Pourquoi l'islam n'est pas intrinsèquement misogyne
Islamabad, 26.07.2015 (cath.ch-apic) «Les sociétés du monde musulman ont le potentiel de développer et de cultiver la promotion des femmes, et il n’y a rien dans les écrits islamiques qui s’oppose à cette idée», écrit Bina Shah. La journaliste et écrivaine pakistanaise explique fin juillet 2015 dans le journal américain en ligne The Huffington Post pourquoi l’islam ne serait pas intrinsèquement misogyne.
Junaid Jamshed, un chanteur pop pakistanais devenu prédicateur islamique, a reçu une volée de bois vert lorsqu’il a fait une série de remarques misogynes à la télévision. Essayant, de façon trompeuse, de prouver que les femmes ne bénéficient pas d’un statut indépendant dans l’islam, il a déclaré: «le nom de Hazrat Maryam (Marie) est le seul nom de femme mentionné dans le Coran, et il l’est seulement en association avec Hazrat Isa (Jésus). Aucun autre nom de femme n’est cité dans le livre sacré. Ainsi, Allah n’apprécie pas qu’un nom de femme soit mentionné dans le Coran».
Un mouvement «Pour l’interdiction de Junaid Jamshed» (Ban Junaid Jamshed) a surgi dans les médias sociaux quelques heures après la diffusion de ses commentaires. Des Pakistanaises furieuses appellent à boycotter les enseignes commerciales possédées par l’ex-chanteur, notamment une boucherie et une ligne de vêtements.
Le Coran comme facteur d’équilibre entre les sexes
Malheureusement, de nombreuses personnes dans le monde musulman partagent, à des degrés divers, le point de vue du prédicateur. Des exégètes littéraux du Coran et des fondamentalistes partout dans le monde utilisent le Coran et les hadiths, le recueil des communications orales du prophète Mahomet, pour justifier leur misogynie, en interprétant des écrits allégoriques dans un esprit littéral et malintentionné. Ils biaisent et défigurent la signification de ces écrits, leur dessein et leur contexte, jusqu’à ce que le véritable sens de ces versets s’en retrouve annulé. Ils méprisent le fait que ces versets se rapportant aux hommes comme aux femmes aient été destinés à introduire un équilibre entre les sexes dans une société arabe païenne qui ne possédait aucune notion d’harmonie et de coopération dans ce domaine.
Une société préislamique phallocrate
Les sociétés musulmanes ont longtemps été le champ d’une bataille entre le patriarcat traditionnel et l’esprit révolutionnaire de l’islam primordial. L’environnement préislamique du 7e siècle à La Mecque, avec son tribalisme, son manque d’ordre social et ses conflits constants, était fortement dominé par les hommes. L’avènement de l’islam a constitué un défi à ce statu quo. Il a non seulement cherché à introduire un nouveau type d’ordre social, mais également à limiter les excès de la société mecquoise, qui opprimait frontalement les femmes et les jeunes filles. L’abolition de la coutume qui voulait qu’on enterre les bébés filles juste après leur naissance est l’un des meilleurs exemples de cet esprit. L’islam des premiers âges cherchait à élever le statut des femmes et à les définir comme des acteurs indépendants en possession d’une libre volonté, responsables de leurs propres actions, avec certains droits sur les hommes (tout comme les hommes se voyaient attribuer certains droits complémentaires et privilèges sur les femmes).
Les femmes, figures importantes du Coran
Même s’il est vrai que Marie est la seule femme à être nommée dans le Coran, l’on peut compter 24 femmes qui apparaissent dans le livre, sous diverses formes et avec diverses desseins. Selon Seyedeh Sahar Kianfar, qui écrit sur les femmes dans le Coran pour l’Association soufie internationale, 18 de ces femmes apparaissent en tant que personnages d’importance secondaire, dans un contexte historique. Les cinq plus importantes figures, dont Marie, mère de Jésus sont: Bilkis, la reine de Saba, Anne, mère de Marie, Hawa (Eve) et Umm Musa, la mère de Moïse. Ces femmes sont citées «comme des exemples de bonne conduite, desquelles celui qui cherche la foi peut apprendre et forger son comportement», note Seyyedeh Sahar Kianfar.
Un chapitre entier du Coran est intitulé «Marie». Il raconte la vie de Marie et la naissance de Jésus. Un autre chapitre, intitulé «Femmes», décrit de façon très détaillée les droits et responsabilités des femmes et les droits et responsabilités des hommes envers les femmes. Cela ne fait pas penser à la version présentée d’un livre sacré dans lequel toute mention des femmes est une offense à Dieu.
