Guy Musy

Roger de Taizé

Voilà dix ans, le frère Roger Schütz, prieur de la communauté de Taizé, rendait son âme à Dieu dans l’église de la réconciliation, poignardé par une jeune démente qui manifestement «ne savait pas ce qu’elle faisait». Quel symbole et quel paradoxe! Une mort quasi sacrificielle.

Quatre-vingt dix ans plus tôt, Roger voyait le jour à Provence, village vaudois, bien de «chez nous», que rien ne promettait à une telle notoriété. On s’y rend aujourd’hui comme en pèlerinage. Mais c’est encore et toujours Taizé qui attire et intrigue, colline perdue de Bourgogne que Roger transforma dès les années 40 en centre de ralliement international. Un lieu spirituel bien sûr, mais aussi profondément humain où les jeunes de tous horizons se découvrent, échangent et prient tout à leur aise. D’insinuantes mélopées, infiniment répétées, facilitent le recueillement individuel, tout en créant le sentiment d’appartenir à une communauté universelle de croyants, ou, du moins, de priants.

Mais, pour les gens de ma génération, Taizé fut d’abord identifié au mouvement œcuménique que l’on croyait irrésistible et lourd de promesses. Roger Schütz, jeune pasteur consacré à la collégiale de Neuchâtel, partageait cette euphorie. La communauté qu’il créa devait être comme une parabole vivante de l’unité chrétienne enfin reconstruite par-delà les différences et les divergences confessionnelles héritées du passé. Roger paya très chèrement de sa personne sa croyance en cette…utopie. Vint inévitablement le jour où les lourdeurs et lenteurs de l’appareil ecclésiastique, toutes confessions confondues, eurent raison de la joyeuse témérité et de l’audace du prieur de Taizé. Il en vint même à comparer le mouvement œcuménique à la circulation en parallèle de deux trains confessionnels. Roulant d’abord chacun dans son propre tunnel, les convois en vinrent à circuler à ciel ouvert. Ce qui permit aux passagers respectifs de se saluer de la main à travers les vitres de leurs compartiments. C’était gentil sans aucun doute, mais sans aucune perspective de se rencontrer en vérité. On en est resté là. Cette métaphore ferroviaire dit bien la lassitude œcuménique de Roger. D’où son empressement à s’ouvrir à un monde de jeunes éloignés ou indifférents des apparatchiks des Eglises et des religions, mais assoiffés de paix et de réconciliation

Je dirai donc que rien n’est perdu. Comme Roger, je fais confiance aux jeunes. Ils sauront remettre en marche la machine œcuménique que leurs aînés ont volontairement ou négligemment grippée.

La tombe de frère Roger dans le village de Taizé en Bourgogne
13 août 2015 | 09:38
par Guy Musy
Temps de lecture : env. 2  min.
Frère Roger (12), Taizé (99)
Partagez!