L'Eglise au Burundi est en opposition au gouvernement (Photo: dr)
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L’Eglise contre l’Etat: une dynamique inquiétante au Burundi

Bujumbura, 11.08.2015 (cath.ch-apic) Les divisions croissantes entre l’Eglise catholique et la classe dirigeante burundaise constituent une dynamique particulièrement inquiétante, souligne le 10 août 2015 IRIN, le réseau de communication de l’Organisation des Nations Unies (ONU).

L’opposition toujours plus marquée entre l’Eglise et l’Etat sont une conséquence du souhait du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat, note IRIN. Cette annonce a déjà entraîné des manifestations qui se sont soldées par des dizaines de morts, ce qui a poussé 175’000 personnes, principalement des femmes et des enfants, à fuir le pays depuis avril.

Dix ans après la fin de la guerre civile, qui a duré 13 ans, le pays montre à nouveau les signes d’une violente instabilité. Adolphe Nshimirimana, général de l’armée et chef des services de renseignements, considéré comme le numéro deux du pays, a été assassiné le 2 août et Pierre Claver Mbonimpa, un militant pour les droits humains de renom, a été gravement blessé par balle.

Le rôle majeur de l’Eglise

L’Eglise catholique a joué un rôle majeur pendant des années dans les négociations entre l’opposition et le gouvernement, rappelle IRIN. Ce dialogue devait renforcer la paix, après une guerre civile qui a fait environ 300’000 morts.

Le 21 juillet, le président Nkurunziza a remporté comme prévu une victoire éclatante lors de l’élection présidentielle. L’Eglise catholique avait été parmi les premiers à s’élever contre sa candidature, largement taxée de violer la Constitution et l’Accord de paix et de réconciliation d’Arusha, signé en 2000. Jugeant que le processus électoral dans son ensemble était entaché d’irrégularités, l’Eglise a renoncé à déployer ses 6’000 observateurs prévus pour surveiller le scrutin.

Les sympathisants du président ont réagi en intimidant et en menaçant un certain nombre d’évêques et archevêques. Des agents des services de renseignement sont en outre apparus dans les églises pour contrôler les sermons.

Le rapport de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) sur les élections a conclu que «les efforts successifs déployés pour parvenir par le dialogue à un consensus entre les parties prenantes burundaises se sont soldés par un échec». La CAE a appelé toutes les parties prenantes à tenter de renouer un dialogue franc et ouvert afin de trouver une solution à cette impasse politique.

Le Père Emmanuel, un prêtre qui, inquiet pour sa sécurité, a choisi d’adopter un pseudonyme, craint que cela soit difficile. «Ils n’écoutent plus les prêtres ni les évêques. Si l’Eglise et l’Etat ne sont pas en bons termes, les conséquences seront graves», a-t-il souligné à IRIN. Outre son rôle fondamental dans le dialogue politique, l’Eglise gère de nombreux établissements de santé et d’enseignement dont les employés sont payés par l’Etat. Aux yeux du Père Emmanuel, ce soutien public semble maintenant compromis.

Soutien à l’accord d’Arusha

L’accord d’Arusha est au coeur de la condamnation par l’Eglise de la volonté du président Nkurunziza de briguer un troisième mandat. L’Eglise catholique du Burundi, soutenue par le Vatican, avait fortement contribué à amener les belligérants à la table des négociations et à ébaucher un accord. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un acte juridiquement contraignant, l’accord limite le pouvoir présidentiel à deux mandats et régit le système politique burundais d’après-guerre. «L’accord d’Arusha n’est pas parfait, mais c’est ce que nous avons de mieux», relève Gabriel Baregensabe, prêtre depuis 42 ans et secrétaire général de la conférence des évêques catholiques du Burundi depuis dix ans. Selon lui, la décision de ne pas soutenir le président n’a pas été facile pour l’Eglise. «Les évêques se sont réunis et ont pris le temps de s’assurer que leur décision était prise dans l’intérêt de la population et qu’ils disaient la vérité […], car ils savaient que ce qu’ils allaient dire pouvait déclencher une guerre», révèle-t-il à IRIN. Les évêques ont décidé que la défense des accords d’Arusha était, tout bien considéré, ce qu’il y avait de mieux pour la population.

Vers une guerre civile?

Si le dialogue n’est pas réamorcé, la décision de l’Eglise pourrait en effet bien être synonyme de guerre, avertit IRIN. Les chefs de l’opposition et les généraux dissidents qui avaient soutenu en mai le coup d’Etat raté se sont réunis le 30 juillet à Addis Abeba, en Ethiopie, pour discuter de la manière dont ils pourraient constituer un front uni contre le président Nkurunziza. «Nous ne pouvons pas exclure l’usage de la force», a dit aux journalistes Anicet Niyonkuru, président du Conseil national de l’opposition et du Conseil des patriotes (CDP).

L’assassinat dimanche à Bujumbura du chef des espions, Adolphe Nshimirimana, a été perpétré avec des armes de petit calibre et des roquettes. Le général aurait orchestré la répression à partir de mai des manifestations de rue contre le troisième mandat visé par le président Nkurunziza.

Crise de confiance dans l’Eglise

Le gouvernement ne considère cependant plus l’Eglise catholique comme un négociateur fiable, comme l’a démontré une récente diatribe de Willy Nyamitwe, porte-parole du président, qui aurait été impensable il y a quelques mois. «Des gens meurent, a déclaré le représentant de l’Etat, des grenades sont lancées à l’aube sur nos citoyens. Avez-vous vu un seul évêque condamner cela? Non. Car ils sont impliqués […] Nous ne pouvons pas dire qu’ils soient un modèle de moralité».

«C’était sa façon de nous faire taire», explique le Père Emmanuel. Il vit dans un quartier d’opposition qui s’est transformé ces trois derniers mois en une véritable poudrière. Selon lui, cette attitude du cabinet du président ne fait qu’augmenter le malaise des citoyens. «Ils se demandent: ‘si les autorités politiques osent attaquer nos pasteurs comme cela, que va-t-il advenir de nous?’»

Après trois mois d’arrestations, de tortures, d’explosions de grenades et de fusillades nocturnes, les gens sont terrorisés, fatigués et inquiets, relève le Père Emmanuel. Certains traversent une crise de confiance dans l’Eglise, qui était pourtant l’un des seuls lieux où ils trouvaient la paix et du réconfort et où les affiliations politiques pouvaient être mises de côté.

Un analyste politique burundais travaillant pour une mission diplomatique européenne et qui préfère garder l’anonymat, estime pourtant que le président Nkurunziza a tout autant besoin de la communauté internationale que de l’Eglise catholique. (apic/irin/rz)

L'Eglise au Burundi est en opposition au gouvernement
11 août 2015 | 09:15
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 4  min.
Afrique (286), Burundi (24), Guerre civile (78)
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