Un Coran à replacer dans son contexte
L’analyse brute de Junaid Jamshed néglige le fait que le Coran n’a jamais été un livre destiné à satisfaire les sensibilités intellectuelles modernes. De nombreux détracteurs de l’islam mettent en avant les lois sur l’héritage, la polygamie et certains versets du Coran qu’ils interprètent comme cautionnant la violence domestique, l’esclavage sexuel et d’autres aspects contrevenant à la justice ou aux droits humains. De nombreuses féministes musulmanes, telles qu’Amina Wadud, Kecia Ali, Riffat Hassan et Laleh Bakhtiar, travaillent activement à la retraduction et à la réinterprétation de plusieurs de ces versets du Coran. Elles s’efforcent de replacer ces passages, en même temps que de nombreux hadiths, dans leur véritable contexte historique, en y ajoutant une perspective féminine, ce que les législateurs, traducteurs et interprètes mâles ont négligé de faire. Il en résulte un texte très différent de celui que les détracteurs de l’islam utilisent pour parler d’un machisme «intrinsèque» à l’islam, et que les misogynes musulmans utilisent pour justifier la perpétuation des traditions patriarcales.
La misogynie, enfant du colonialisme?
La misogynie n’attire pas tous les hommes musulmans, mais tous les hommes musulmans dans les sociétés traditionnelles ont été élevés dans un contexte patriarcal, qui fonctionne selon des principes solides d’exclusion des femmes et de privilèges masculins. La monarchie, le colonialisme et les dictatures violentes, qui ont affecté tous les pays musulmans à un certain moment de leur histoire, ont contribué à ancrer profondément ces principes patriarcaux dans la psyché des hommes et des femmes. L’on peut dire que les hommes ont internalisé les principes d’autoritarisme renforcés par les systèmes politiques sous lesquels ils ont vécu. Ils ont ainsi cherché à dominer les femmes de la même manière que l’ont fait les autocrates qui régnaient sur les pays musulmans, ensuite colonisés par les puissances occidentales. Cela a incité les hommes à vouloir préserver un sens de leur pouvoir personnel, alors que leur pouvoir politique leur avait été enlevé.
La ‘poudrière’ de la condition des femmes
Les musulmanes revendiquent plus, aujourd’hui, leurs droits dans le cadre de l’islam, grâce à des niveaux d’éducation et d’alphabétisation en perpétuelle croissance. Elles répondent également toujours plus aux besoins croissants de main d’œuvre féminine pour renforcer les économies de leurs pays. Les mouvements occidentaux promouvant le développement, les droits humains et la démocratie se concentrent parfois de manière obtuse sur le statut des femmes – autant dans les sociétés musulmanes qu’occidentales- comme un instrument pour mesurer à quel point une société est «opprimée» ou «libre». Sylvia Poggioli, correspondante en Europe du réseau de radios américain NPR, décrit ce phénomène de la façon suivante: «Dans le débat explosif sur la place de l’islam en Occident, les habitudes vestimentaires, les droits, les rôles sociaux des musulmanes, constitue une sorte de ‘poudrière’».
Ressentiment masculin
Il en résulte que certains musulmans saluent l’élévation du statut des femmes, mais que d’autres en développent un profond ressentiment, les amenant à considérer les «droits des femmes» comme une influence corruptrice étrangère, une continuation du colonialisme qui a humilié et aliéné la génération de leurs parents. Le bouleversement de l’équilibre traditionnel qui leur a toujours convenu – soutenu à la fois par le monde occidental, par les musulmanes et leurs alliés masculins – engendre chez les misogynes une forme destructrice de compétition avec les femmes.
Le blocage de l’autonomie grandissante des femmes, ainsi que l’emploi de la violence physique et psychologique, constitue une réaction de ces hommes aux puissants changements au sein de leurs sociétés qu’ils ne parviennent pas à maîtriser.
Les sociétés musulmanes à travers le monde ont la capacité de se développer et de s’épanouir à travers l’élévation du statut des femmes, et rien dans les textes sacrés de l’islam ne contredit cette idée. Mais la misogynie dans le monde musulman doit être combattue, afin que nous arrêtions ce «jeu de l’oie», où les avancées sont toujours suivies de retours en arrière, lorsqu’il s’agit de promouvoir le droit des femmes dans nos sociétés en transition rapide. (apic/huffp/rz)