home pour enfants «Maison du Bon Samaritain» à Héliopolis, au Caire, estime que les grands problèmes de l’Egypte ne sont pas résolus: ce sont avant tout l’éducation et la santé. Le président Abdel Fattah al-Sissi a certes beaucoup amélioré la sécurité, mais il reste les islamistes armés d’Ansar Beit al-Maqdis, ralliés à l’Etat islamique, dans les villes de Rafah, Sheikh Zwayed et El-Arich, dans le nord du Sinaï, qui attaquent quotidiennement les forces de sécurité et les institutions de l’Etat. Les Egyptiens attendent cependant toujours des améliorations palpables au niveau économique.

«L’inauguration du nouveau canal de Suez est un élément important: on compte que dans deux ans, le nombre de bateaux qui auront traversé le canal aura doublé. La découverte de grandes réserves de gaz au large d’Alexandrie va également procurer des devises, grâce aux exportations. Mais cela servira également à lutter contre la pénurie d’énergie dans le pays même», assure le Père Samaan.

Avec le pape Tawadros, les relations sont bonnes

Après une période de tensions à l’époque du pape copte orthodoxe Chenouda III, décédé en 2012, la situation œcuménique s’est grandement améliorée avec l’arrivée aux commandes du pape Tawadros II (Théodore II). «Il doit cependant faire avec les anciens évêques nommés du temps de Chenouda. Tawadros II voulait assister à la messe d’installation du pape François, mais il s’était heurté aux résistances des ‘faucons’ de son Eglise. Il a cependant profité du 40e anniversaire de la visite au Vatican de Chenouda III, où il avait rencontré le pape Paul VI en 1973, pour se rendre à Rome auprès du pape François».

Le 12 mars 2013 au Caire, le pape Tawadros II a assisté à la messe d’intronisation du nouveau patriarche copte catholique Ibrahim Sidrak, un geste sans précédent que beaucoup avaient qualifié d’historique. «Le pape Tawadros mène une grande lutte à l’intérieur de son propre épiscopat, pour plus d’ouverture. Mais, grâce à Dieu, l’atmosphère entre les chrétiens est au mieux. Il y a cependant toujours de la résistance au sein du Synode de l’Eglise copte orthodoxe en ce qui concerne le ‘rebaptême’».

La pratique du «rebaptême» des catholiques devrait changer

Dans l’Eglise copte orthodoxe prévaut en effet encore la pratique de rebaptiser les nouveaux membres provenant de l’Eglise catholique, une pratique instaurée par le pape Chenouda, sous prétexte que les missionnaires, autrefois, rebaptisaient les orthodoxes. «Mais en fait, ils le faisaient ‘sous condition’, s’ils n’étaient pas baptisés. Certains prêtres coptes orthodoxes acceptent désormais de ne plus ‘rebaptiser’ les catholiques, ce qui montre que la situation se détend».

Le Père Samaan relève que le pape Tawadros a réorganisé toutes les formations et les conditions d’accès à la vie monastique. «Il est devenu plus exigeant et a revu le programme du séminaire. Mais malheureusement, les prêtres ordonnés au séminaire ne sont qu’une toute petite minorité. On préfère encore, pour des raisons matérielles notamment, ordonner prêtres des hommes d’un certain âge, comme des pharmaciens, des ingénieurs, des professeurs, qui ont déjà une carrière derrière eux. Ils ont été chantres en paroisse, ont montré du zèle, connaissent la liturgie… Ils sont ordonnés, passent quarante jours au monastère, où ils apprennent les gestes du prêtre. Mais ils n’ont pas de véritable formation théologique!»

Formation théologique insuffisante

Les évêques sont aussi souvent dans ce cas, ils viennent des monastères, où ils étaient confiés à un père spirituel, qui les a formés. Dans ces monastères, il n’y a pas d’écoles théologiques. Le niveau de formation est largement insuffisant. Il faut promouvoir l’échange d’expériences monastiques avec des couvents à l’étranger, et favoriser les études à l’extérieur.

S’ils sont sortis du lot en raison de leurs compétences administratives ou de leur piété, les moines sont alors ordonnés évêques. Selon le Père Samaan, les choses commencent à changer, car le pape Tawadros est bien conscient qu’il faut améliorer la formation des prêtres: «Il a déjà commencé à revoir le cursus de formation du clergé». Une nécessité pour l’Eglise copte orthodoxe, la plus grande du Moyen-Orient, avec quelque 10 millions de fidèles en Egypte. Les coptes catholiques ne sont, quant à eux, que 250’000, et les catholiques des autres rites – les latins, grecs-catholiques, maronites, syriaques, chaldéens et arméniens – ne sont que quelques milliers. JB

 


Encadré

Père Kamil Samaan, un prêtre engagé dans le dialogue œcuménique au Moyen-Orient

Né le 30 octobre 1952 à Assiout, à quelque 370 km au sud du Caire, le Père Kamil Samaan a commencé sa formation à l’âge de 12 ans au séminaire des Pères franciscains situé dans la capitale de la Haute-Egypte. Jusqu’en 1969, il y fait ses premières armes en théologie, avant de rejoindre le séminaire de Maadi, au Caire, où il termine ses études de base. Après une période de service militaire en 1976-1977, effectuée dans la région de Suez, il est ordonné prêtre le 12 juin 1978. Il a ensuite travaillé dans la pastorale à Assiout durant 5 ans, avant de partir en 1983 à Rome. Il y poursuit ses études à l’Institut biblique pontifical, où il obtient son doctorat en 1990. A son retour au Caire, il enseigne au grand séminaire inter-rituel.

Président de l’Institut Supérieur de Sciences religieuses du Caire, il fait partie de la commission nationale «Justice et Paix» égyptienne. Il a été également membre du Comité scientifique de la Fondation Oasis, créée en 2004 à Venise à l’initiative du cardinal Angelo Scola, dans le but de promouvoir la connaissance réciproque et la rencontre entre le monde occidental et le monde musulman. Il enseigne l’Ecriture sainte au séminaire protestant du Caire, l’Evangelical Theological Seminary et est également co-secrétaire du Conseil des Eglises d’Egypte, fondé en 2012, où il représente l’Eglise catholique dans toute sa diversité (7 rites différents).

Le Père Kamil Samaan a participé à la fondation d’un Institut œcuménique pour le Moyen-Orient à Beyrouth, qui accueille des étudiants chrétiens de toutes les confessions et de tous les rites. Les cours ont commencé le 12 juillet dernier, avec 40 étudiants venant du Soudan, d’Egypte, de Jordanie, de Syrie, d’Irak et du Liban. Créé à l’initiative de la Fédération universelle des associations chrétiennes d’étudiants (FUACE), une fédération œcuménique accueillant des personnes de toutes les traditions chrétiennes: protestante, orthodoxe, pentecôtiste, catholique et anglicane et d’autres confessions. Cet établissement s’est donné pour objectif de former des étudiants en sciences bibliques. Le Père Kamil Samaan est le frère de Mgr Kyrillos Samaan, évêque copte catholique d’Assiout. JB

 


Encadré

Les Egyptiens, dans leur majorité, rejettent l’extrémisme religieux

En Egypte, beaucoup de musulmans sont ouverts et rejettent la vision rigoriste tant des salafistes que des Frères musulmans. Un mouvement citoyen a lancé en août dernier une pétition pour interdire les partis religieux en Egypte. Il est composé de militants, membres de partis politiques et de jeunes de Tamarrod, le mouvement qui avait lancé la contestation contre l’ancien président Mohamed Morsi, du Parti Liberté et Justice, formation politique issue des Frères musulmans. Il veut pour cela obtenir 25 millions de signatures et a lancé la page Facebook intitulée «Le peuple veut dissoudre les partis religieux». Ce mouvement dénonce le parti salafiste Al-Nour, un mouvement qui prêche «l’islam authentique des prédécesseurs», et avait obtenu 25 % des sièges aux élections législatives de 2012.

Ses opposants accusent le parti salafiste, pour le moment épargné par le gouvernement, de servir de couverture politique aux opérations terroristes menées par les Frères musulmans. Rivaux des Frères musulmans – qui sont soutenus par le Qatar -, les salafistes ont appuyé la destitution de Morsi et défendent pour le moment le président Sissi. Leurs détracteurs affirment qu’ils mènent un «double jeu», en en soutenant à la fois le président et la violence islamiste.

Les partisans de la pétition pour abolir les partis religieux s’appuient sur l’article 74 de la Constitution qui interdit toute activité politique à caractère sectaire. Onze partis politiques de tendance islamiste ont été fondés en Egypte après la révolution du 25 janvier 2011. Il s’agit outre le Parti de la Liberté et de la Justice, issu des Frères musulmans, des partis Al-Nour, Al-Wassat, Al-Rayaa, l’Egypte forte, Al-Watane, Al-Fadila, La Réforme, la Construction et le développement, Al-Asala, Al-Nahda. (apic/be)

Père Kamil Samaan, prêtre copte catholique, co-secrétaire du Conseil des Eglises d'Egypte
8 septembre 2015 | 15:53
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 7  min.
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